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L'école créditiste et la politique

Louis Even le dimanche, 15 novembre 1942. Dans La politique

De ce que les créditistes de la province de Québec ne s'inféodent, comme corps organisé, à aucun parti politique, ni ancien ni nouveau, on se tromperait grossièrement en concluant qu'ils ne s'occupent pas de politique, qu'ils se désintéressent de la conduite de la chose publique ou qu'ils méprisent la forme démocratique de gouvernement.

Politique et politique

Si, par politique, on veut entendre la course au pouvoir, la politique de partis, les créditistes ne prennent certainement pas le mors aux dents. Mais s'il s'agit de l'exercice du pouvoir par ceux qui le détiennent, les créditistes ont l'œil ouvert : ils observent, jugent, attirent l'attention du public et montent une force pour y mettre de l'ordre.

La vraie politique, nous semble-t-il, c'est la poursuite du bien commun de la nation : de la municipalité, au municipal ; de la province, au provincial ; du Dominion, au fédéral. Et à cette politique-là, à la poursuite du bien commun, les créditistes sont loin d'être indifférents. Nul plus qu'eux n'exige qu'on mette la hache dans ce qui s'oppose au bien commun, même s'il faut frapper des puissances bien douées de cordes vocales pour couvrir la planète de leurs hennissements, de griffes pour immobiliser des bras au gouvernail, de protection en haut lieu pour s'imposer à la multitude docile et insconsciente.

Les créditistes sont des éclaireurs et des éveilleurs. Par-dessus le marché, ce sont des organisateurs et des réalisateurs. Ce ne sont pas eux qui seront le jouet des politiciens de carrière.

Des démocrates

Les créditistes sont bien plus démocrates que ceux qui font consister la démocratie en un jour d'élection tous les quatre ou cinq ans, en verbiage d'avocats quatre ou cinq mois sur douze, pendant que la centralisation et la trustification s'effectue 365 jours par année.

Pour les créditistes, la démocratie consiste en un peuple qui se fait servir par ses institutions, à commencer par son gouvernement. Et pourquoi donc se donne-t-il un gouvernement si ce n'est pour cela ?

Se faire servir ne veut pas dire se faire donner des octrois pris dans la poche du voisin. Pour qu'un peuple se fasse servir, il doit savoir ce qu'il lui faut, puis être à même de l'exprimer et de l'exiger. C'est pourquoi les Créditistes étudient et font étudier, puis unissent et organisent le peuple renseigné, pour qu'il fasse valoir sa volonté. S'il est réellement bien renseigné, cette volonté ne peut être que l'exigence du bien commun.

Nous trouvons cela beaucoup plus démocratique que de laisser le peuple dans l'ignorance et venir lui présenter un programme.

Un programme ? Si c'est un programme de méthodes, ce n'est pas au public à se prononcer. Si c'est un programme d'objectif, ce n'est pas au politicien à le faire. L'objectif doit être tracé par le peuple (il s'agit toujours d'un peuple renseigné). Le représentant du peuple a pour mission de transmettre cet objectif au gouvernement et insister pour qu'il y soit fait suite. Le devoir du gouvernement est de faire passer la législation et poser les actes nécessaires à l'exécution du programme-objectif de la collectivité.

Que signifient donc tous les programmes tracés d'avance par les aspirants au pouvoir ? Ils équivalent à tenir au public un langage à peu près comme celui-ci :

"Vous, hommes et femmes de la masse, vous ne savez pas exactement ce que vous voulez. Vous êtes trop ignorants pour cela. C'est pourquoi je me crois délégué par le Très-Haut, non pas pour vous apprendre à réfléchir, à connaître et ordonner vos besoins, mais pour vous dire ce qu'il vous faut, ce qui est bon pour vous, ce que vous devez avoir et ce que vous ne devez pas avoir. J'aime autant que vous ne preniez pas la peine d'analyser vous-mêmes vos besoins, je ne serais plus que votre porte-voix et ma mission serait sans prestige. Voici donc le magnifique programme que je vous ai préparé : vous verrez qu'il convient admirablement à vos aspirations. Vous trouverez qu'il est mieux tourné que celui de mon adversaire. Je crois posséder la meilleure capsule pour gagner les votes et obtenir l'honneur de penser à votre place, de prendre des décisions sans vous consulter."

Nous passons sous silence les promesses de ponts, de routes, de places, de merveilles faites avec des taxes dont on a soin de ne pas parler.

S'il y a encore des nigauds pour croire à des programmes faits pour eux par d'autres, ce ne sont toujours pas les créditistes.

Langage démocratique

Nous nous imaginons assez le langage qu'un créditiste pourrait tenir à l'un de ces freluquets, s'il jugeait que cela en vaut la peine :

"Monsieur le Candidat, vous pouvez ramasser cette feuille, imprimée avant de nous consulter, et sortir une feuille blanche pour prendre note du programme de ceux que vous désirez représenter.

"À entendre parler mes voisins, nous sommes tous du même avis sur plusieurs choses. Tous, nous trouvons que, si c'est intéressant de voter une fois tous les quatre ans pour avoir un représentant qui nous convient, ce serait encore bien plus intéressant de pouvoir voter tous les jours pour avoir dans nos maisons les choses qui nous conviennent.

"Voyez-vous, Monsieur le Candidat, il n'y a personne parmi nous autres qui n'ait besoin chaque jour de nourriture, de vêtements, de chauffage, sans compter d'autres menues choses qui agrémentent la vie. Et nous savons tous qu'aucune de ces choses-là ne manque dans le pays. Il y en a même tellement que les producteurs cherchent les cinq parties du monde pour les placer. Alors, il nous semble que nous devrions avoir le premier choix.

"Au cas où la préparation laborieuse du programme qui rentre dans votre poche et des discours qui devaient l'accompagner vous aurait empêché de voir net dans la chose, nous allons vous faire remarquer, monsieur le Candidat, que pour exercer chaque jour le droit de vote sur les choses offertes par le pays, il nous suffit d'avoir un bulletin qui s'appelle piastre.

"Alors, monsieur le Candidat, si vous entreprenez de nous représenter au Parlement, la première chose que vous devrez réclamer en notre nom, c'est le moyen pour nous d'avoir assez de bulletins-piastres en main pour faire valoir tous nos besoins quotidiens, tant que les choses sont en face de nos besoins. Cela, vous pouvez en être sûr, rencontrera la volonté de tous nous autres, aussi bien que celle des marchands qui attendent nos piastres et des producteurs qui attendent les piastres du marchand.

"Vous direz au gouvernement que c'est à lui de trouver la manière, mais qu'il nous faut la chose. Si les marchandises s'accumulent parce que nous manquons de piastres, nous conclurons que vous n'avez pas fait notre commission ou que vous avez à faire à un gouvernement incompétent. Dans ce dernier cas, vos confrères et vous, seriez des imbéciles de le supporter vingt-quatre heures de plus.

"Voilà pour une, monsieur le Candidat.

"Et pour deux : nous ne voulons pas seulement pouvoir faire passer les choses du magasin à la maison. Nous désirons aussi des services publics modernes : routes droites, larges et bien unies ; écoles bien outillées, à la portée de tous les enfants des campagnes comme des villes ; facilités d'hospitalisation pour les malades ; et autres choses, à mesure des besoins et des possibilités réelles.

"Pour ces choses-là, monsieur le Candidat, il faudra aussi de l'argent. Nous sommes même portés à croire qu'il n'y a rien que l'argent qui manque pour bâtir les édifices et payer le personnel. Alors, si les matériaux de construction et la main-d'œuvre sont disponibles, sans diminuer les matériaux et la main-d'œuvre employés à produire les choses qui sont dans les magasins, vous verrez à ce qu'il y ait des piastres pour payer tout cela sans nous enlever les bulletins-piastres qui achètent dans les magasins.

"Quand le Bloc parlementaire aura fini avec ces deux points-là, qui en somme ne demandent pas d'opérations plus compliquées que de tenir une comptabilité des surplus à distribuer, vous aurez réglé la plupart des problèmes courants. Le pays comptera autant de satisfaits que d'électeurs et d'électrices, sans compter l'heureuse marmaille de moins de vingt-et-un ans. Il y aura bien quelques mécontents parmi les requins à face d'homme qui gèrent actuellement les droits à la vie ; mais nous ne croyons pas que vous teniez à représenter les intérêts de ces êtres-là.

"Il restera les grandes questions nationales et internationales qui s'élèvent de temps en temps. Nous croyons, monsieur le Candidat, que, si l'on nous fait l'honneur de nous exposer les faits, nous serons capables de vous donner notre décision dans ces circonstances-là, non pas sur les détails des méthodes, mais sur la grande ligne de conduite à suivre.

"Si, par exemple, la Russie entre en guerre contre la Perse en 1951, nous espérons bien que vous ne laisserez pas un premier-ministre jingo mettre le parlement du Canada en demeure de déclarer la guerre à la Perse, sous prétexte que l'Angleterre a signé en 1942 un traité d'alliance militaire offensive et défensive avec la Russie pour une durée de vingt ans après la conclusion de la deuxième grande guerre mondiale. Nous croyons qu'en une circonstance pareille, malgré les inspirations qu'un grand nombre de députés peuvent recevoir de loges d'Illuminés ou de B'nai-Briths, on fera au peuple la politesse de lui demander s'il consent à entrer dans la nouvelle aventure.

"Et maintenant, monsieur le Candidat, vous pouvez y aller de votre discours."

La force en croissance

Comme le mépris des pauvres et la servilité envers les riches et les puissants sont le caractère dominant du politicien vingtième-siècle, le langage de notre créditiste n'aurait probablement pas grande portée aujourd'hui. Mais lorsque le journal Vers Demain aura éclairé un nombre important d'électeurs ; lorsque l'Association Créditiste aura libéré de la dictature financière au moins dans plusieurs secteurs économiques, un nombre imposant de familles canadiennes, la voix du créditiste sera un peu moins celle du pauvre qu'on piétine, et un peu plus celle de l'indépendant qu'on respecte. Déjà on lui trouve un accent qui confère au moindre créditiste, sur la grosse moyenne des politiciens, la supériorité de la droiture sur l'hypocrisie, de la lumière sur les ténèbres, et, disons-le, de la science sur l'ignorance.

Louis Even

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