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L’économique – Pour acheter le progrès

Louis Even le jeudi, 15 mai 1941. Dans L'économique

Le progrès, œuvre humaine

Qu'est-ce que le progrès ? C'est une avance vers le but cherché.

Que cherche-t-on, depuis le commencement du monde, dans toutes les activités productives ? À satisfaire les besoins des hommes ? Certainement, mais à les satisfaire le plus possible, avec le moins d'efforts possibles.

Le maximum d'effets avec le minimum d'efforts.

L'homme qui a dompté et attelé le cheval, pour produire plus de travail avec moins de fatigues humaines, a réalisé un progrès.

L'homme qui a inventé la roue pour remplacer le traîneau sur la terre ferme a réalisé un progrès.

Quand donc y a-t-il progrès ? Il y a progrès lorsqu'il y a plus de produits avec moins de labeur humain.

Faire du progrès, c'est donc diminuer le travail de l'homme tout en augmentant les choses faites pour l'homme.

Y a-t-il progrès de nos jours ? Réussit-on à faire plus de choses avec moins de travailleurs, avec moins d'heures d'ouvrage ? Tout le monde sait bien que oui. Plusieurs l'ont tellement appris à leurs dépens qu'ils en sont venus à maudire le progrès.

Et pourtant le progrès est une bonne chose. Il veut libérer de plus en plus l'homme du labeur pour l'entretien de sa vie matérielle et lui laisser des loisirs pour sa vie d'homme.

Depuis toujours, l'homme cherche le progrès, parce qu'il est un homme et non pas une bête. L'éléphant, le castor, n'ont pas fait de progrès. L'homme en fait, c'est une de ses marques distinctives, c'est un des produits de son intelligence, donc de son âme.

La machine

L'homme qui invente une machine pour faire ce que faisaient dix hommes réalise un progrès. Plus de choses avec moins de dépenses d'énergie humaine.

Cet homme-là qui invente une machine, avec quoi l'a-t-il inventée ? Disons que cinq années de son temps et de ses recherches furent financées par un capital à sa disposition de $100,000. S'il n'avait eu que son temps et les $100,000, il n'aurait pas inventé la machine. Mais, en plus, il a la science, la science qu'il n'a pas faite, qu'il a trouvée toute faite pour lui en entrant dans le monde. Il a pu contribuer à l'augmenter, mais il n'est pas parti de zéro. La grosse partie de la science qu'il applique est une accumulation de l'esprit humain, de génération en génération.

Avec quoi donc l'homme a-t-il inventé sa machine ? Avec la science, plus son travail personnel, plus le capital mis à sa disposition pour payer ses recherches et son temps.

Quel sera le résultat de son invention ? Plus de produits qu'avant son invention. Plus de produits que n'en pourraient procurer, sans cette invention, le travail d'un homme pendant cinq ans et $100,000 de placement dans les conditions existant auparavant. Autrement, il n'y aurait pas de progrès.

Si donc il y a progrès, le produit de l'invention sera bien supérieur à ce que peut acheter le placement de $100,000 et cinq années de salaire. Le salaire de l'inventeur et l'intérêt ordinaire du capital ne sauraient acheter le produit de l'invention.

La machine déplace dix hommes, avons-nous dit. Elle produit donc au moins ce que produisaient ces dix hommes. Même si les dix hommes pouvaient autrefois, avec leur salaire, acheter l'équivalent de leurs produits, comment va-t-on, avec dix salaires de moins, acheter le produit de la machine qui est au moins égal au leur ?

Avec son salaire, ses royautés, l'inventeur achète une part du progrès. Avec le rendement de ses $100,000, le capitaliste achète une part du progrès. Mais les deux ensemble n'achètent que la consommation de deux hommes. Comme la machine a remplacé le travail qui faisait vivre dix hommes, et que deux hommes ne peuvent ni manger comme dix, ni se chauffer comme dix, ni dormir comme dix, ni élever des enfants comme dix, il est clair que les deux ensemble n'achètent pas l'équivalent de tout le produit de la machine.

Voilà donc un progrès réalisé, mais rendu inachetable.

Que faire ?

Politique de dividendes

La politique des salaires aux travailleurs et des intérêts aux bailleurs de fonds ne réussira jamais à régler ce problème, puisque le progrès réduit le nombre des salariés. Et c'est parce qu'on s'en tient à la politique des salaires et des intérêts que des milliers et des millions de crève-faim maudissent le progrès au lieu de le bénir.

C'est pourquoi le Crédit Social demande de distribuer des dividendes à tout le monde pour que tous puissent acheter leur part du progrès.

Leur part du progrès. Le progrès est l'œuvre de la science accumulée, du travail personnel de l'inventeur et du bailleur de fonds. Le bailleur de fonds et l'inventeur tirent leur récompense par la manière ordinaire. Mais la science accumulée, qui est un capital commun, entre pour une très grosse part dans l'invention. Ce qui reste après que le capitaliste et le travailleur ont été satisfaits, c'est donc la part de la science accumulée qui appartient à tout le monde.

C'est pourquoi toutes les bonnes choses qui restent invendues, toutes les bonnes choses que les salaires et les intérêts n'achètent pas, appartiennent à tout le monde, et tout le monde doit avoir le droit de prendre sa part, au lieu de les laisser se perdre et d'arrêter le progrès.

Et qui doit voir à ce que tout le monde ait sa part du progrès ? Le gouvernement, puisque c'est lui, et lui seul, qui remplace tout le monde, qui a charge du bien commun à tous.

Escompte et dividende

Il y a deux manières de permettre aux hommes et aux femmes d'acheter leur part du progrès : en diminuant le prix des produits, pour permettre d'en avoir davantage avec chaque piastre ; en augmentant le nombre de piastres entre les mains des hommes.

La première manière peut être généralisée sous forme d'escompte, escompte qui ne nuirait pas aux marchands parce que le gouvernement créerait l'argent nécessaire pour solder cet escompte. C'est ce qui se fait en Alberta sous forme de boni, ou ristourne aux acheteurs.

Mais cette manière ne donne une part du progrès qu'à ceux qui ont déjà de l'argent pour acheter. Comme le progrès diminue le nombre de ceux qui reçoivent des salaires, il diminue la provenance d'argent par le travail, et plusieurs n'ont aucun revenu à faire valoir : l'escompte de vente, ou boni d'achat, ne leur dirait pas grand'chose. Puisque tous sont propriétaires de la plus grande partie du progrès, il faut que tous aient leur droit.

C'est pourquoi l'autre manière, le dividende à tout le monde, est nécessaire pour atteindre tout le monde. La première manière est plus technique, la seconde est plus sociale. La première garantit contre l'inflation, contre la production de richesse inutile ; la seconde donne à tout le monde le moyen de faire valoir sa part et de guider la production par le choix des produits.

La combinaison des deux manières, que prêche le Crédit Social, fait les deux à la fois : elle garantit la part de tous et de chacun, et elle empêche l'inflation.

★ ★ ★

Le progrès dans le volume de la production demande le progrès dans le volume de l'argent.

Le progrès est énorme dans le domaine de la production. Il faut le rendre énorme dans le domaine de la distribution.

Ceux qui s'attardent à la vieille méthode de distribution financière sont les ennemis du progrès dans la distribution, ils paralysent l'essor du progrès dans la production et préparent le progrès dans la révolution.

Faire pousser deux brins d'herbe où il en poussait un seul, c'est du progrès, lorsque c'est de l'herbe qu'on veut.

Si l'herbe est abondante et que ce sont les piastres qui manquent, le progrès consiste à faire pousser deux piastres où il n'en poussait qu'une seule. Et c'est pourquoi le Crédit Social est un progrès. Et comme le progrès est dans l'ordre, le Crédit Social est dans l'ordre. Et comme le progrès distingue l'homme de la bête, le Crédit Social distingue l'intelligent de l'imbécile.

Réclamez donc le dividende national pour acheter votre part du progrès et permettre à chacun d'acheter sa part du progrès.

Louis Even

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