Les hommes d'hier ne sont pas nécessairement vieux, et les hommes de demain ne sont pas nécessairement jeunes.
Un jeune homme qui pense en termes de l'étalon-or, en termes d'embauchage intégral, en termes de droit de vivre soumis à l'emploi, est un homme d'hier, même s'il est frais émoulu de l'université.
Par contre, un homme qui relègue le non-sens financier au royaume des loups-garous, qui mesure le droit de vivre à l'existence d'une production abondante, qui admet les loisirs lorsque la machine travaille pour l'homme, celui-là, eût-il soixante ans, est un homme de demain.
L'homme d'hier se croit encore à l'ère de la force musculaire, du bœuf et du moulin à vent.
L'homme de demain a reconnu la vapeur, l'électricité, le pétrole, et il salue l'avènement prochain de l'énergie solaire directe.
Pour l'homme d'hier, le progrès pose des problèmes insolubles sans l'enrégimentation, la caserne, la socialisation.
Pour l'homme de demain, le progrès fait l'homme libre, permet la culture, dématérialise la vie.
La pierre de touche de l'homme d'hier, c'est qu'il croit, dur comme roche, qu'un homme ne serait plus un homme, s'il mangeait un morceau de pain sans produire du travail vendable.
La pierre de touche de l'homme de demain, c'est d'admettre que la production, toute production qui correspond à des besoins, doit aller aux consommateurs pour qui elle est faite, quelle que soit l'origine de cette production, même si elle naissait sans coûter à personne plus de travail qu'un rayon du beau soleil de Dieu.
Les socialistes sont des hommes d'hier. Ils ne rêvent que de trouver de l'emploi pour tous et de répartir moins inégalement la rareté. Les socialistes, comme tous les hommes d'hier, sont des hommes de rareté.
Les créditistes sont des hommes de demain. Au salaire qui disparaît quand la production se mécanise, ils ajoutent ou substituent le dividende pour tirer sur la production de la machine. Les créditistes ne rationnent pas : ils ont vu l'abondance et offrent la clef à tous pour puiser à cette abondance. Les hommes de demain sont des hommes de l'âge d'abondance.
Le sort de l'homme d'hier, c'est d'être tout à fait acceptable aux puissances qui tiennent le monde dans le creux de leurs mains. C'est que la philosophie de l'homme d'hier et la philosophie des exploiteurs d'hommes conduisent à un point commun : l'être humain attelé, l'être humain mené, l'être humain placé dans l'alternative d'abdiquer sa liberté ou de crever de faim.
Le sort de l'homme de demain, c'est d'être excommunié par les puissances d'argent et par les pouvoirs bon gré ou mal gré subalternes des puissances d'argent. C'est que la philosophie de l'homme de demain libère la personne humaine : elle veut un homme libre d'organiser lui-même sa propre vie, profitant des avantages de la société et du progrès, enrichissant d'ailleurs la société en donnant sa pleine valeur autrement que sous le harnais des enrégimenteurs d'hommes.
Roosevelt, Churchill, sont des hommes d'hier. Des hommes d'emplois pour tous au sortir de cette guerre comme pendant cette guerre. Leur charte est acclamée, leurs portraits remplissent journaux et revues, ils vont sans doute avoir leurs statues avant de mourir.
Le vice-président Wallace (aux États-Unis) est presque un homme de demain : quelle publicité donne-t-on à ses discours ?
Le secrétaire Cordell Hull est un homme d'hier : ses déclarations sont reproduites jusqu'à la dernière ligne.
Sir William Beveridge est un homme d'hier. Toute la presse lui est acquise.
C.-H. Douglas est un homme de demain. Toute la presse boycotte son nom et ses œuvres.
N'a-t-on pas vu, dans notre propre province, des salles paroissiales accordées aux C. C. F., qui restent des hommes d'hier, et refusées aux Créditistes, véritables hommes de demain ?
Tout le monde parle d'ordre nouveau. Mais on peut s'attendre à ce que les profiteurs de l'ordre ancien ne permettront point si facilement l'établissement d'un ordre nouveau qui ne respecterait pas leur pouvoir. Ils accepteront un changement de formule, mais non un changement de substance. Et comme ils possèdent des moyens, ils veillent sur leur grain.
Aussi assistons-nous à la préparation de l'ordre de demain par des hommes d'hier. Il ne manque pas de spectateurs pour s'y méprendre et bénir cette fumisterie.
Le meilleur moyen de faire obstruction à une réforme réelle, c'est de promouvoir une réforme apparente et de lui faire beaucoup de publicité. Les lâches s'en contenteront : C'est mieux que rien, diront-ils. Les conciliants l'appuieront : Il faut procéder par paliers. Des moralistes la soutiendront : Il ne faut pas être trop radical. La clique cachée, elle, enregistrera une victoire : une centralisation de plus, comme prix d'un morceau de pain de plus.
Suivez les débats d'Ottawa. Lisez les discours prononcés autour du comité de restauration et de rétablissement, puis autour du comité de sécurité sociale. Vous verrez la pléiade d'hommes d'hier parler sérieusement de la confection de l'ordre de demain.
Ils cherchent les moyens de vivre mieux qu'hier, tout en subissant le système financier d'hier. Le système financier étant centralisateur par excellence et disposant de moyens brutaux pour atteindre sa fin, on devine à quoi l'on peut s'attendre.
Le premier-ministre, Mackenzie King, est un homme d'hier. Le discours du trône renferme la pierre de touche : "du travail pour tous après la guerre". Après de belles phrases sur la fonction sociale de l'industrie, prononcées le 3 mars, vous l'entendez demander de trouver des mesures, non pas pour empêcher les crises financières, mais pour en atténuer les effets.
Mais qu'est-ce donc qu'une crise financière ?
Hommes d'hier, ces ministres et députés qui croient les crises financières de la même nature et aussi inévitables que des crises de soleil, de neige, de vent ou de pluie.
Hommes d'hier, les C. C. F., comme MacInnis. Tout en relevant l'absurdité d'un régime dans lequel on vit mieux lorsque 1,600,000 Canadiens sont employés à la guerre que lorsque ces mêmes hommes et jeunes gens sont disponibles pour la production utile (discours du 25 février), M. MacInnis nous dira, le 3 mars, que si des hommes sont dépourvus des richesses de ce monde, c'est qu'ils n'ont pas su économiser.
Économiser quoi ? De l'argent sans doute. Ils auraient donc dû se priver de toucher à la production, la laisser s'entasser et hâter le chômage ! Où mène la mentalité d'hier chez des gens qui veulent pourtant une réforme ? Radicaux pour déraciner la propriété privée, mais pas radicaux du tout vis-à-vis de règlements qui conduisent à l'enrégimentation du bétail humain.
Homme d'hier, Gordon Graydon, chef de l'opposition à Ottawa : "Assurer du travail et un salaire à nos gens, c'est le premier objectif que nous devons viser." (3 mars). Aussi ne faut-il pas s'étonner de l'entendre demander la visite de Sir Beveridge au comité canadien de sécurité sociale lorsque cet économiste à plans viendra en Amérique.
Seuls quelques orateurs créditistes à Ottawa se sont montrés hommes de demain.
Et en Nouvelle-France ? Sociologues et politiciens n'y parlent-ils pas aussi d'ordre nouveau ? Mais qui, en dehors des cadres créditistes, a le courage, la vision de proposer un monde délié des restrictions de la finance ; un monde dans lequel l'homme puisse vivre sans être par règlement une bête à production ?
Sans doute qu'il s'en lève pour réclamer que cet animal soit mieux traité, mieux nourri, mieux logé — mais toujours à condition qu'il soit occupé à quelque chose de vendable.
Civilisation mercantile. Civilisation de soumission du consommateur au producteur et, par le producteur, au financier.
Les plus hardis, toujours en dehors des créditistes, parlent de nationalisation, d'embauchage à des travaux publics.
Mais l'homme libre ? L'homme que la machine remplace pour la production matérielle et libère pour les activités créatrices de son propre choix — qui ose croire que cet homme-là puisse exister et ne pas se damner ? Qui, sinon les créditistes, hommes de demain ?
Les quelque 80 législateurs actuellement en session à Québec posent, discutent, concluent, dans les chaînes d'hier. Hommes d'hier, depuis le premier-ministre jusqu'à la plus carpe, de ses députés. Parfaitement inoffensifs pour ceux qui sont devenus les "maîtres de nos vies" et contrôlent notre droit de respirer.
Ceux qui passèrent de 1936 à 1939, et qui aiment tant à chanter sur toutes les octaves qu'ils ont donné du travail et du pain à la province, n'ont-ils pas limité leur pain aux permissions de la finance, au lieu de le jauger à la production qui s'offrait ? Et l'on ne voit pas, dans leurs plus récentes déclarations, qu'ils aient rien quitté de l'homme d'hier et rien acquis de l'homme de demain.
L'autre groupe qui se lève, avec un programme de réformes, sera-t-il fait d'hommes d'hier ou d'hommes de demain ?
Les puissances d'argent sauront, dans tous les groupes, barrer la route aux hommes de demain, et n'admettre à la préparation de demain que des hommes rétrécis par les idées économiques d'hier. La rouille ou le vernis politique importent peu, pourvu que ce soit des hommes d'hier !
C'est pourquoi il faut opposer une autre vigilance et une autre pression à la vigilance et à la pression des financiers.
C'est pourquoi ceux qui veulent qu'en notre pays, demain soit préparé par des hommes de demain, doivent forcer les hommes publics, soit à se dékyster de leur mentalité périmée d'hier, soit à prendre leur retraite.
Les centaines de mille électeurs et électrices, éclairés et formés par Vers Demain, ne peuvent consentir à confier leur destinée à des hommes d'hier. C'est pourquoi ils s'organisent. C'est pourquoi l'Union des Électeurs examine les hommes qui brandissent des programmes ou sollicitent des mandats, quelle que soit leur allégeance politique.
C'est pourquoi Vers Demain se fera un devoir d'exposer les paroles et les actes publics des politiciens, aspirants ou en selle, afin que l'Union des Électeurs sache au juste si elle a affaire à des replâtreurs d'hier ou à des créateurs de demain.