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L'art de la politique

Louis Even le mardi, 01 septembre 1942. Dans La politique

Parlements vides partout de ce temps-ci : comment le Canada peut-il encore exister et comment les Canadiens peuvent-ils encore vivre ?

Il est vrai que les députés ont eu soin de se rendre à peu près inutiles dès le commencement de cette guerre en votant le régime des décrets-lois. Les lois naissaient par douzaines chaque année. Les décrets ministériels ont pris l'allure de mille et de dizaines de mille. Il y a trois mois, on en comptait 26,500 depuis l'entrée du Canada dans la danse ; les 30,000 doivent être dépassés depuis, sans compter les multiples ordonnances des institutions subalternes. Allez donc vous y reconnaître !

Tout de même, les parlements ont siégé. La dernière session fédérale a même battu le record de la durée. Les discours n'ont pas manqué. La députation québécoise des 65 s'est livrée à deux gros jets d'éloquence : à la veille du plébiscite et avant l'adoption du bill 80.

Nos députés en vacances — qui à son bureau d'avocat, qui dans son étude de notaire, qui derrière sa plaque dorée de docteur en médecine, qui dans une villa des Laurentides - ou sur la rive sud du golfe, quelques-uns dans leur industrie ou sur leurs fermes, aucun dans une cabane de colon — nos députés en vacances peuvent repasser ou ressasser leurs sept mois de séjour dans la capitale : vont-ils réussir à digérer des choses très indigestes ?

Ce fut la session du budget de quatre milliards. Ce fut la session du cadeau d'un milliard. Mais ce fut surtout la session de la loi de conscription sans réserve, pour service sur tous les océans, sur tous les continents et dans toutes les îles de la planète. Que Satan ait pitié de nos pauvres politiciens, déplumés de ce qui fit leur parure de prédilection depuis l'autre guerre jusqu'à la dernière élection du 27 avril 1942 ! Sur quoi donc bâtiront-ils désormais leur plateforme électorale ?

Il y a bien eu la résistance caudale de Cardin et de ses suiveux. Mais croient-ils sérieusement se faire prendre pour des héros ? Ou ils étaient sincères, ou ils ne l'étaient pas, dans les concessions successives faites par eux jusqu'au lendemain du plébiscite, alors qu'ils nous assuraient qu'il ne s'agissait nullement de conscription. S'ils n'étaient pas sincères, ce furent de vulgaires trompeurs plus soigneux de leur fromage que de leurs électeurs. S'ils étaient sincères, ce furent de tristes imbéciles, donnant dans le piège, tête baissée, à quatre pattes, jusqu'au fessier y compris, avant de savoir ce qu'on voulait d'eux.

Lorsque le Canada déclara la guerre à l'Allemagne en septembre 1939, il ne s'agissait que d'une guerre européenne : seules, la Pologne, la France, l'Angleterre et l'Allemagne étaient en cause à cette époque. En se décidant pour la participation à une guerre alors extérieure au Canada, et même à l'Amérique, les représentants de notre province à Ottawa, à la presque unanimité, foulèrent aux pieds leurs plus solennelles déclarations du passé. On pouvait tout attendre d'eux par la suite, on a tout eu.

Les actes progressifs du gouvernement fédéral découlent de ce premier. La question de l'objectif prime celle des méthodes, surtout pour le public. Les méthodes regardent les techniciens. Un peuple qui consent à entrer en guerre ne peut s'attendre à poser des limites à son action, ni à préciser sur quel terrain il va se battre : l'ennemi peut décider une autre limite et choisir un autre terrain. C'est pourquoi toute l'éloquence au sujet d'une participation modérée, de bornes à la mobilisation des hommes et des ressources, est à peu près de l'éloquence perdue. C'est en septembre 1939 qu'il fallait y voir, pas en juillet 1942.

Mais l'art de la politique consiste justement à doser les potions jugées trop amères pour le patient. Il consiste à cacher le deuxième chaînon pendant qu'on fait accepter le premier. L'art de la politique consiste à présenter l'amorce et à voiler la trappe. L'art de la politique consiste à faire entrer le rat dans la ratière, même dans la ratière honnie de la conscription.

Louis Even

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