L’article suivant a été publié par Louis Even, dans Vers Demain, premier janvier 1940. Il est toujours d’actualité, puisqu’il explique la nécessité d’un dividende national dont nous sommes encore privés.
L’argent fut certainement inventé par les hommes pour faciliter l’écoulement de la production. Plus il y a de production, plus il faut d’argent pour l’écouler.
Si la production d’un pays restait toujours la même, au même volume, au même rythme, on peut penser que le volume d’argent en circulation n’aurait pas besoin de varier.
Mais la capacité de produire du Canada augmente normalement par le fait de l’augmentation constante de sa population et par suite des progrès de la science appliquée.
Si la population d’un territoire passe de 100 à 10,000 sans que la quantité d’argent augmente, il y aura certainement paralysie des échanges et bouleversement dans les prix.
Notre population ne se multiplie pas par 100 chaque année; mais nous prenons cet exemple hypothétique pour les myopes qui sont moins frappés par une augmentation annuelle de 200,000 dans la population canadienne.
L’augmentation de la population crée déjà, par elle-même, la nécessité d’augmenter l’argent, à moins qu’on préfère accroître l’armée des chômeurs et rationner les consommateurs.
Le machinisme n’est pas non plus un recul, au grand dam de ceux qui voient dans le labeur humain la fin du système économique. On enregistre continuellement l’introduction de nouveaux moyens de production dont le rendement dépasse celui des moyens déplacés. Cette augmentation de la production par le progrès appelle une augmentation d’argent.
Le maintien de notre système capitaliste exige aussi une augmentation annuelle de l’argent, sous peine de le voir chanceler. Un capital placé à 5% doit se doubler dans vingt ans; à 3 pour cent, dans trente-trois ans. Comment pourra-t-il se doubler s’il ne grossit chaque année? Comment grossira-t-il chaque année s’il n’y a pas d’augmentation d’argent quelque part?
Qui osera soutenir que l’argent doive rester au même volume lorsque la capacité de production se développe? Même M. Beaudry-Léman concède que l’argent soit augmenté lorsque la production augmente. Il reproche aux doctrinaires du Crédit Social de se croire les premiers à le réclamer: «Tout le monde est d’accord là-dessus, dit-il, et cela se pratique, depuis longtemps.»
Nous remarquons bien que M. Beaudry-Léman nuance différemment son expression: il parle plus de production que de capacité de production. Est-ce à dessein? Cela permet de rester indifférent devant une foule de bras arrêtés, devant une jeunesse dans l’attente, puisque ce n’est pas encore de la production fournie. Mais nous n’avons pas l’intention ici de nous étendre sur le discours du banquier, qui nous arrive au moment où nous écrivons ces lignes.
Normalement, le volume d’argent doit donc augmenter chaque année. Mais pour que l’argent augmente, il faut bien en ajouter quelque part.
Où doit se faire cette augmentation? Qui doit la faire? D’après quelles normes doit-elle se. faire?
L’augmentation d’argent se fait pour permettre à l’augmentation de capacité de production d’entrer en œuvre. Notre demi-million de chômeurs n’attend que cela. Nos machines arrêtées n’attendent que cela.
Qu’est-ce qui met la production en branle? Les commandes.
D’où viennent les commandes? Des consommateurs.
Quand les consommateurs font-ils des commandes? Lorsqu’ils ont l’argent pour payer.
Où donc doit se faire l’augmentation d’argent pour augmenter les commandes? Entre les mains des consommateurs, des hommes et des femmes du Canada.
Conclusion: Si vous voulez immanquable ment créer l’appel sur la production en attente, augmentez directement le pouvoir d’achat du consommateur.
Autre aspect. — L’augmentation de la population, le développement des méthodes de production, l’avancement de la science appliquée, constituent un progrès pour le pays. Mais qui peut s’attribuer la propriété de ce progrès? Est-ce que tous les citoyens ne doivent pas se ressentir avantageusement de ce progrès?
Le progrès est une propriété commune: l’augmentation d’argent qui représente le progrès, doit entrer dans la circulation en augmentant le bien-être de chaque membre de la société.
Conclusion: Chaque émission d’argent nouveau apportera à chaque citoyen un dividende, sa part d’un bien commun.
Le journal Vers Demain a déjà insisté, avec exemple à l’appui, sur ce caractère de l’argent nouveau et sur l’injustice faite à la collectivité lorsque le banquier se constitue propriétaire de tout argent nouveau.
Qui peut faire une augmentation d’argent par l’octroi de dividendes à tous les membres de la société? La Société seule, puisque c’est un bien commun à distribuer.
Mais quelle agence le fera pour la société? La banque? La banque n’existe pas pour faire des octrois aux consommateurs. La banque est une institution établie pour aider les opérations financières en recevant, plaçant, manipulant de l’argent déjà en circulation; et elle cherche, très justement un profit dans ses opérations.
Seul, le gouvernement, gérant la société, ou un organisme nommé par lui, avec objectif déterminé, peut s’acquitter socialement de l’augmentation dans l’argent du pays.
Tant qu’il y a capacité de production attendant des commandes effectives, une augmentation d’argent entre les mains des consommateurs est justifiée; la dose, la fréquence doivent être réglées de façon à éviter les sautes subites, les inflations de prix, tout en obtenant la mise en rendement de la. capacité de production.
L’organisme monétaire ayant un objectif et autorité voulue pour l’atteindre prend les moyens en se basant sur l’observation des résultats.
Les modalités de l’émission, la manière de distribuer des dividendes sont affaire de technique. Les dividendes peuvent très bien consister en simples entrées comptables, créant une monnaie de comptabilité dans les livres de crédit national, au compte de chaque individu.
Qui était Beaudry-Leman? Il était président de la Banque Canadienne Nationale, le 14 décembre 1939, quand il a prononcé un discours contre le Crédit Social, au dîner-causerie de la Chambre de Commerce cadette de Montréal. Dans Vers Demain du 15 janvier 1940, Louis Even défaisait ses arguments l’un après l’autre. On comprend que le président d’une banque ait été intéressé à défendre les principes du système bancaire que pratiquait cette même banque et à démolir la pensée créditiste qui condamne ce système bancaire voleur du crédit de la société, du crédit social.