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L'économique - L'argent dans le commerce international

Louis Even le vendredi, 15 décembre 1939. Dans L'économique

Le commerce international

Le commerce international, c’est le commer­ce entre personnes ou groupes appartenant à des nations différentes. Je vends en Allema­gne : c’est du commerce international. J’achè­te au Japon, c’est du commerce international.

Le commerce international, l’échange de pro­duits au-delà des frontières est tout à fait dans l’ordre. Il est conforme au plan providentiel. Le Créateur a certainement mis quelque part sur la terre tout ce qu’il faut pour satisfaire les besoins de tous les hommes, puisque c’est de Lui que l’homme tient sa nature avec ses be­soins. Mais le Créateur n’a pas placé dans cha­que division géographique, appropriée par une nation, tout ce qu’il faut pour satisfaire tous les besoins temporels des individus composant cet­te nation. Ce qui n’est pas dans les bornes des frontières tracées par les hommes, se trouve quelque part au-delà. La même chose est vraie de chaque division géographique et de chaque nation.

Il serait donc contraire à l’ordre providen­tiel de vouloir restreindre le commerce aux échanges entre membres d’une même nation. Quiconque veut violenter l’ordre naturel se heurte à des obstacles qui créent des souffran­ces injustifiables.

L’argent est national

Une objection couramment présentée à ceux qui préconisent la réforme monétaire, le Cré­dit Social par exemple, c’est celle-ci : Votre ar­gent ne sera pas bon pour le commerce interna­tional.

Il existe une sorte de mentalité, soigneuse­ment entretenue, à l’effet que l’argent émis par des usurpateurs attitrés est beaucoup plus ac­ceptable à l’univers que l’argent qui serait émis par les gouvernements légitimes. Assez drôle, vraiment!

Disons tout de suite que l’argent, quelle que soit sa nature, argent de métal, argent de pa­pier, argent de comptabilité, est essentiellement, dans notre monde actuel, de l’argent national. Le dollar canadien ne circule pas en France ni en Allemagne; le franc français ou le mark al­lemand ne circulent pas au Canada.

Vous voyez souvent dans les magasins des marchandises faites au Japon, en Allemagne, aux Indes; vous en avez peut-être dans vos mai­sons; mais vous ne manipulez pas souvent de yens, de marks, de roupies. L’argent n’est pas international, c’est le commerce qui l’est. L’ar­gent ne traverse pas les frontières, ce sont les produits qui traversent.

Le change international

Mais quand on achète à l’étranger, il faut bien payer? Assurément. J’achète en France, je paie en dollars canadiens, mais mes dollars ne vont pas en France. Le marchand parisien ou lyonnais est payé en francs français.

Le changement des dollars pour un nombre correspondant de francs se fait par l’entremise de banques, de bureaux de poste ou de maisons de courtage.

C’est là, pense-t-on, que va surgir la difficul­té. C’est là que l’argent du Crédit Social va trou­ver son cercueil! Pourquoi? Quelle différence y aura-t-il entre l’argent d’un pays devenu cré­ditiste et celui d’un pays resté esclave?

Lorsqu’un bureau de poste, une banque ou un courtier reçoit mes dollars pour payer des soie­ries de France, est-ce que le comptable me de­mande comment j’ai obtenu ces dollars? Si c’est par salaire, par dividende industriel, par dividende national, par héritage, par "graft" politique? Si je l’ai eu d’une banque ou du gou­vernement?

Mais si la nation créditiste augmente le nom­bre de ses dollars, chaque dollar va-t-il acheter le même nombre de francs qu’auparavant? Oui, justement parce que cette augmentation sera faite par un système créditiste. C’est-à-dire par­ce que l’augmentation sera faite d’après l’aug­mentation de la production qui sert de base à l’argent.

Si la production actuelle du Canada est mul­tipliée par deux, et qu’en même temps le nombre de dollars en circulation au Canada est mul­tiplié par deux, est-ce que le dollar n’achètera pas exactement la même chose? C’est quand on augmente ou qu’on diminue la quantité d’ar­gent sans rapport à la quantité de production que le dollar change de valeur : c’est le cas au­jourd’hui, sous un régime bancaire, pas sous un régime créditiste.

Tout le monde sait bien, par exemple, qu’une ferme payée $8,000 en 1928 et possédant exac­tement la même capacité de rendement, ne se vendrait pas $6,000 aujourd’hui. Qui a changé la valeur du dollar, le système bancaire ou le Crédit Social?

Les réparations allemandes

Il paraît très simple de remarquer que l’ar­gent ne traverse pas les frontières, que seuls les produits traversent. Simple, oui; ça n’em­pêche que les grands politiciens et les grands économistes qui élaborèrent le Traité de Ver­sailles en 1919, apparemment, ne s’en étaient pas encore aperçu.

Après avoir dévasté la Belgique et le nord-est de la France, l’Allemagne avait perdu la guerre. On voulut lui faire payer la facture. On la condamna donc à solder une somme qui serait stipulée un peu plus tard, après avoir évalué les dégâts et la capacité de paiement du débiteur.

En 1919, Lloyd Georges voulait fixer la som­me à 120 milliards (dollars). L’accord de Lon­dres, en 1922, réduisit la note à 33 milliards. Le plan Dawes, en 1924, changeait ce chiffre fixe en une annuité perpétuelle de 625 millions. Le plan Young, en 1930, remplaça le plan Dawes, diminuant l’annuité à 525 millions pen­dant 36 ans, après quoi (en 1976) elle serait abaissée à 375 millions pendant 22 ans. L’Alle­magne recevrait quittance complète en 1998. Puis vint le moratoire Hoover, qui suspendit tout paiement. Puis surgit Hitler, qui suppri­ma toute obligation en attendant la pro­chaine facture.

D’où venait donc toute la difficulté ?

L’Allemagne n’avait que deux moyens de payer : soit en nature, par la fourniture de ma­tériel ou de main-d’œuvre; soit en marks alle­mands. Le second cas revient au premier, puis­que avec des marks allemands vous ne pouvez acheter que de la production allemande: l’argent ne traverse pas, ce sont les produits qui traversent. L’Allemagne ne refusait pas de fournir des travailleurs et des matériaux; mais les Français et les Belges n’en voulaient pas. Sous notre régime monétaire absurde, l’admission de travail étranger ou de produits étrangers crée du chô­mage au pays.

Les Alliés exigeaient donc des réparations, mais refusaient de les accepter.

Les diplomates de Versailles avaient oublié que l’argent n’est qu’un signe, pas la richesse. Réclamer le signe allemand, c’était réclamer un droit sur la production allemande — produc­tion dont les alliés ne voulaient pas.

La comédie ne pouvait finir autrement; mais on a négligé d’en proclamer la leçon, elle révè­le trop de choses voilées.

Rapatriement de 91 millions

Un autre exemple, pour démontrer qu’en dé­finitive ce sont les produits qui traversent, pas l’argent.

Avez-vous remarqué cette petite note perdue dans les petits caractères des journaux du 25 novembre :

"Les autres transactions de guerre com­prennent le rapatriement d’environ $91,000,000 de la dette canadienne par le rap­pel de valeurs canadiennes détenues en An­gleterre. Au moyen de cette transaction, un fonds est tenu en disponibilité par le Trésor Britannique, en livres sterling, con­tre paiement, par le gouvernement cana­dien, d’une somme équivalente en dollars canadiens. Ce dernier argent sera employé par le gouvernement anglais pour l’achat de matériel de guerre canadien."

Qu’est-ce que tout cela veut dire? En termes très simples :

Le gouvernement canadien doit 91 millions à des obligataires qui sont en Angleterre. Le gouvernement anglais ouvre au gouvernement canadien, à Londres, un compte équivalent d’en­viron 23 millions de livres sterling. De son côté, le gouvernement canadien ouvre au gouverne­ment anglais, à Ottawa, un compte de 91 mil­lions de dollars.

Le gouvernement canadien peut maintenant tirer des chèques sur le compte de Londres pour payer, en livres sterling, ses obligataires anglais. Le gouvernement anglais tire des chèques sur son compte d’Ottawa pour payer, en dollars ca­nadiens, les produits canadiens qu’il achète pour la guerre.

Résultat final : le gouvernement canadien paie sa dette en Angleterre avec des produits canadiens. L’argent ne traverse pas, ce sont les produits qui traversent.

Retenons cela de cette première étude sur le commerce international. De futurs articles ex­pliqueront les variations du cours du change et suggéreront des réflexions intéressantes.

Louis EVEN

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