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L'État et la Monnaie

le vendredi, 01 mai 1942. Dans Réflexions

On peut dire de l'État qu'il a quelque chose de Cyrano. Son long nez trempe partout dans nos affaires personnelles. De nos jours, l'État a le grand défaut de vouloir se mêler un peu trop de ce qui ne le regarde pas et de ne pas se mêler assez de ce qui le regarde.

Quant à la monnaie, inutile de vous dire qu'on ne la trouve pas partout. Tout le monde, y com­pris l'État, nous en demande, et bien peu nous en offrent. Entre l'offre et la demande, le divorce est complet.

L'État. Les uns se l'imaginent gendarme; les autres, patriarche. À tort ou à raison, le contri­buable se dit: "Qu'en sa qualité de gendarme, l'État nous permette de vivre; et s'il n'a pas le courage de sévir contre ceux qui nous empêchent de vivre, eh bien! qu'en sa qualité de patriarche, il nous fasse vivre."

Devant une gendarmerie plus ou moins cons­ciente de ses devoirs et de ses responsabilités, de plus en plus nombreux sont les adeptes du pater­nalisme d'État.

Même si nous en restons à l'État-gendarme, l'État, comme tel, a des pouvoirs sur et des de­voirs envers la monnaie. De même qu'un gendar­me "up-to-date" peut être appelé à surveiller la circulation au coin des rues, pour éviter les em­bouteillages qui entravent la course des véhicules et la marche des piétons; ainsi l'État doit sur­veiller l'instrument monétaire et voir à ce qu'il n'entrave pas la libre circulation des richesses. Il doit de plus adopter les mesures législatives qui s'imposent pour sauvegarder et protéger la valeur ou le pouvoir d'achat, intérieur et extérieur, de SA monnaie.

Nous disons SA monnaie, car un État qui n'exerce pas sa souveraineté monétaire est un sou­verain sans royaume.

État, te disons-nous, sois, non seulement en droit mais en fait, maître de ta monnaie, sinon tu seras l'esclave de l'Argent. Entre le blé, les chaus­sures et le travail de l'homme, ne l'oublie jamais, s'interpose constamment l'instrument monétaire. La monnaie, c'est le point de contact, le trait d'union qui les relie tous. Permets au producteur de produire, au consommateur de consommer, à l'épargnant de thésauriser, au débiteur de s'endet­ter et au capital de s'édifier.

La monnaie n'est pas partout, mais en demande partout, indispensable partout. Sur elle pivote les échanges et, en un mot, toute notre vie économi­que.

La monnaie peut être deux choses: marchandi­se ou symbole.

Si elle est marchandise (métaux précieux) , la souveraineté de l'État sera purement symbolique, puisque la monnaie tire alors sa valeur d'elle-même. Si elle est symbole (papier, écritures) , la souveraineté de l'État devra s'imprégner de réa­lisme, puisque la monnaie n'a alors qu'une valeur conférée. L'État doit se rendre responsable de la valeur conférée à l'argent; donc, sinon faire lui-même, au moins surveiller les émissions, en dé­terminer le volume, prendre des initiatives, diri­ger dans une certaine mesure.

Roger VEZINA

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