Dans un précédent article, publié dans "La Nation", je démontrais, en vertu du Théorème de l’Épargne ou Théorème A plus B plus C, que notre monnaie devrait être gagée sur la production du pays.
Dans les Cahiers du Crédit Social du mois d’août 1939, le vulgarisateur et propagandiste de cette doctrine, M. Louis Even, exprime le même avis lorsqu’il écrit :
"L’augmentation de production va nécessiter la continuation d’une augmentation d’argent, jusqu’à ce que toute la production soit utilisée, ou jusqu’à ce que la consommation soit saturée, ce qui n’est pas tout de suite. Le mécanisme monétaire social ainsi établi sera en position pour solutionner les divers aspects des problèmes monétaires à mesure qu’ils se présenteront".
Ce qui veut dire, en résumé, que notre monnaie doit être gagée sur la production nationale.
Au témoignage de M. Even sur la nécessité de gager la monnaie sur la production, j’en ajouterai un deuxième, celui de M. Herridge. Dans un discours qu’il prononçait à Vancouver, le 3 mai dernier, M. Herridge déclare en effet ce qui suit :
"Jusqu’ici la production a été abaissée au niveau du pouvoir d’achat, il est temps d’élever le pouvoir d’achat au niveau de notre capacité de production. Pour cela il faut réformer le système monétaire. La Banque du Canada doit être l’instrument pour arriver à cette fin. La finance orthodoxe nous dira que ça ne s’est jamais fait. Elle ne doit pas nous dire que ça ne peut pas se faire, parce que ça se fera, et ça se fera sous le système capitaliste. À l’avenir, ce système servira la prospérité plutôt que les gros profits. Le système capitaliste est un bon système, quand c’est le peuple qui le conduit. C’est un mauvais système quand il conduit le peuple".
M. Herridge aurait pu ajouter que la finance ment effrontément quand elle affirme que "ça ne s’est jamais fait". L’Allemagne a depuis longtemps substitué l’étalon-production à l’étalon-or.
Au moment de remettre sa démission entre les mains du Fuhrer, le Dr Schacht, directeur de la Reichsbank, dans un discours prononcé le 22 novembre 1938, donnait, publiquement, les raisons de sa décision :
"Le printemps de l’année 1938, dit-il, a marqué un tournant de notre histoire financière, parce qu’à cette époque, les limites de la capacité de production de l’économie allemande étaient atteintes. Or, dès qu’une économie nationale a utilisé ses dernières ressources matérielles et humaines (si c’est le cas en Allemagne, est-ce bien le nôtre ?), toute nouvelle émission de crédit national devient, non seulement déraisonnable, mais nuisible. L’argent créé artificiellement est, alors, incapable de susciter, la production de nouvelles richesses, puisqu’il n’existe plus de surplus inutilisé de matières premières et de bras disponibles. Dans ces conditions, le seul résultat de l’inflation est de provoquer une ruée effrénée sur la main-d’œuvre et les marchandises, entrainant une hausse incœrcible des prix et des salaires".
Il ressort de ce texte que la monnaie doit être gagée sur la production et que, conséquemment, toute nouvelle émission de monnaie est justifiée aussi longtemps que les limites de la capacité de production ne sont pas atteintes.
À ce témoignage des plus probants, nous pourrions ajouter celui de la Gazette de Francfort :
"L’or ne peut servir de soutien de la valeur de la monnaie qu’en autant qu’il constitue une richesse comme les autres. En fait, la monnaie doit être garantie par la fortune de la nation (n’est-ce pas là un truisme créditiste ?). Vouloir ne prendre pour base que l’or, c’est asphyxier le pays, si le stock d’or est insuffisant. La nouvelle monnaie du Reich est au service de la politique économique du pays, alors que le régime antérieur asservissait l’économie à la monnaie..."
En des termes différents, MM. Even et Herridge ne font qu’exprimer cette idée.
Nous prions les adversaires du Crédit Social (qui prétextent que cette doctrine invite tout le monde à la paresse) de bien prendre garde que, pour produire, il faut travailler. En d’autres termes, gager la monnaie sur la production, c’est presque gager la monnaie sur le travail (travail de la machine et des hommes).
Pour en revenir à l’Allemagne, si le Dr Schacht a démissionné en novembre 1938, c’est parce qu’Hitler exigeait de l’économie allemande
"un effort disproportionné aux ressources de la nation, effort qui devait entraîner un déséquilibre généralisé".
Après avoir permis à la monnaie de servir l’économie allemande, Hitler la place maintenant au service de ses ambitions territoriales, de ses rêves de conquête.
Dans le premier cas, les Allemands pouvaient échanger le surplus de leur production pour du beurre ; dans le second cas, ils doivent forcément se priver de beurre pour construire une ligne Siegfried, pour fabriquer des canons et des avions de guerre qu’ils ne peuvent malheureusement pas consommer. Dans ce deuxième cas, également, les Allemands constatent que leur monnaie n’est plus gagée sur une production normale, mais bien sur la seule autorité du Fuhrer.
Commentant la nouvelle politique monétaire du Dr Funk, successeur du Dr Schacht, M. Pierre Lucius déclare :
"Les crédits d’inflation, — créés artificiellement et arbitrairement par l’institution du système des bons d’impôts portant intérêt et hypothéquant les recettes fiscales à venir — mis à la production du secteur improductif des armements, devaient nécessairement, dans de telles conditions, y provoquer un développement de l’activité, aux dépens du secteur créant des biens de consommation pour le ravitaillement de la population civile".
En d’autres termes, l’industrie de guerre crée dans un pays une activité économique purement artificielle et temporaire dont les techniciens de la monnaie ne sauraient tenir compte pour de nouvelles émissions.
Roger VÉZINA, B.A., LL.L.
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