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Importations et exportations

Louis Even le mardi, 15 décembre 1942. Dans L'économique

Lorsqu'un Canadien fait venir un produit, comme du coton, de la serge, des États-Unis, d'Angleterre ou d'ailleurs, il fait de l'importation, L'importation c'est l'entrée d'un produit étranger dans le pays.

Lorsqu'un Canadien envoie un produit, comme du blé, du papier, du bacon, en Angleterre, aux États-Unis, ou ailleurs, il fait de l'exportation. L'exportation, ce sont des produits qui sortent du pays.

Prises en elles-mêmes et isolément, l'importation enrichit le pays, en y introduisant des choses utiles ; et l'exportation diminue la richesse du pays, en sortant du pays des choses utiles.

Mais les exportations ne sont pas généralement données gratuitement par le Canadien qui exporte, et les importations ne sont pas non plus reçues gratuitement par le Canadien qui importe.

L'argent étranger qui achète nos exportations nous donne droit sur la marchandise étrangère. L'argent canadien qui paie nos importations donne à l'étranger droit sur nos produits.

C'est pouquoi les économistes disent que les exportations paient les importations. Et ce devrait être cela.

Les exportations paient-elles les importations ?

Pourquoi alors veut-on exporter et ne pas importer ? Pourquoi veut-on exporter plus qu'on importe ? Cela équivaut à vouloir payer plus qu'on reçoit. Si l'exportation paie l'importation, une grosse exportation pour une petite importation est un gros prix pour une petite chose.

Cette anomalie, cause de bien des guerres économiques, en attendant la guerre proprement dite qui en découle, cette anomalie vient de ce que, dans aucun pays moderne, sous le système de finance moderne, les gens n'ont assez d'argent pour acheter leur propre production.

N'ayant pas assez d'argent pour acheter leur propre production, comment en auraient-ils assez pour acheter la production importée qui remplacerait simplement la production exportée ? Aussi leur exportation consiste-t-elle plutôt à chercher de l'argent pour acheter ce qui reste dans leur propre pays. La production exportée paie les droits à la production qui reste. C'est absurde.

Soit un pays qui produit 7 milliards, mais dont le pouvoir d'achat n'est que de 4 milliards. Les 3 milliards invendables au pays, malgré des besoins réels, font foi de cette déficience de pouvoir d'achat. Si ce pays peut exporter un milliard et demi sans rien importer, il ne lui restera que 5 milliards et demi de produits, et il aura justement 5 milliards et demi de pouvoir d'achat. Il videra ses stocks, mais il aura produit 7 milliards pour pouvoir acheter 5 milliards et demi. Drôle de méthode !

Au bout de cela, le pays étranger acheteur sera très mécontent d'avoir reçu un milliard et demi de produits sans pouvoir livrer les siens en échange. Le problème du manque d'argent sera accentué dans ce pays étranger. Les relations internationales n'en seront pas adoucies !

Servitudes

Dans la réalité, l'argent étranger ne circule bien qu'à l'étranger ; et les exportations sans importations correspondantes, si elles confèrent réellement du pouvoir d'achat à l'exportateur, ne se soldent bien que par des crédits qui se résolvent en placements à l'étranger.

Supposons que l'Angleterre exporte 200 millions de produits manufacturés, au Chili, sans importation correspondante. Ces produits ne peuvent être payés qu'en livres sterlings anglaises. Ils le seront par un crédit de l'Angleterre au Chili. Ce prêt n'exigeant que le service des intérêts annuels, disons à 5 pour cent, ou 10 millions de livres sterlings par an, une importation annuelle de 10 millions de produits chiliens, ou de travail chilien, ou de droits à la richesse du Chili, suffira pour satisfaire l'Angleterre. Cela crée une servitude annuelle du Chili envers l'Angleterre qui peut se prolonger pendant des générations.

Toute exportation sans importation équivalente tend ainsi, soit à créer une servitude pour le pays importateur, soit à éteindre une servitude antérieure du pays exportateur.

La course à l'argent qui manque, au lieu de la course au produit qui surabonde, a pour effet de faire des maîtres et des esclaves : maîtres, "ceux qui peuvent se débarrasser de leur abondance de produits et obtenir l'argent ; esclaves, ceux qui doivent accepter l'abondance des autres et se défaire de l'argent.

L'argent fait le maître. L'argent passe avant le produit. Le signe a la priorité sur la chose. Et c'est une lutte à mort pour exporter le produit et pour avoir l'argent.

Il ne faut pas s'étonner dès lors que l'Angleterre, qui se fait servir par les trois quarts du globe, et l'Allemagne, qui aspire à se faire servir à son tour, déclarent l'exportation une question de vie ou de mort pour leur peuple. Et il paraît qu'il n'y a pas de place pour les deux sur les mêmes marchés. On sait où cela mène.

Le commerce international

Le commerce dans un seul sens n'est pas du commerce. Les exportations seules ne constituent pas le commerce international.

Le commerce international sain a sa raison d'être. Le commerce international sain consiste, en définitive, en échanges entre nations, comme le commerce intérieur sain consiste en échanges entre individus d'une même nation. Le commerce international comprend donc exportations et importations, les deux plateaux s'équilibrant. Notons, en passant, que certains item d'exportation ou d'importation sont plus ou moins invisibles. Ainsi le transport de nos marchandises sur des vaisseaux anglais constitue une véritable importation de services anglais.

Le commerce international répond à l'ordre providentiel, puisque Dieu a donné la terre entière à l'espèce humaine, que l'espèce humaine a à peu près les mêmes besoins partout, et que les biens pour répondre à ces besoins, présents quelque part sur la planète, ne sont pas toujours au complet dans un territoire déterminé.

Ainsi, un pays produit très facilement en abondance du blé et difficilement des fruits. Un autre pays produit en abondance et très facilement des fruits, mais difficilement du blé. Il est tout à fait logique que le premier pays exporte du blé au second et que le second exporte des fruits au premier. Il serait peu recommandable d'épuiser des énergies à presser la production de fruits au lieu de blé dans le premier pays et la production de blé au lieu de fruits dans le deuxième. Les deux pays seraient plus mal à vouloir s'isoler. Les deux sont mieux en échangeant.

Mais, pousser à exporter du Canada des choses dont les Canadiens ont besoin, et mettre des obstacles à en importer en retour, c'est inexplicable. Faire les Canadiens payer une partie des produits ainsi exportés, c'est le comble de l'absurde.

Sans allusion à la guerre ni au cadeau à l'Angleterre, considérant seulement la manière de procéder en temps normal, comment expliquer la campagne constamment menée par la presse, par les gouvernements, par les associations agricoles elles-mêmes, pour expédier le meilleur beurre, le meilleur fromage, les meilleures pommes, le meilleur bacon, vers le marché de Londres, alors que nos familles manquent même de la deuxième qualité de toutes ces choses ?

C'est parce qu'on fait de l'argent le but principal des activités économiques, même de l'agriculture ; la satisfaction des besoins vient ensuite, si elle vient. Le cultivateur veut vivre, et il a besoin d'argent en retour des produits qu'il offre et ne consomme pas. Il a raison. Mais il devrait pouvoir trouver cet argent dans le pays même, lorsqu'il y a dans le pays même des consommateurs qui ont grandement besoin de ses produits.

Le tourisme, forme d'exportation

L'argent, usurpateur de la fin de l'économie. Rien autre n'explique la campagne faite autour du tourisme, dans le sens ordinairement donné à ce mot.

Qu'est-ce que le touriste tant courtisé, tant recherché par la publicité la plus dispendieuse ? C'est un étranger, muni au moins d'un certain pouvoir d'achat, qui s'en vient passer quelque temps chez nous, pas pour travailler, mais pour consommer. Pourquoi l'invite-t-on ? Pour qu'il vienne édifier nos gens ? Non. C'est uniquement pour avoir son argent en échange de nos produits et de nos services.

C'est donc une forme d'exportation : le produit passé à la consommation étrangère — avec cette particularité que le consommateur étranger vient consommer ces produits ici même. Le moteur de la propagande faite pour attirer les touristes, c'est toujours la course à l'argent rare, au lieu du produit abondant. L'argent rare, le voisin ne l'a pas ; on appelle l'étranger, même si le voisin n'a rien sur sa table.

À remarquer, ici encore, qu'on ne cherche point le pendant logique à cette forme d'exportation. On ne met point le même entrain à pousser nos nationaux vers le tourisme à l'étranger. Ce serait de l'importation, ce serait la consommation des produits étrangers par nos nationaux.

Le tourisme promu à coups de dollars, c'est donc de l'exportation ; et les dépenses faites par le gouvernement, avec les deniers publics, pour promouvoir le tourisme, sont une forme d'octroi à l'exportation — octroi encore payé par le contribuable du pays exportateur.

On explique tout cela en disant qu'il faut une balance de commerce favorable, des exportations plus fortes que les importations. Il faut cela, en effet, pour payer à l'étranger les servitudes occasionnées par nos emprunts de capital étranger, par l'importation bête de chiffres étrangers pour se reconnaître le droit d'appliquer le travail canadien à l'exploitation des richesses naturelles du Canada.

Désordre, ordre

Toutes ces choses à l'envers de l'ordre naturel sont causées par le désordre de l'argent. Et nous sommes devenus la chose de ceux qui contrôlent l'argent. Notre position de quatrième pays exportateur du monde peut enorgueillir des superficiels, elle ne fait la fortune que de ceux qui prospèrent dans l'argent désordonné.

Les financiers internationaux règnent en maîtres dans le commerce international. En devenant gros commerçant international, le Canada est entré dans leur fief, non en maître, mais en "caddy" fidèle. La production canadienne est presque tout entière devenue la dépendance du commerce international. Les grosses maisons d'exportation ont leurs agents partout dans les campagnes pour prendre ce qu'il y a de meilleur. Les consommateurs du pays vivent des restes. Le marché domestique, le marché des familles canadiennes, n'est plus qu'un sous-produit du marché international.

Aussi, les créditistes ont-ils bien l'intention de rétablir la priorité du marché domestique. Ils aiment les choses en ordre : les nationaux premiers servis, les étrangers après.

Le Crédit Social, qui donne aux réalités leur place et au signe la sienne, soumet l'argent au produit et non pas le produit à l'argent. Aussi envisage-t-il logiquement les exportations et les importations. Sans bannir le moins du monde le commerce international sain, le Crédit Social considère l'importation comme une richesse qui entre et l'exportation comme une richesse qui sort.

Aussi peut-on s'attendre que, sous une économie créditiste,, les importations seraient, dans l'ensemble, équivalentes aux exportations. Les deux côtés y gagneraient, et bien des frictions tomberaient.

Mais on serait alors dans un monde où l'on ne courrait plus après l'argent rare, parce que l'argent serait aussi abondant que la production elle-même. Voilà une chose très simple, que les esprits forts ne peuvent avaler et que les exploiteurs d'hommes ne peuvent digérer.

Louis Even

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