Cas de misère extrait d’une longue litanie, à moins de deux milles du Parlement souverain d’Ottawa, où doit primer la poursuite du bien commun de tout le pays :
"Famille de quatre enfants : 4 ans, 2 ans, 1 an. Excessivement pauvre. Les enfants, à l’exception de celui qui a 4 ans, n’ont pas de manteaux pour sortir. Ils n’ont pas de souliers. Ils cessent de chauffer la maison le soir après six heures, jusqu’au lendemain matin. La maman n’a pas de couverture de lit, elle couvre ses enfants avec de vieux tapis. Elle n’a aucun ustensile de cuisine, elle n’a pas de théière. Elle lave sa vaisselle dans un bol à main, n’ayant pas de plat assez grand. Elle n’a rien non plus pour essuyer sa vaisselle ou pour laver ses enfants". (Le Droit, 10 janvier 1940).
Au Canada, s’il vous plaît. Pas de matériel ou pas d’ouvriers pour fabriquer des manteaux ? des couvertures ? des souliers ? des plats ? des ustensiles ? du linge ? Pas de bois pour chauffer les cabanes où l’on élève des enfants ? Et ce n’est pas un cas isolé !
Beau système économique ! Fameux politiciens et hommes d’état ! On mobilise le pays pour combattre un dictateur loin d’ici. Mais la dictature qui prive les Canadiens des biens du Canada, celle qui pèse depuis longtemps sur nos foyers, celle qui débilite toute une génération — on l’ignore, on l’endure, on la respecte, on la protège.
La fin, le but, l’objectif du système économique, c’est de trouver, préparer et livrer les biens terrestres pour satisfaire les besoins temporels des hommes.
Besoins temporels des hommes : manger, boire, se vêtir, se loger, s’instruire, se soigner, se reposer, se distraire, etc.
Biens terrestres : aliments, breuvages, vêtements, matériel de construction et de chauffage, transmission et accumulation du savoir, vertus curatives des matières animales, végétales ou minérales, variétés des climats et des saisons, beautés de la nature, etc.
Besoins temporels nombreux, biens terrestres innombrables. Le même Créateur nous a donné notre nature humaine avec ses besoins temporels et a doté de biens correspondants la terre sur laquelle il plaça l’homme.
L’objectif des activités économiques des hommes, la poursuite des biens terrestres, est vieux comme le monde. C’est dans l’ordre. Non pas que ce soit la fin dernière de l’homme, c’est une fin temporelle que l’homme doit ordonner en vue de sa fin dernière.
L’homme n’est pas un animal, pas même un castor. Il développe ses moyens de produire, de cultiver, de tisser, de construire, de voyager. Il ne se sert pas que de ses membres, mais aussi de son cerveau, pour trouver la satisfaction de ses besoins. C’est encore dans l’ordre. Ceux qui veulent condamner l’homme à passer sa vie à épuiser ses forces physiques pour la satisfaction de sa vie animale prennent l’homme pour un simple bipède.
Trouver, préparer, transformer, transporter les biens terrestres est devenu chose de plus en plus facile. Personne ne craint que le monde manque de blé, de viande, de beurre, de bois, de charbon, de chemins de fer, de voitures, de médecins, d’instituteurs.
On a tout cela. On en accumule, on en détruit, on en immobilise.
L’accumulation, la destruction, l’immobilisation ne viennent pas de ce que les hommes, les femmes et les enfants en ont assez, bien au contraire. Beaucoup de biens d’une part, d’immenses besoins de l’autre. Les biens sont faits pour les besoins, mais les biens ne viennent pas combler les besoins.
Pourquoi ? Parce que l’homme s’est fait des règlements. D’après ces règlements, s’il n’a pas en main une permission, il ne peut obtenir rien de toutes ces choses faites pour lui.
La permission, dans les pays civilisés, c’est l’argent. Pas d’argent, vous crevez en face des montagnes de produits. Pas d’argent, c’est la permission de vivre qui vous est refusée.
Les règlements adoptés par les civilisés barbares sont tels que les permissions sont rares et difficiles à obtenir, même quand les biens sont abondants et faciles à multiplier.
En se servant de son cerveau, qui le distingue de l’animal, l’homme fait surgir les biens utiles. Mais à mesure qu’il facilite la production de biens utiles, les règlements qu’il a faits diminuent le nombre de ceux qui ont en main des permissions d’obtenir ces biens.
Par respect pour ces règlements, il préfère priver une foule d’êtres humains. L’homme civilisé va jusqu’à se réjouir de pouvoir fabriquer des instruments de destruction pour obtenir la permission de prendre les biens utiles qui attendent.
Actuellement, combien de villes, combien de groupements ouvriers réclament le privilège d’une fabrique d’obus ou de mitrailleuses ! Pas par patriotisme, mais pour avoir le droit de manger et de s’habiller. Que les obus soient fabriqués à Québec plutôt qu’à Sherbrooke, c’est la même chose pour la patrie, mais ce n’est pas la même chose pour Sherbrooke. Les Québécois auront un peu plus de pain et les Sherbrookois se serreront la ceinture.
Pauvres humains, pauvres règlements !
Le réservoir de la production est grand. Le réservoir de la consommation est béant et prêt à recevoir ce qu’il y a dans l’autre.
Mais si le tuyau d’alimentation du réservoir de la production a un gros diamètre, le tuyau de communication entre les deux réservoirs est très petit. Le réservoir de la production s’emplit et déborde tandis que l’autre est loin d’être plein. On arrête de produire, on diminue le gros tuyau ; mais en vertu des règlements encore, on est obligé de diminuer en même temps le petit tuyau. Alors on n’aboutit à rien.
La production est faite par des agriculteurs, des ouvriers, des techniciens, des professionnels, des experts, des machines perfectionnées. Elle est bien faite et ne manque pas.
Les permissions d’avoir cette production sont fournies par ceux qui font l’argent. Ils n’en font que parcimonieusement et ont établi un système pour annuler plus de permissions qu’ils en accordent. Ce sont eux qui étranglent la distribution, eux qui affament l’humanité en face de l’abondance, eux qui causent les privations et les larmes, les discordes et les guerres, les mécontentements et les révoltes. Ces faiseurs d’argent rare, ces mesureurs de permissions, ce sont les banquiers.
S’ils ne sont pas méchants, leur système est vicieux. S’ils sont civilisés, leur système est barbare. S’ils sont hommes, leur système est diabolique. S’ils sont courtois, leur système est criminel.
On montrerait du doigt un homme qui priverait ses animaux du nécessaire avec une grange et un silo pleins à craquer. Mais les enfants des hommes peuvent végéter dans les taudis, sous-alimentés et en guenilles, le banquier est salué, son système protégé par la loi.
L’homme est pourtant plus qu’un animal. Personne appelée à l’immortalité, il lui faut sur la terre un certain degré de félicité temporelle pour faciliter son ascension vers sa fin dernière. Ce degré de félicité temporelle lui est refusé par le système d’étranglement, et l’ascension est si pénible qu’elle dépasse les forces d’un grand nombre.
"Les conditions sociales et économiques actuelles sont telles qu’il est devenu très difficile pour un nombre considérable d’hommes de faire leur salut". (Pie XI)
Les étrangleurs sont les banquiers. Non pas les employés de banque, pas même les gérants ou les inspecteurs de banque. Il y a entre les employés de banque et le système qui les enrôle toute la différence qu’il y a entre un soldat et la guerre. Le soldat est un brave, la guerre une bêtise.
La banque étrangle l’humanité. Le système bancaire canadien étrangle la distribution des richesses canadiennes aux hommes et aux femmes du Canada. Mais, si c’est inhumain, si c’est criminel, c’est tout de même légal, parce que le gouvernement fédéral lui-même a ainsi légiféré. Le gouvernement légalise le système d’étranglement.
Le gouvernement fédéral garde jalousement le droit exclusif de légiférer en matière bancaire et monétaire. Il l’a rappelé brutalement à l’Alberta lorsque le gouvernement démocratique d’Edmonton pensait avoir le droit d’obliger le système à servir les citoyens de sa province.
Si donc le système nous met en pénitence, si les permissions de vivre sont minces malgré les énormes richesses du pays et les énormes réserves productrices non utilisées, c’est primordialement au gouvernement fédéral qu’il faut s’en prendre.
Mais n’oublions pas que le gouvernement fédéral est notre élu. Les ministres et les députés ne se succèdent pas de père en fils. C’est nous qui les choisissons. Et c’est ici qu’intervient notre propre complicité. Par ignorance sans doute, nous n’avons pas compris que notre vote consistait à choisir qui aurait le privilège de nous passer les menottes.
Dans le passé, au lieu de dicter un objectif à nos représentants, nous nous sommes évertués à faire triompher la couleur ou le tapage en temps d’élection. Une fois le vote terminé, nous somnolons pendant quatre ou cinq ans, ne nous réveillant que pour nous plaindre.
Tant qu’il en sera ainsi de la majorité, l’étranglement continuera, les étrangleurs affermiront leur puissance, les étranglés s’entre-chicaneront entre eux, la civilisation barbare se maintiendra.
Nous sommes justement en temps d’élection fédérale. Des candidats suppliants devant nous. Demain les élus nous diront rapidement merci, puis au revoir. Nous ne les trouverons plus. L’occasion est belle, pendant qu’ils sont là, devant nous, de les prier de se taire un peu, de suspendre diatribes et vantardises et d’écouter quelques simples questions de ceux qui paient :
« Le gouvernement fédéral est-il souverain au Canada, oui ou non ?
« Si le Canada ne manque de rien, que d’argent, le gouvernement souverain d’Ottawa ne peut-il légiférer pour que l’argent cesse de manquer en face des produits ?
« S’il y a des lois pour protéger l’argent et les placements, ne peut-il y en avoir pour protéger l’être humain contre la faim et le dénuement devant l’abondance ?
« Le parlement d’Ottawa est-il aveugle et sourd ? Ou est-il lié, et par qui ?
« N’y a-t-il que la guerre pour intéresser le parlement fédéral ?
« Si les banques n’empruntent jamais parce qu’elles font l’argent, pourquoi le gouvernement fédéral ne fait-il pas lui-même l’argent au lieu d’emprunter et de nous endetter ?
« Ça presse-t-il, ou ça ne presse-t-il pas, de changer des règlements qui nous empêchent de bien vivre dans un pays où l’on a tellement de produits qu’on invite les étrangers à les acheter ou à venir les consommer chez nous ?
« Qu’est-ce que vous allez faire, vous, première chose, si on vous envoie à Ottawa ?
« Ferez-vous preuve de connaissances et de jugement, ou bien ne ferez-vous qu’ouvrir et fermer la bouche au gré des béliers du parti ?
« Viendrez-vous nous voir pour discuter avec nous les problèmes dont nous avons à souffrir ?
« Que ferez-vous des étrangleurs et de leur système d’étranglement ?
« Vous êtes à genoux devant les étranglés aujourd’hui. Mais demain, lesquels, des étrangleurs ou des étranglés, recevront votre appui ? »
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