Nous extrayons ce qui suit de la tribune libre de "L'éclaireur" de Beauceville, édition du 24 octobre :
Mon cher Banco,
Si je voulais être malin, si j'avais le temps de m'amuser, si le lecteur avait encore le cœur à rire, je m'attarderais à sarcler un peu votre dernier article, où, comme d'habitude, l'imagination a pris plus de part que la raison. Nous n'avons pas comme vous le temps de nous livrer à ces dévergondages de l'esprit. On vous laisse ce rôle de fou du roi... Si tout votre article ne mérite que l'oubli charitable, vos questions, par contre, réclament toute notre attention.
Banco : À qui voulez-vous confier le contrôle de l'argent ?
Que diable, rêvez-vous sur votre plume, monsieur Banco ? Pourquoi me poser cette question ? L'honorable Mackenzie King ne rêvait pas quand il disait, en 1935, que le gouvernement devrait, au nom de la nation, contrôler la monnaie et le crédit de la nation.
Nous voulons que le gouvernement, par l'intermédiaire d'une commission indépendante — comme le fait la magistrature pour l'exercice de la justice — contrôle l'argent de la nation. Non seulement l'argent dur et le papier, l'argent de poche, ce qui serait une simple dérision ; mais l'argent de crédit qui est dix fois plus important que l'autre. C'est le contrôle de cet argent de crédit par les banques, aujourd'hui, qui rend les banques au moins dix fois plus puissantes que le gouvernement.
Banco : Depuis quand manquons-nous de monnaie de papier ?
Question insidieuse, qu'on retrouve, dans la bouche de tous les valets au service du monopole de l'argent.
Qui se plaint que nous manquions de monnaie de papier ? Cherchez dans tous les écrits des créditistes qui comprennent bien la question monétaire et je vous défie de leur faire dire que la monnaie de papier n'est pas assez abondante.
Un invertébré en question monétaire va comprendre que l'abondance des piastres ne change rien à la bonne marche des affaires, et ne donne pas la prospérité à un pays. Multipliez par dix le nombre actuel de piastres dans le pays et vous n'aurez fait qu'une bêtise. Je le répète, les piastres sont un petit instrument au service de la monnaie de crédit et il en faut peu pour remplir ce rôle de serviteur.
Dix dollars de papier suffisent à appuyer cent dollars de monnaie de crédit. La preuve en est là sous vos yeux, puisque 285 millions de piastres dans le pays suffisent à appuyer les 3,000 millions de monnaie de crédit qui apparaissent dans les banques.
C'est la monnaie de crédit qui fait marcher les affaires. La monnaie de poche n'est qu'au service de celle-là.
Quand il y a beaucoup de monnaie de crédit, les affaires marchent bien, la prospérité renaît et les piastres circulent très vite pour répondre à la demande. Quand la monnaie de crédit est rare, les piastres, quoique plus nombreuses, chôment ; le peuple, quoique plus nombreux et plus nécessiteux, chôme. Tout est bloqué.
À l'heure actuelle, à cause de la guerre, les banques fabriquent en quantité de la monnaie de crédit et les affaires sont en train de reprendre. Qui a entendu dire que le gouvernement avait multiplié le nombre de piastres en papier ?
Vraiment, monsieur Banco, vous livrez une lutte posthume. Vous êtes en retard de quelques années.
Banco : Qu'est-ce que l'inflation ?
Ce Banco de malheur nous force à entrer dans un secteur où il devrait être renseigné plus que quiconque, puisque les banquiers sont des experts en inflation comme en déflation.
Entendons-nous sur le sens du mot inflation, Monsieur Banco. S'il est un mot incompris, même employé à tout venant, c'est celui-là.
Voulez-vous parler de la proportion d'or par rapport au nombre de piastres ? La loi exige qu'il y ait dans les coffres une valeur de 25 dollars en or pour chaque cent dollars de papier dans le pays. Mais s'il n'y a seulement que 25 dollars d'or pour chaque 125 piastres de papier, nous avons de l'inflation, d'après les tenants de la monnaie-or.
L'an dernier, nous avions 59 dollars en or pour chaque cent dollars de papier. Notre dollar était donc bien appuyé sur son dieu. Le peuple canadien s'en portait-il mieux ?
Depuis le mois de mai 1940 il n'existe plus une brique d'or à la base de notre dollar. Qui s'en est aperçu ? Personne.
Pourtant notre dollar est en état de superinflation. Qui s'en plaint ? Personne, pas même Beaudry-Leman, pas même vous, Banco.
Voulez-vous parler de la proportion d'or par rapport aux deux sortes d'argent, de papier et de crédit ? Nous sommes continuellement en état d'inflation. Vingt-cinq dollars d'or pour supporter 40 fois son volume d'argent. Cela avant le mois de mai 1940.
Depuis ce temps, pas une brique d'or à la base de nos trois milliards d'argent. Et la terre a continué de tourner dans le même sens, sauf que cela fait beaucoup plus de tapage, rapport aux bombes.
Pourquoi est-ce que cela marche pareil quand il n'y a pas d'or au-dessous de l'argent ? C'est parce que l'argent est toujours basé sur la production nationale. Supprimez tous les produits du pays ainsi que les moyens de production et mettez de l'or à la place, notre argent deviendra comme le "mark allemand de la dernière guerre".
Pourtant, on rit des créditistes quand ils disent que l'argent doit être non seulement basé sur la production, mais qu'il doit y avoir un juste rapport entre la production nationale et la monnaie nationale.
Voulez-vous parler de l'inflation qui rend la vie chère ? Demandez des explications au système actuel, il est passé maître en cet ordre de choses.
Écoutez bien, Banco : Sous le système monétaire actuel contrôlé par les banques, toute augmentation du volume de l'argent (monnaie de poche ou de crédit) produit fatalement une hausse du coût de la vie, donc, inflation.
POURQUOI ? C'est parce que les banques ne fabriquent de la monnaie de crédit nouvelle qu'en vue de financer la production. Et que toute monnaie nouvelle qui passe par le canal ordinaire de la production, sous le régime actuel, provoque une hausse du coût de la vie, donc, inflation. Mais ici nous sommes aux frontières de l'économie politique et de la sociologie. Et le langage change selon qu'on envisage celles-ci en regard du système monétaire actuel ou d'un système monétaire plus social et plus humain.
Le Crédit Social propose justement une monnaie plus humaine et plus sociale, et c'est pour cela qu'il demande la finance directe de la consommation selon les capacités de la production. L'argent qui viendra en circulation directement du côté de la consommation n'entrera pas comme élément dans le prix de revient. Il ne créera donc point d'inflation, surtout grâce au mécanisme du facteur de prix (escompte compensé) que je me dispense de vous exposer aujourd'hui, mon cher Banco, parce que vous en avez déjà plus que vous pouvez en digérer.