Je trouve cette réforme dans le compte-rendu, d'une causerie prononcée au club Kiwanis-Saint-Laurent, au cours de l'été. Remarquez bien que je ne dis pas "préconisée", mais seulement "suggérée" ou indiquée.
Comme dit le conférencier, "la peur et les craintes vagues sont mauvaises conseillères" et il en donne lui-même une preuve irrécusable. Dominé par la peur d'une course sur les banques, M. Leman prononce des aveux typiques qui méritent d'être soulignés et même encadrés. Dégageons ces aveux de leur gangue et groupons-les pour décrire la réforme monétaire qu'ils indiquent. Voici :
"La plupart de ceux qui songent à retirer leur argent ne prennent pas la peine de se rendre compte que ce qu'ils toucheraient, ce ne serait pas de l'or, mais de la monnaie de papier, et que rien n'empêcherait l'État ou la Banque centrale d'imprimer, presque sans limite, des billets en tout semblables à ceux que l'on retirerait."
"Thésauriser, cacher de l'argent, a pour résultat principal d'augmenter la quantité de papier-monnaie en circulation."
"Les gouvernements peuvent manquer d'or, ils ne manquent jamais de papier ni d'encre pour imprimer des billets."
"D'ailleurs, l'État a toujours la ressource de se créer des dépôts en banque en déposant des billets de la banque du Canada ou ses propres bons du Trésor."
Analysons maintenant ces aveux typiques : "Rien n'empêcherait l'État ou la Banque centrale d'imprimer, presque sans limite, des billets en tout semblables à ceux que l'on rétirerait." Voilà la réforme monétaire indiquée.
Ces billets nouveaux ne seraient pas donnés aux banques pour qu'elles les remettent à leurs clients, mais bien prêtés contre nantissement de titres, de sorte que la monnaie légale, les billets de la Banque centrale, remplaceraient la monnaie de crédit qui forme 90% des dépôts bancaires. Les banques ré-escompteraient les valeurs escomptées par leurs clients, et le gouvernement, au lieu d'emprunter des banques, deviendrait prêteur, et reprendrait son droit souverain d'émettre la monnaie.
Ces billets peuvent être émis "presque sans limite", de l'aveu de Beaudry Leman. Y aurait-il inflation ? Mais pas du tout, tant que ces billets ne feraient que remplacer la monnaie de crédit créée par les banques. Même somme, donc pas d'inflation. Au-delà de cette somme, il n'y aurait pas d'inflation non plus, tant que le montant des billets émis suivrait la cadence de notre développement économique, c'est-à-dire la capacité de production de notre économie nationale.
Mais les banques ne pourraient-elles pas ensuite multiplier la somme totale des billets en créant une nouvelle monnaie de crédit ? Rien de plus facile pour le gouvernement que de prévoir ce truc en changeant dans la loi des banques les mots "cinq pour cent" pour y substituer les mots "cent pour cent" à l'article de la Réserve bancaire. Il pourrait faire cela facilement par simple arrêté en conseil, en vertu de la loi des mesures de guerre, par exemple.
Et si le peuple, dans la course ainsi supposée, se rendait à la limite des dépôts bancaires, soit près de trois milliards de dollars, le gouvernement se trouverait prêteur d'une somme d'environ deux milliards et demi de dollars ; les banques seraient forcées de payer intérêt au gouvernement au lieu d'en exiger un tribut qui représente des taxes pour près de 200 millions par année.
Est-ce que les chèques, qui sont l'expression concrète de la monnaie de crédit, se trouveraient à disparaître ? Pas du tout, pas plus que la monnaie de crédit elle-même. Seulement cette dernière se trouverait pleinement garantie à 100 pour 100 par une somme de monnaie légale. Alors les banques prêteraient réellement les dépôts de leurs clients ou leur équivalent en monnaie de crédit, et il n'y aurait jamais de courses sur les banques, puisque la réserve serait en tout temps au chiffre de 100 pour 100 de monnaie légale.
N'est-ce pas qu'elle est intéressante, la réforme indiquée par Beaudry Leman ? Elle mettrait le gouvernement immédiatement propriétaire d'une somme d'environ deux milliards et demi de dollars pour financer notre effort de guerre, en plus des sommes empruntées ou prélevées jusqu'à présent, ou pour d'autres fins nécessaires et utiles, par exemple pour établir le Crédit Social et assurer vraiment la liberté et la sécurité économique de notre peuple.
Je demande à tous les créditistes et au public en général d'étudier, de méditer et de commenter ces aveux de Beaudry Leman. Car il est singulier de constater, au dire des banquiers, que la monnaie, quelles qu'en soient la nature ou la variété, soit si précieuse et vaille de l'or quand elle est prêtée par les banques commerciales, et qu'elle devienne si légère quand elle est émise par le gouvernemnt ou la Banque centrale. "Les gouvernements... ne manquent jamais de papier ni d'encre pour imprimer des billets." Est-ce que les banques en manquent ?
Quand le gouvernement aura remplacé la monnaie de crédit des banques, soit plus de deux milliards et demi de nouveaux billets suivant les besoins de notre économie nationale. "D'ailleurs l'État a toujours la ressource de se créer des dépôts en banque en déposant des billets de la banque du Canada ou ses propres bons du Trésor". ? ? ? ?
En déposant "ses propres bons du Trésor" dans les banques commerciales, comme il l'a fait jusqu'à présent, le gouvernement doit payer intérêt. Mais en déposant ces bons du Trésor à la Banque du Canada, comme il a commencé à le faire je crois, pour ensuite déposer dans les banques commerciales des billets de la Banque du Canada, il garde son droit souverain d'émettre la monnaie et n'a pas d'intérêt à payer, sinon à lui-même, puisque la Banque du Canada lui appartient.
Il restera ensuite à déterminer à qui devrait appartenir le titre de propriété de ces nouvelles émissions de monnaie. En laissant ce titre de propriété au gouvernement ou à la Banque du Canada, nous avons une dictature comme dans les états totalitaires. Ce n'est pas le gouvernement qui travaille et crée la richesse réelle ; ce n'est pas non plus la banque, mais la collectivité. C'est donc à la collectivité que doit aller l'argent qui représente la richesse.
En remettant ce titre de propriété de toute nouvelle monnaie "à la collectivité", comme dit le pape Pie XI, par l'entremise de son gérant ou caissier (par exemple, une commission de comptables ayant dans le domaine économique les mêmes pouvoirs que nos juges dans le domaine judiciaire), nous aurions une véritable démocratie avec tous ses avantages. Sans toucher à la propriété privée réelle, sans verser dans les systèmes dangereux ou subversifs, puisque seule la monnaie, la simple image de la propriété réelle, serait propriété commune. En un mot, nous aurions le système éminemment chrétien appelé le Crédit Social.