L’argent est rare. Personne ne peut le contester. Qui comptera ceux qui se plaignent de manquer d’argent ? Et où sont ceux qui trouvent qu’ils ont trop d’argent ?
Notre agriculture, notre industrie, notre commerce seraient capables de fournir à peu près tout ce qu’on leur demande n’étaient-ce les restrictions causées par le prix de revient et la pénurie de pouvoir d’achat. Nos problèmes ne sont pas des problèmes de production ou de transport, mais des problèmes de vente, provenant non de l’absence de besoins, mais de l’absence d’argent.
L’argent est rare, c’est admis. Mais pourquoi ?
Cette question de pourquoi peut s’entendre de deux façons : Par suite de quels actes, et pour quel motif ? Les philosophes diraient : la cause efficiente et la cause finale. Nous allons analyser les deux moyens par lesquels l’argent est rendu rare et le mobile qui préside à l’emploi de ces moyens. Comme le mobile est le déterminant de l’acte, c’est par lui que nous allons commencer.
Les biens ont une valeur intrinsèque et une valeur marchande. La farine tire sa véritable valeur de ses qualités nutritives. Qu’il n’y ait que cent minots de farine ou qu’il y en ait cent millions à la disposition de la population, chaque minot possède toujours la même valeur nutritive. Mais la valeur d’appréciation n’est pas aussi stable. Moins il y a de farine pour un nombre donné de consommateurs, plus le minot devient précieux. La rareté de l’objet lui confère une plus grande valeur échangeable. Si la farine est abondante et les chaussures rares, deux sacs de farine pourront être évalués l’équivalent d’une paire de chaussures. Si les chaussures abondent en face d’une récolte manquée, vous devrez peut-être sacrifier deux paires de chaussures pour le sac de farine.
C’est la loi de l’offre et de la demande. Elle joue jusque dans la solde payée au travailleur. Si la main-d’œuvre est rare, on la paie bon prix ; mais si les solliciteurs d’emploi font queue aux portes des usines, les salaires dégringolent — du moins sous un régime où le travail est acheté et vendu comme une marchandise.
Or, l’argent est lui aussi devenu une marchandise. Les trafiquants d’argent l’achètent le moins cher possible et le vendent au plus haut prix possible. Mieux que cela, la fraternité des banquiers fabrique l’argent qu’elle vend, tout comme un cultivateur récolte des pommes de terre et les place sur le marché. Ceux qui manufacturent et vendent l’argent en obtiendront évidemment un plus haut prix si l’offre est inférieure à la demande, si l’argent est rare et la demande pressante. Leur art consiste à créer la demande et à ne présenter l’argent qu’à un volume qui lui conserve son prix — en quoi ils réussissent d’autant mieux qu’ils exercent un monopole, ils n’ont pas de concurrence.
Si l’argent abondait, il circulerait. Comme certains en auraient plus que pour leurs besoins immédiats et que d’autres en désireraient pour financer des entreprises ou des développements, il y aurait encore des prêts, mais par les usagers, non plus par les manufacturiers d’argent. D’autre part, les gouvernements, les corps publics trouveraient facilement les fonds voulus pour rencontrer les charges administratives par des prélèvements qui ne pèseraient guère sur des poches bien garnies. Ce serait la fin des signatures d’obligations et des hypothèques nationales en faveur des créateurs d’argent.
C’est l’argent rare qui tient gouvernements, industriels et agriculteurs à la merci des banquiers.
Tout ce qui tend à rendre l’argent rare rehausse sa valeur et ne peut qu’obtenir les bénédictions de ceux qui le contrôlent. Aussi ne voyez-vous jamais les banquiers récriminer contre le socialisme ou toute autre doctrine qui active le système de taxes. L’impôt est surtout prélevé sur ceux qui possèdent les moyens de production, sur ceux donc qui ont affaire aux banquiers pour des octrois de crédit. Leur portefeuille vidé par l’impôt, ils devront bien retourner à la source des crédits. C’est très agréable aux banques.
Mais remarquez, au contraire, l’animosité des banquiers contre le Crédit Social qui veut placer l’argent au pas de la production, le rendre abondant dans un monde d’abondance, et de plus le faire naître librement, alléger d’autant les impôts et laisser l’argent en circulation.
Ce serait ramener l’argent à son rôle — instrument d’échange, et non plus marchandise à trafiquer. L’instrument d’échange serait en proportion constante avec les échanges, comme le nombre de wagons d’une compagnie de chemin de fer est en rapport avec la quantité de marchandises à transporter. Là ce ne serait plus le facteur rareté qui ferait la valeur de l’argent, mais le facteur utilité.
Le mobile qui rend l’argent rare dans notre système actuel, c’est donc le profit du manufacturier trafiquant d’argent, du banquier.
Pour rendre l’argent rare, ceux qui s’en sont assuré le monopole ont institué un système qui crée la demande et ne répond à cette demande que par une monnaie temporaire dont la disparition fera renaître la demande toujours aussi impérieusement.
Vu que plusieurs de nos lecteurs ignorent sans doute encore quelle est l’origine de l’argent dans notre civilisation, une brève description du mécanisme d’émission est nécessaire pour bien faire comprendre comment les tenants de l’argent rare atteignent leur objectif.
Ni l’ouvrier, ni l’agriculteur, ni l’industriel, ni le commerçant ne manufacturent l’argent. Le gouvernement non plus. Pas même le gouvernement fédéral qui n’a d’autre ressource pour se procurer l’argent que de taxer les citoyens ou d’emprunter.
Particuliers et gouvernements empruntent. Seules les banques n’empruntent pas ; elles prêtent, et pas à la manière des prêteurs ordinaires. Lorsqu’un particulier ou un gouvernement emprunte de la banque, le banquier grossit simplement le compte de l’emprunteur. J’emprunte $20,000 : le banquier ne me passe pas d’argent, mais augmente mon compte de banque de $20,000. Le gouvernement emprunte dix millions : le banquier ne lui passe pas d’argent, mais grossit le compte de banque du gouvernement de dix millions.
Dans l’un et l’autre cas, pas une poche, pas un tiroir, pas un compte n’a été touché ; le compte nouveau n’a rien enlevé à personne, n’a pas changé un dollar de place : c’est bel et bien de l’argent nouveau, 20,000 dollars, dix millions qui n’existaient pas auparavant et que le banquier crée en les prêtant.
C’est cela la naissance de l’argent. Cet argent de comptabilité, que le banquier appelle CRÉDIT, forme la grosse partie de l’argent du pays, plus des neuf dixièmes, et sert à régler 95 pour cent de nos transactions commerciales.
Mais il a une caractéristique : c’est de l’argent qui, en naissant, est condamné à mort. Je devrai rembourser mes 20,000 dollars dans un an peut-être ; le gouvernement, ses dix millions dans quinze ou vingt ans. Le remboursement fait disparaître les crédits que le prêt avait fait naître. Le remboursement soustrait de la circulation l’argent que le prêt y avait lancé. De plus, l’emprunteur doit aussi soustraire de la circulation l’intérêt. Le banquier ne crée que le capital, mais il oblige l’emprunteur à retirer de la circulation le capital qui a été créé et l’intérêt qui n’a pas été créé. Il doit donc mourir plus d’argent qu’il en est né.
C’est une bonne manière de rendre l’argent rare. De fait l’argent disparaîtrait complètement si d’autres prêts, d’autres créations d’argent ne venaient pas en alimenter le cours. Si les prêts vont plus vite que les remboursements, comme en temps de guerre ou d’inflation voulue, l’argent augmente ; si les remboursements du capital et de l’intérêt dépassent la somme des prêts, l’argent diminue. En temps normal, l’argent diminue, puisqu’il faut rembourser plus qu’il en a été créé ; et si l’argent ne disparaît pas tout à fait, c’est que des emprunteurs, privés ou publics, ne tiennent pas leurs obligations, d’ailleurs intenables, et les dettes privées ou publiques s’accumulent. L’accumulation de dettes est le fruit normal d’un système qui exige que l’argent apporte des petits sans lui permettre d’en faire.
Ces notions comprises, on conçoit que le mécanisme répond exactement à l’objectif du banquier. Le système bancaire a réussi à faire prévaloir la circulation des crédits sur l’emploi de l’argent frappé par le gouvernement. L’argent temporaire du banquier est devenu l’argent principal. Comme il disparaît continuellement par les remboursements continuels, la demande d’argent se fait sentir continuellement et ramène continuellement les gouvernements et les industriels à la porte des banquiers.
Outre que l’argent ainsi raréfié garde une plus grande valeur au bénéfice de ceux qui le manufacturent, il leur donne aussi un pouvoir absolu sur les particuliers et sur les gouvernements. Les banques constituent le véritable gouvernement du monde.
A écrit Pie XI : "Ceux qui contrôlent l’argent et le crédit sont devenus les maîtres de nos vies... Sans leur permission nul ne peut plus respirer."
Pour soustraire le monde à la domination des banquiers, il faut évidemment leur enlever ce pouvoir souverain, qu’ils ne détiennent que par délégation. C’est une erreur formidable, de la part du gouvernement, de déléguer à des particuliers le droit de faire l’argent et de les payer pour avoir de l’argent. C’est une abdication du pouvoir souverain de placer toute la population à la merci des faiseurs d’argent, de telle sorte que la société ne puisse obtenir son instrument d’échange qu’en signant quelque part des dettes impayables.
Le gouvernement fédéral doit reprendre et conserver son droit de manufacturer tout l’argent nécessaire pour la marche normale des affaires, pour que la production marche et que les produits atteignent les consommateurs.
Pour cela, il faut naturellement changer le mobile et la méthode. Le mobile sera : le bien commun, et non plus le profit d’actionnaires d’une institution à profit ; ce sera l’argent d’après la production, abondant comme la production, facile comme la production, automatique dans la mesure où la production est automatique.
La méthode sera : la création d’argent libre de dette, pas approprié dès sa naissance par des particuliers favorisés, mais placé dès sa naissance là où il doit être pour remplir son rôle, entre les mains des hommes et des femmes du Canada. Pas de l’argent qu’il faut rapporter et détruire, car on ne fait pas l’argent qui manque pour le faire manquer à nouveau. Tant que la production se maintient, l’argent doit être maintenu.
Il y a une technique scientifique pour ainsi créer l’argent et le mettre en circulation au bénéfice de tous, sans léser personne : c’est la technique proposée par le Crédit Social. L’assujettissement de l’argent à l’homme, au lieu de l’assujettissement de l’homme à l’argent. Ni inflation ni déflation, mais équilibre et service. C’est une tout autre philosophie que la philosophie bancaire de l’argent rare.