Le Programme Intérimaire, qui fonctionne normalement en Alberta, prouve qu’il est possible d’appliquer le Crédit Social à une province. C’est encore pour le moment un programme intérimaire, appelé à se fortifier, à évoluer et à donner à la province le contrôle complet de son crédit. Alors elle pourra faire bénéficier les citoyens de tout leur crédit social.
Dans le commerce moderne, les échanges se font au moyen de la monnaie. Rappelons que la monnaie peut affecter diverses formes. Au Canada, les diverses sortes de monnaie peuvent se classer en deux catégories:
a) La monnaie légale, soit la monnaie métallique et les billets de la Banque du Canada, auxquels on ajoute en pratique les billets des banques commerciales ou privées;
b) La monnaie de crédit, faite surtout de crédit bancaire, appelée monnaie scripturale, parce qu’elle consiste en inscriptions faites dans un livre de comptabilité. Cette monnaie est formée de chiffres qu’un banquier ou un comptable fait passer d’une colonne à une autre, suivant les ordres reçus des clients.
La province de Québec n’a pas plus que celle d’Alberta, le pouvoir d’émettre de la monnaie légale. Mais qui peut soutenir qu’elle ne pourrait se servir de son crédit?
Il est un fait certain, évident: c’est que le crédit de la province est supérieur à celui de nos banques commerciales. L’aventure de la banque Nationale avec la Machine Nationale de Montmagny a fourni l’occasion de prouver ce fait. Le gouvernement provincial se servit de son crédit pour garantir les opérations de la banque Nationale jusqu’à concurrence d’une somme de quinze millions. Et les doutes au sujet de la solvabilité de la banque tombèrent immédiatement.
Mais le crédit de la province n’est-il pas engagé à pleine capacité? On prétend qu’elle ne peut plus emprunter que difficilement et que son crédit est à peu près nul. Pardon, le crédit réel de la province de Québec est encore intact. Le crédit bancaire de la province peut être épuisé, mais pas le crédit provincial proprement dit, car ce dernier n’a jamais servi encore.
La faculté que possède la province de s’endetter et de payer des intérêts peut ne pas être au goût des banquiers ou des maîtres de la monnaie, parce que la province refuse peut-être de payer des intérêts assez élevés, qu’elle veut lutter contre la dictature financière qui nous oppresse. Mais vraiment personne ne pourrait prouver que la province a épuisé son crédit, alors qu’elle n’y a jamais touché. La province s’est toujours servi du crédit bancaire; elle a toujours emprunté sur obligations, et jamais elle n’a émis de crédit pouvant servir de monnaie.
La plupart des citoyens de Québec se rappellent les fameux pitons du régime Taschereau. On a dit que le gouvernement d’alors empruntait sans payer d’intérêt lorsqu’il se servait des pitons, puisque ceux-ci n’étaient honorés que longtemps après leur émission. Ces pitons étaient méprisés, dédaignés surtout des financiers, et restaient accumulés pour un temps indéfini dans les caisses d’assistance publique et chez les marchands.
Mais quelle différence y a-t-il entre un piton et un billet de banque? Le premier est une dette de la province, une promesse de paiement émise par la province; le deuxième est une dette de la banque, une promesse de paiement émise par la banque. Donc, pas de différence spécifique. Et si le gouvernement empruntait sans intérêt quand il émettait des pitons, la banque emprunte sans intérêt au moyen de l’émission de ses billets, car ils restent en circulation, malgré qu’ils changent de main.
Le résultat était différent toutefois, simplement parce que la banque possède une organisation pour le commerce de ses billets, tandis que le gouvernement ne s’est pas occupé de la circulation de ses pitons. Avec une organisation pour l’échange de ceux-ci, ils vaudraient donc tout autant que les billets de banque, et peut-être plus. Le gouvernement n’a pas réellement voulu se servir de son crédit, parce qu’il n’a pas créé en même temps le mécanisme nécessaire à la circulation de ses notes de crédit, de ses pitons.
Pour que le crédit provincial soit vraiment utile, il est une condition nécessaire, et c’est de vouloir s’en servir. Il faut prendre les mesures nécessaires pour faire naître et faire durer la confiance des citoyens. Chacun sait que toute circulation fiduciaire est basée sur la confiance du public.
Lorsque la banque Nationale a craint de perdre la confiance de ses clients, elle a eu recours au crédit de la province, et le simple endossement du gouvernement provincial a ramené la confiance nécessaire au bon fonctionnement de la banque. Le gouvernement provincial n’a pas déboursé un sou; son rôle a consisté à rétablir la confiance qui paraissait ébranlée. La circulation fiduciaire de la banque a repris sa pleine valeur, et tout le mécanisme de la banque a continué à fonctionner avec satisfaction.
Donc, jamais les billets de banque n’ont de valeur sans la confiance du public, et surtout en l’absence de bureaux pour recevoir et échanger les billets.
Pour que les pitons, ou bons de crédit de la province, aient la valeur d’une circulation fiduciaire, et pour qu’ils puissent servir de monnaie, il faut des bureaux pour les recevoir et les honorer. C’est élémentaire. Le crédit de la province pourrait alors vraiment servir, sans passer par la permission des banques, si le gouvernement le désire et dans la mesure où la production de la province peut répondre de ce crédit.
Notre province possède essentiellement tout le mécanisme voulu pour se servir de son crédit. N’avons-nous pas une chaîne presque complète de caisses coopératives, de caisses populaires, avec une caisse centrale, sous un régime d’inspection et de surveillance par les soins du gouvernement provincial? Le fédéral n’a rien à voir dans les chartes de ces organisations.
Il suffirait, pour le gouvernement provincial, d’adapter la comptabilité des caisses aux besoins de la circulation du crédit de la province après émission de ce crédit par le gouvernement. Il garantirait les opérations de chacune des caisses, considérées, dans la circulation du crédit de la province, comme des succursales du trésor provincial, tout comme une banque garantit les opérations de ses succursales.
Nous verrons, dans une prochaine étude, comment pourrait fonctionner l’émission, l’usage et, au besoin, le rappel du crédit provincial.
Ancien de Laval, M.D.