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L'économique - À qui l'argent ?

Louis Even le vendredi, 01 décembre 1939. Dans L'économique

Si j’ai emprunté dix dollars, je les ai, mais je n’en suis que le locataire ; je les emploie à mon gré le temps qu’ils sont à ma disposition. Je devrai les rendre à échéance.

Si j’ai reçu, en échange de travail ou de produits, dix dollars d’une autre personne qui les avait empruntés, ces dix dollars sont bien à moi le temps que je les détiens, mais ils sont dus par l’autre personne à son prêteur. Elle devra en retirer l’équivalent quelque part si elle veut acquitter la dette.

D’OÙ VIENT L’ARGENT ?

Tout l’argent en circulation, dans nos poches, dans nos tiroirs, dans nos comptes de banques, a nécessairement eu une origine. L’argent vient de quelque part.

Nous, agriculteurs, ouvriers, marchands ou professionnels, nous ne fabriquons pas d’argent. L’argent n’est pas venu de nous à son origine. Le gouvernement ne fabrique pas d’argent ; l’argent n’est pas venu de lui à son origine.

L’argent est tout de même né quelque part. Nos lecteurs habituels ont depuis longtemps appris que tout argent naît dans les banques. Le banquier qui prête aux gouvernements ou aux industriels ne prête pas de l’argent qu’il a ; il fabrique l’argent qu’il prête. Sur un dollar qu’il a et qu’il garde, il fabrique dix dollars qu’il prête. L’argent qu’il fabrique est du crédit, de l’argent de comptabilité ; mais c’est l’argent moderne, l’argent dominant par le volume, celui qui détermine la circulation ou la stagnation de l’autre, de l’argent de métal ou de papier.

LE PROPRIÉTAIRE DE L’ARGENT

Le banquier est le fabriquant moderne de l’argent ; mais il ne donne cet argent à personne. Il le prête pour un temps et oblige à le rapporter. Il reste le propriétaire de l’argent. Tout argent en circulation, même celui que vous ou moi avons gagné, est dû, par quelqu’un au banquier qui l’a fait ; dû par quelque individu, par quelque compagnie, par quelque paroisse, par quelque municipalité, par quelque gouvernement — dû aux banques.

Tout l’argent du pays n’est que loué ; le propriétaire unique est le banquier. Le banquier est donc le véritable propriétaire de tous les titres à la production du pays.

Il y a des gens qui maintiennent que tout argent doit être gagné et péniblement gagné. Qu’ont donc fait les banques pour gagner TOUT l’argent du pays ?

Plus que cela. Les banques possèdent non seulement tout l’argent du pays, mais aussi de l’argent que le pays n’a pas, qu’il n’a jamais eu ; de l’argent qui ne fut jamais mis au monde et que les banques réclament tout de même au pays. C’est l’intérêt, jamais créé, sur un capital créé par les banques. D’où l’existence de la dette — dette publique ou dettes privées (elles passent parfois d’un compartiment à l’autre, mais le créancier final reste le banquier).

Le banquier est le propriétaire de TOUT, de plus que tout l’argent du pays. Il en est le propriétaire et il mesure à sa discrétion et à ses conditions la quantité d’argent qu’il nous loue. L’État, tout comme un particulier, est locataire et vient passer bail avec le propriétaire, le banquier. L’État, comme le particulier, paie son loyer, mensuel ou annuel, au propriétaire, au banquier. Et le loyer est élevé : 128 millions de dollars par an, perçus sur nos revenus déjà trop minces.

Voilà une situation grave. Est-elle justifiable ?

PROPRIÉTÉ LÉGITIME OU PROPRIÉTÉ VOLÉE ?

Supposons un instant qu’il n’y ait aucun argent dans le pays, qu’il n’y en ait jamais eu. Nous sommes quand même en société organisée : cultivateurs, forgerons, boulangers, marchands, camionneurs, menuisiers, instituteurs, médecins, prêtres, etc. Chacun produit des biens et des services, selon sa ligne ; mais il est difficile de troquer des choses souvent indivisibles, alors que pour un gros article on veut souvent en avoir une douzaine de différentes provenances. On sent le besoin d’un intermédiaire d’échange, de l’argent.

On va donc décider, pour la première fois, de faire de l’argent et de le mettre en circulation.

On se réunit et on calcule qu’il faudrait bien au moins 110 millions pour commencer un système souple d’échanges entre citoyens. On crée donc cette première monnaie, que personne n’avait auparavant, qui vient au monde pour la première fois, basée sur les exigences de la société en face de produits qui n’attendent que cela pour circuler.

À qui appartient cet argent, ce premier argent, cet argent qui vient au monde pour la première fois ? Lequel des onze millions de Canadiens, membres de la société, osera dire : Cet argent, que la société décrète nécessaire et qu’elle crée, tout cet argent est à moi. Quel homme, ou quel groupe, peut réclamer la possession légitime de cet argent nouveau ?

La réponse ne fait pas de doute. Les 110 millions appartiennent à toute la société, pas à un groupe ni à un particulier. Pas même au gérant de la société — donc pas au gouvernement — mais aux sociétaires eux-mêmes. Et comme il faut que cet argent, pour entrer dans son rôle, soit entre les mains des membres de la société, la seule solution logique est de donner à chacun sa part de ce bien commun, de cette institution communale que la société vient de mettre au monde.

D’où une part, un dividende légitime de dix dollars à chaque sociétaire, à chaque citoyen.

LE PUBLIC DÉPOUILLÉ

Tout argent nouveau est nécessairement propriété publique, puisque c’est de l’argent nouveau, non pas de l’argent déjà en circulation ni gagné par les uns ou par les autres. Peut-on logiquement concevoir de l’argent nouveau, premier argent du pays ou émission nouvelle ajoutée à l’argent qui s’y trouve déjà — peut-on logiquement concevoir cet argent nouveau comme propriété d’un particulier ?

C’est pourtant ce qui arrive aujourd’hui. Tout argent nouveau, nécessité par l’expansion du pays, est approprié dès sa naissance par le banquier. La société a-t-elle besoin de cent millions de nouvel argent, d’argent qui n’existait pas encore mais dont il devient nécessaire de décréter l’existence — le banquier est là et dit : Cet argent nouveau est à moi et je vais le louer à la société qui en a besoin. Il ajoute : Je le loue pour un temps ; je le retirerai ensuite pour en faire naître encore le besoin ; on reviendra m’en demander ; je recommencerai l’émission rendue nécessaire ; je la réclamerai encore ; j’en exigerai un surplus qui n’existe pas et je tiendrai ainsi toute la société à ma porte et en dette perpétuelle avec moi.

EXEMPLE

Le premier emprunt fait par le gouvernement fédéral pour financer la guerre a été celui de 200 millions, souscrit par les banques à charte, en octobre. Il fut fait : 1° pour rembourser une échéance de 120 millions, 2° pour augmenter l’argent du pays de 80 millions.

Les banques ont créé 200 millions ; le gouvernement leur a remis 120 millions de leur création et utilise le reste, 80 millions, comme de l’argent légal.

Nous concédons qu’il était plus qu’opportun de créer 80 millions d’argent nouveau, parce qu’on en manque terriblement et parce que le pays est facilement capable de fournir la production que vont commander ces 80 millions.

Mais le banquier s’est immédiatement constitué propriétaire de cet argent nouveau. Il l’a loué au gouvernement et, dans deux ans, le gouvernement doit rembourser plus de 83 millions : les 80 millions créés plus $3,200,000 qui n’ont pas été créés ; il en restera donc moins qu’avant, et il faudra recommencer, ou chômer pour autant.

Ces 80 millions d’argent nouveau, basés sur la capacité de produire du pays, sont notre propriété commune. La société devait les créer elle-même puisqu’ils étaient nécessaires, et les distribuer à ses membres, chacun $7.25. Notre part de dividende, $7.25 par individu, $36.25 par famille de cinq personnes, a bel et bien été raflée par les banques. Les banques ont confisqué le total des dividendes, 80 millions, l’ont loué en restant propriétaires et l’ont majoré de plus de trois millions pour se payer les opérations de confiscation.

Lorsqu’on prend ce qui appartient à autrui, on appelle cela un vol. Chacun de nous a été volé de $7.25. Nous avons été volés collectivement de 80 millions et nous récompensons le voleur en nous obligeant à servir un surplus de 3 millions en deux ans. Et l’agent de perception de cette récompense, c’est notre propre gérant, notre gouvernement fédéral. Nous le payons et il travaille pour le banquier.

L’appropriation de l’argent nouveau par le banquier est illégitime, mais elle est légalisée et récompensée. PAR NOTRE FAUTE, puisque nous sommes en démocratie et que ce sont nos représentants qui légifèrent dans ce sens.

On nous dit parfois que le dividende national à chaque citoyen est une utopie, une impossibilité. C’est certainement une impossibilité lorsque le banquier le prend tout entier pour lui-même.

LE CRÉDIT SOCIAL

Le banquier ne pourrait créer 80 millions d’argent nouveau si le Canada ne pouvait fournir 80 millions de production de plus en réponse à cet argent. Seule l’augmentation de la capacité de production du pays permet une augmentation de l’argent.

C’est parce qu’il y a au Canada une société organisée, des producteurs, des distributeurs, des consommateurs que l’argent peut exister. C’est le crédit de la société organisée qui est à la base de toute création d’argent, quelle que soit la forme de l’argent.

C’est donc uniquement l’augmentation du crédit de la société, du crédit social que le banquier exploite lorsqu’il fait de l’argent nouveau. S’il s’approprie cet argent nouveau, il s’approprie le crédit social. C’est cela qu’il faut reprendre et garder à la société, aux sociétaires.

Avec l’émission logique de l’argent nouveau par la société elle-même, pour chacun de ses membres, les 80 millions d’argent nouveau venus en existence en octobre auraient immédiatement fait du bien à tout le monde.

Le gouvernement aurait trouvé l’argent dont il a besoin en le demandant, à mesure des besoins, à un public qui l’aurait reçu. D’ailleurs, l’emploi des sommes perçues par l’impôt remettrait intégralement l’argent en circulation, puisque le banquier ne le soustrairait plus : ce ne serait plus l’argent du banquier, mais l’argent de la société.

À qui donc l’argent ? De droit, à la société ; de fait, au banquier sous le régime existant. De fait comme de droit, à la société sous un régime monétaire de Crédit Social.

Louis Even

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