Le commerce international, c’est le commerce entre personnes ou groupes appartenant à des nations différentes. Je vends en Allemagne : c’est du commerce international. J’achète au Japon, c’est du commerce international.
Le commerce international, l’échange de produits au-delà des frontières est tout à fait dans l’ordre. Il est conforme au plan providentiel. Le Créateur a certainement mis quelque part sur la terre tout ce qu’il faut pour satisfaire les besoins de tous les hommes, puisque c’est de Lui que l’homme tient sa nature avec ses besoins. Mais le Créateur n’a pas placé dans chaque division géographique, appropriée par une nation, tout ce qu’il faut pour satisfaire tous les besoins temporels des individus composant cette nation. Ce qui n’est pas dans les bornes des frontières tracées par les hommes, se trouve quelque part au-delà. La même chose est vraie de chaque division géographique et de chaque nation.
Il serait donc contraire à l’ordre providentiel de vouloir restreindre le commerce aux échanges entre membres d’une même nation. Quiconque veut violenter l’ordre naturel se heurte à des obstacles qui créent des souffrances injustifiables.
Une objection couramment présentée à ceux qui préconisent la réforme monétaire, le Crédit Social par exemple, c’est celle-ci : Votre argent ne sera pas bon pour le commerce international.
Il existe une sorte de mentalité, soigneusement entretenue, à l’effet que l’argent émis par des usurpateurs attitrés est beaucoup plus acceptable à l’univers que l’argent qui serait émis par les gouvernements légitimes. Assez drôle, vraiment!
Disons tout de suite que l’argent, quelle que soit sa nature, argent de métal, argent de papier, argent de comptabilité, est essentiellement, dans notre monde actuel, de l’argent national. Le dollar canadien ne circule pas en France ni en Allemagne; le franc français ou le mark allemand ne circulent pas au Canada.
Vous voyez souvent dans les magasins des marchandises faites au Japon, en Allemagne, aux Indes; vous en avez peut-être dans vos maisons; mais vous ne manipulez pas souvent de yens, de marks, de roupies. L’argent n’est pas international, c’est le commerce qui l’est. L’argent ne traverse pas les frontières, ce sont les produits qui traversent.
Mais quand on achète à l’étranger, il faut bien payer? Assurément. J’achète en France, je paie en dollars canadiens, mais mes dollars ne vont pas en France. Le marchand parisien ou lyonnais est payé en francs français.
Le changement des dollars pour un nombre correspondant de francs se fait par l’entremise de banques, de bureaux de poste ou de maisons de courtage.
C’est là, pense-t-on, que va surgir la difficulté. C’est là que l’argent du Crédit Social va trouver son cercueil! Pourquoi? Quelle différence y aura-t-il entre l’argent d’un pays devenu créditiste et celui d’un pays resté esclave?
Lorsqu’un bureau de poste, une banque ou un courtier reçoit mes dollars pour payer des soieries de France, est-ce que le comptable me demande comment j’ai obtenu ces dollars? Si c’est par salaire, par dividende industriel, par dividende national, par héritage, par "graft" politique? Si je l’ai eu d’une banque ou du gouvernement?
Mais si la nation créditiste augmente le nombre de ses dollars, chaque dollar va-t-il acheter le même nombre de francs qu’auparavant? Oui, justement parce que cette augmentation sera faite par un système créditiste. C’est-à-dire parce que l’augmentation sera faite d’après l’augmentation de la production qui sert de base à l’argent.
Si la production actuelle du Canada est multipliée par deux, et qu’en même temps le nombre de dollars en circulation au Canada est multiplié par deux, est-ce que le dollar n’achètera pas exactement la même chose? C’est quand on augmente ou qu’on diminue la quantité d’argent sans rapport à la quantité de production que le dollar change de valeur : c’est le cas aujourd’hui, sous un régime bancaire, pas sous un régime créditiste.
Tout le monde sait bien, par exemple, qu’une ferme payée $8,000 en 1928 et possédant exactement la même capacité de rendement, ne se vendrait pas $6,000 aujourd’hui. Qui a changé la valeur du dollar, le système bancaire ou le Crédit Social?
Il paraît très simple de remarquer que l’argent ne traverse pas les frontières, que seuls les produits traversent. Simple, oui; ça n’empêche que les grands politiciens et les grands économistes qui élaborèrent le Traité de Versailles en 1919, apparemment, ne s’en étaient pas encore aperçu.
Après avoir dévasté la Belgique et le nord-est de la France, l’Allemagne avait perdu la guerre. On voulut lui faire payer la facture. On la condamna donc à solder une somme qui serait stipulée un peu plus tard, après avoir évalué les dégâts et la capacité de paiement du débiteur.
En 1919, Lloyd Georges voulait fixer la somme à 120 milliards (dollars). L’accord de Londres, en 1922, réduisit la note à 33 milliards. Le plan Dawes, en 1924, changeait ce chiffre fixe en une annuité perpétuelle de 625 millions. Le plan Young, en 1930, remplaça le plan Dawes, diminuant l’annuité à 525 millions pendant 36 ans, après quoi (en 1976) elle serait abaissée à 375 millions pendant 22 ans. L’Allemagne recevrait quittance complète en 1998. Puis vint le moratoire Hoover, qui suspendit tout paiement. Puis surgit Hitler, qui supprima toute obligation en attendant la prochaine facture.
D’où venait donc toute la difficulté ?
L’Allemagne n’avait que deux moyens de payer : soit en nature, par la fourniture de matériel ou de main-d’œuvre; soit en marks allemands. Le second cas revient au premier, puisque avec des marks allemands vous ne pouvez acheter que de la production allemande: l’argent ne traverse pas, ce sont les produits qui traversent. L’Allemagne ne refusait pas de fournir des travailleurs et des matériaux; mais les Français et les Belges n’en voulaient pas. Sous notre régime monétaire absurde, l’admission de travail étranger ou de produits étrangers crée du chômage au pays.
Les Alliés exigeaient donc des réparations, mais refusaient de les accepter.
Les diplomates de Versailles avaient oublié que l’argent n’est qu’un signe, pas la richesse. Réclamer le signe allemand, c’était réclamer un droit sur la production allemande — production dont les alliés ne voulaient pas.
La comédie ne pouvait finir autrement; mais on a négligé d’en proclamer la leçon, elle révèle trop de choses voilées.
Un autre exemple, pour démontrer qu’en définitive ce sont les produits qui traversent, pas l’argent.
Avez-vous remarqué cette petite note perdue dans les petits caractères des journaux du 25 novembre :
"Les autres transactions de guerre comprennent le rapatriement d’environ $91,000,000 de la dette canadienne par le rappel de valeurs canadiennes détenues en Angleterre. Au moyen de cette transaction, un fonds est tenu en disponibilité par le Trésor Britannique, en livres sterling, contre paiement, par le gouvernement canadien, d’une somme équivalente en dollars canadiens. Ce dernier argent sera employé par le gouvernement anglais pour l’achat de matériel de guerre canadien."
Qu’est-ce que tout cela veut dire? En termes très simples :
Le gouvernement canadien doit 91 millions à des obligataires qui sont en Angleterre. Le gouvernement anglais ouvre au gouvernement canadien, à Londres, un compte équivalent d’environ 23 millions de livres sterling. De son côté, le gouvernement canadien ouvre au gouvernement anglais, à Ottawa, un compte de 91 millions de dollars.
Le gouvernement canadien peut maintenant tirer des chèques sur le compte de Londres pour payer, en livres sterling, ses obligataires anglais. Le gouvernement anglais tire des chèques sur son compte d’Ottawa pour payer, en dollars canadiens, les produits canadiens qu’il achète pour la guerre.
Résultat final : le gouvernement canadien paie sa dette en Angleterre avec des produits canadiens. L’argent ne traverse pas, ce sont les produits qui traversent.
Retenons cela de cette première étude sur le commerce international. De futurs articles expliqueront les variations du cours du change et suggéreront des réflexions intéressantes.
Louis EVEN