C'est le Financial Post de Toronto, du 25 novembre, qui suggère ce titre :
Peut-être appellera-t-on un jour la guerre qui se déroule présentement une guerre d'alphabets. Par là nous voulons dire que le conflit actuel se transforme en un conflit économique : conflit de blé, conflit de cuivre, conflit d'huile, conflit d'argent. Et dans ce conflit, ceux qui contrôlent ces armes puissantes jouent un rôle égal, sinon supérieur, à celui du sang et des batailles. Le Canada possède déjà une bonne parade de ces alphabets : W.S.B., E.C.B., A.T., W.P.T.D., S.L.B., A.C.E.P., A.S.B., V.S.R.B., etc.
Lisez, parce qu'on est en pays anglais : War Supply Board, Exchange Control Board, Alien Tribunal, Wartime Prices Trade Board, Ship Licensing Board, Advisory Committee on Economic Policy, Agricultural Supply Board, Voluntary Service Registration Board, etc. Une bureaucratie, quoi, pour faire démocraties comme non-démocraties danser au son du violon de cet autre Board dont nous parlions dans notre numéro du 15 novembre : le Board des 23 de Bâle.
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Du professeur Bonn, économiste allemand naturalisé anglais, cité dans le Star de Montréal du 30 novembre :
Les finances internationales des vingt dernières années consistent à donner des biens que vous ne reverrez jamais. On appelle cela un prêt, et non un cadeau. La psychologie naïve du monde capitaliste continue de penser que les dettes devront encore être payées.
En voilà un qui va bientôt devenir créditiste. Il est évident que, quand les États-Unis passent au Chili un prêt pour acheter le surplus de production des États-Unis que les Américains ne peuvent acheter, le gouvernement américain fait au Chili un cadeau qu'il refuse à ses propres citoyens. Lorsque l'Angleterre prête à la Pologne du crédit-chiffre de la Banque d'Angleterre pour acheter en Angleterre ce que les Anglais ne peuvent payer, l'Angleterre fait à la Pologne un cadeau qu'elle refuse aux Anglais. Lorsque notre gouvernement nous prêche des exportations en excès de nos importations, parce que nous avons plus de biens que d'argent, il nous prie de faire à l'étranger un cadeau qu'il refuse aux familles canadiennes... À quand le dividende national ?
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Du Sherbrooke Daily Record du 30 novembre :
L'Irlande s'aperçoit de nouveau que ses efforts pour être tout à la fois dans l'Empire et hors de l'Empire lui causent bien des ennuis. Les œufs de l'Ulster (Irlande anglaise du nord) sont classés "produits domestiques" sur le marché anglais ; tandis que les œufs de l'État libre d'Irlande sont classés "produits presque européens". Aussi, dans le gros, les œufs de l'Ulster commandent 59 sous la douzaine ; ceux de l'État Libre, seulement 41 sous la douzaine (bien qu'ils proviennent de la même île). Protestations des agriculteurs irlandais qui perdent ainsi trois millions. Mais les protestataires oublient le fait que l'Irlande essaye de rester neutre, tandis que le reste de l'Empire, l'Ulster y compris, fait un effort suprême pour sauver la démocratie.
Les poules des pays en guerre fournissent sans doute des œufs plus vitaminés. Nous conseillons à nos aviculteurs de vendre leurs œufs aux États-Unis en majorant le prix de 40 pour cent, sur base de vertus guerrières : ils auront en même temps le mérite de contribuer au redressement de notre dollar qui, lui, manque terriblement de vitamines par rapport au dollar américain.
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Un récent numéro du Financial Post s'indigne :
─ du double jeu de Liberty, hebdomadaire américain avec une édition canadienne, qui, dans son édition américaine, renferme des articles vitrioliques contre la guerre, et, dans son édition canadienne, exhorte les Canadiens à continuer leurs courageux efforts de guerre.
Faut bien. C'est le règlement. Sans doute que l'édition américaine, plus libre, exprime la véritable opinion des rédacteurs ; mais au Canada, il y a une censure, et il faut s'y conformer. Qui blâmer ? S'il y a une leçon pratique à tirer, c'est qu'il faut savoir lire entre les lignes dans les journaux des pays en guerre.
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Du Christian Science Monitor, de Boston, 29 novembre :
Les journaux ne parlent que de poursuites d'enquêtes : Enquête du Congrès sur le communisme ; enquête du Sénat sur le fascisme. L'armée, la marine, le Bureau Fédéral des Investigations font des enquêtes sur l'espionnage. La police en conduit continuellement sur les crimes. Enquêtes nécessaires, sans doute ; mais c'est à laisser croire qu'il n'y a que crimes et criminels dans le pays. S'il nous est donné d'avoir un représentant au Sénat ou à la Chambre (ce qui ne semble pas encore imminent), nous lui demanderons de presser l'institution d'une enquête nouveau genre : un comité national chargé de découvrir les bons citoyens, les serviteurs fidèles qui accomplissent leurs fonctions dans l'intérêt du bien commun. Comme il y a 100,000 citoyens honnêtes contre un malhonnête, le travail ira rondement. Est-ce que le bien ne mérite pas plus de publicité que le mal ?
Le malheur est que les journaux n'appuieront pas ce point de vue. Ils perdraient leurs lecteurs : les vies des saints sont beaucoup moins lues que les romans policiers. Demandez à La Presse quand est-ce que son tirage grossit.
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Du Financial Globe du 25 novembre :
Les chiffres officiels de six mois démontrent que le gouvernement fédéral a perçu en impôt sur le revenu 111 millions. C'est le tiers de tout l'argent perçu par le fédéral, et cet item dépasse n'importe quel autre de 30 millions. Or tout vient du haut de l'échelle. Les corporations en paient les deux tiers ; l'autre tiers, sauf une dizaine de millions, vient d'une poignée de Canadiens (7000 en 1938). À peine un travailleur sur 14 paie impôt sur le revenu. (Et le journal continue en réclamant l'abaissement de l'exemption d'impôt, pour que tous les citoyens, ou à peu près, paient l'impôt).
Outre que le citoyen ordinaire paie, dans ses prix, sa grosse part de l'impôt, nous ferons remarquer au Financial Globe que, nombreux sont ceux qui voudraient avoir le privilège de payer un impôt sur le revenu. Il y a une solution très acceptable : non pas abaisser la frontière de l'impôt jusqu'au niveau des masses pauvres, mais hausser le revenu des masses pauvres jusqu'au niveau où l'on paie l'impôt.
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Du Canadian Unionist d'octobre :
De même que la distribution inéquitable des ressources de la planète produit des frictions entre les nations qui possèdent et les nations qui ne possèdent pas, ce qui conduit ultimement à la guerre ; de même l'accès aux ressources naturelles de l'univers, par toutes les nations du monde, sur quelque base assez conforme à la justice, est la seule condition d'une paix durable. La rivalité commerciale et la lutte pour des territoires sont les parents de la guerre. Un commerce sans restriction et la part de tous aux ressources du monde forment la base physique et durable de la paix.
Un commerce non entravé par la rareté délibérément voulue de l'argent et l'accès de toutes les familles du Canada à une part légitime des immenses richesses du Canada, seraient pareillement la base physique de la paix à l'intérieur du pays.
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Du Star de Montréal, 30 novembre :
La fleur de notre jeunesse canadienne n'en sera que plus avide de prendre la place de ceux qui sont tombés et d'accomplir pleinement sa part, comme elle l'a magnifiquement accomplie, il y a un quart de siècle, pour que prévale la cause de la liberté.
Demandez à la jeunesse qui chôme depuis dix ans quelle liberté lui ont value les sacrifices de la jeunesse fauchée pour la même cause sacrée de 1914 à 1918.
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De la Presse Associée, dans les journaux du 28 novembre :
Rome, 27 nov. ─ Il y aura du blé en abondance pour les nations belligérantes en 1940, bien que quelques-unes puissent avoir de la difficulté à s'en procurer. L'Institut International d'Agriculture dit qu'en dépit de la consommation croissante et de la tendance des pays à faire des réserves à cause de la guerre, il y aura du blé plus que suffisamment pour faire face aux demandes de l'année qui s'amène.
Avec le blé on fait du pain. Si des familles canadiennes ont, comme l'Allemagne, de la difficulté à s'en procurer, qui donc organise et maintient le blocus autour de nos maisons ?
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De L'Action Catholique du 22 novembre :
Montréal, 21. ─ Une triste affaire a été mise à jour hier soir.
Il s'agit d'une enfant née et décédée le 26 octobre dernier, qui aurait été rapportée à sa mère, parce que l'entrepreneur de pompes funèbres qui n'avait pas encore été payé pour l'inhumation ne voulait plus s'en charger. On a appris que le compte dû à l'entrepreneur se montait à la faible somme de six dollars et quelques sous. Le corps de l'enfant était dans son établissement depuis le jour du décès. Mme Carbonneau, actuellement sous les soins du Dr Foisy, était encore très faible au moment où on lui a rapporté le cadavre de son enfant. À ce moment, M. Carbonneau était sorti, en quête d'une situation, et elle a cru d'abord qu'on lui apportait un paquet de victuailles. Son émoi a été affreux, lorsqu'elle a ouvert le colis, pour constater qu'il s'agissait du corps de son enfant morte depuis plus de trois semaines, peu de temps après avoir été baptisée.
Nous espérons que le gouvernement souverain qui s'obstine à perpétuer le régime monétaire d'argent rare, fera une compilation des faits de cette nature (ils sont légion), qu'il les éditera en un livre d'or dont il fera la distribution aux électeurs lors du prochain appel au peuple pour démontrer que l'argent ne manque pas au Canada.