Parlant à un dîner-causerie, pas de chômeurs, mais des fils à papa de la Chambre de Commerce des Jeunes de Montréal, notre premier-ministre disait, entre autres choses, le 11 décembre :
Vous avez organisé des visites industrielles, et je vous en félicite. Le succès de la visite que vous avez organisée à la montagne aidera le gouvernement à faire comprendre à la population les sacrifices que nous devrons lui imposer si l'Université de Montréal doit être terminée.
Sacrifice de quoi ? De ce que la population peut faire par son travail, ou de ce que seules les banques peuvent faire par leur plume ?
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Le même jour, toujours dans la bonne ville de Montréal, le ministre des Finances d'Ottawa, l'hon. J.-L. Usley, dont la finance orthodoxe n'a rien à craindre, disait :
« Il y a des apôtres d'aménité qui croient que le gouvernement ne doit pas faire appel aux sacrifices de la part du public. Mais nous ne pouvons pas gagner une guerre de fabrication allemande en jouissant d'un régime de vie de fabrication américaine. C'est à nous tous, riches et pauvres, de faire un effort spécial durant cette période de la guerre pour épargner, éviter les extravagances, abandonner le luxe et faire des sacrifices. »
Riches et pauvres ! éviter les extravagances, le luxe. Quelles extravagances, quel luxe se paient donc une foule de gens depuis longtemps tenus aux sacrifices forcés ? Le régime de vie de fabrication américaine a depuis longtemps pour eux fait place à un régime de vie de fabrication bancaire. Est-ce celui-là qui va gagner la guerre ?
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En veine de discours, le premier-ministre de la province disait à Montréal, encore le 11 décembre :
Tandis que nos mères-patries sont divisées outremer, un ordre parfait règne dans ce pays. C'est tout comme si le peuple canadien représentait des frères jumeaux. La raison, c'est que le gouvernement d'Ottawa accorde à toutes les classes de la population la mesure de justice qui leur revient.
De quoi faire bondir ceux qui se plaignent que notre nationalité n'a pas la moitié de la part qui lui revient d'après le chiffre de sa population au Canada. Toutes les classes de la population ont leur part de justice : les ouvriers, les expulsés du travail, les agriculteurs, les colons, les banquiers, les trustards — tous ont leur part de justice !.... Mais c'était un chef libéral parlant à l'Association Libérale de la division Montréal-Mercier !
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Un correspondant nous écrit :
L'autre jour, dans l'autobus, un sergent qui fait la garde nationale du pays disait : "Vendredi, j'ai bu 100 verres de bière !" J'avais envie de lui demander : Qu'auriez-vous fait si l'ennemi eût attaqué ce jour-là ? Qu'auraient fait les hommes qui dépendent de vous ? Aujourd'hui, il est valet d'un major, dit-il. Il frotte chaussures et boutons ; et quand le major est trop chaud, il cache la boisson et ramasse l'argent. Il en fait l'usage dont il se vante.
Le correspondant ajoute : "Comme vous voyez, Monsieur, vous pouvez dormir tranquille, on est très bien gardé."... Nous voulons croire que c'est un cas isolé, et nous nous gardons bien de généraliser. Tout de même, des observateurs ont déjà cru devoir attirer l'attention des autorités sur l'empressement de marchands de bière à tirer parti de la solde des mobilisés.
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M. Jean-Charles Harvey voudrait que le gouvernement d'Ottawa reconnaisse officiellement le mouvement du général de Gaulle, en attendant qu'il puisse répudier le gouvernement de Pétain. D'après M. Harvey, des "cinquième colonne" font croire à notre gouvernement d'Ottawa que la majorité des Canadiens-français est pour de Gaulle et abhorre Pétain. Contre quoi proteste Jean-Charles Harvey, qui se considère sans doute le porte-parole attitré de la Province de Québec :
"Nous affirmons, sans crainte de nous tromper, que les Canadiens de langue française sont, en immense majorité, des partisans et admirateurs du mouvement de Gaulle et des contempteurs des Vichyards, signataires d'un pacte de collaboration franco-allemande... Nous ne pouvons pas encore rompre officiellement avec les Vichyards... Fort bien ! Mais le moins qu'on puisse demander aux représentants de la cour du Sultan (Pétain), c'est d'exercer la plus stricte discrétion, de se montrer le moins possible, de parler peu, très peu, de bien sentir que leur position est fausse et de savoir à n'en pas douter qu'entre les hommes de Vichy et les hommes de Charles de Gaulle, le choix des Canadiens de langue française est fait depuis longtemps et résiste à toute propagande." (Le Jour, 21 décembre 1940).
Nous pensons que les Canadiens de langue française sont pour le Canada.
Quant à leurs sentiments vis-à-vis de ceux qui ont charge des destinées de la France, nous ne voyons pas bien quel mandat Jean-Charles Harvey a reçu pour s'en faire l'interprète autorisé.
Voici un autre son de cloche :
La Frontière, de Rouyn, dans son édition du 10 décembre, reproduit une déclaration faite par M. l'abbé Paul Buhrer, curé de la paroisse de St-Louis d'Auburn, dans un discours qu'il prononçait lors de la visite de l'ambassadeur français Gaston Henry Haye aux Franco-Américains de Lewiston (Maine) :
S'il y a quelque chose qui a le don de m'exaspérer c'est cette expression : "Gouvernement de Vichy", qu'on trouve parfois sur les lèvres ou sous la plume de discoureurs et de journalistes. Ou ils sont de bonne foi ou ils ne le sont pas. S'ils sont de bonne foi, ce sont des ignorants et des imbéciles qui ne devraient jamais se mêler de prendre la parole en public ou d'écrire, car tout le monde sait qu'on ne désigne pas un gouvernement par le lieu où il réside mais par le peuple qu'il gouverne. On ne dit pas le gouvernement de Londres, ou de Berlin, mais le gouvernement anglais ou le gouvernement allemand. — Mais, la plupart de ceux qui traitent le gouvernement français de "gouvernement de Vivhy" le font malicieusement, pour le discréditer aux yeux du monde et faire de son chef, le glorieux Maréchal Pétain, un objet de ridicule. Ces canailles on peut les placer d'un mot en montrant de quelles sources ils tirent leur inspiration : le Grand Orient de France, à qui le Maréchal a porté un fameux coup d'épée, dont il ne se relèvera pas, espérons-le, car il n'a pas, lui, les promesses de la vie éternelle. Ou bien de quelque officine internationale à la solde de Moscou.
... Et la propagande soigneusement entretenue et richement payée s'en va bon train ! Elle ne craint pas de s'attaquer à une des gloires les plus grandes et les plus pures de la France : PÉTAIN — Eh bien ses ennemis peuvent baver tout leur saoûl, leur bave ne tachera pas même la boue qui s'est attachée aux bottes du Maréchal sur les hauteurs de Verdun.
Ce curé et Jean-Charles ne s'accordent certainement pas.
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De l'Illustration Nouvelle du 20 décembre :
L'Alberta continue son expérience financière connue sous le nom de "crédit social" avec plus ou moins de succès. De récentes statistiques démontrent que les ministres, députés et fonctionnaires du gouvernement albertain ont augmenté toutes leurs dépenses dans une proportion alarmante. Bien plus, avec l'excédent des dépenses faites depuis 1936, c'est-à-dire depuis qu'Aberhart a pris le pouvoir, on aurait pu payer l'intérêt sur les obligations de la province. On prélève beaucoup plus d'impôts qu'autrefois en Alberta et les contribuables sont aussi plus taxés. Les représentants publics gaspillent et le crédit de la province s'en va à la ruine.
Qu'est-ce qui prend ce petit journaliste tout d'un coup ? C'est aux gens de l'Alberta, pas aux banquiers ni à l'Illustration de Montréal, de juger si leur gouvernement les taxe trop, s'il gaspille, s'il réussit ou échoue dans son expérience. Et il n'y a pas si longtemps que les Albertains ont renouvelé leur confiance à Aberhart, après avoir été à même de voir ce qu'il faisait et ce qu'il ne faisait pas. Puis, où donc l'Illustration se renseigne-t-elle ?
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La dépêche suivante a paru dans tous les journaux du pays qui nous sont tombés sous la main.
WASHINGTON, 2 — (B.U.P.) — Bernard-M. Baruch, financier fameux aux États-Unis, a déclaré hier, à Raymond-G. Carroll, correspondant de la "British United Press" : "Je considère le Canada comme l'entrepôt économique de l'hémisphère occidental et de l'empire britannique et j'entrevois pour lui un très grand avenir."
Avions-nous besoin du juif Baruch pour nous annoncer que le Canada est appelé à un grand avenir ? C'était bien la vision de Champlain. Mais l'avenir souhaité par le fondateur du Canada et celui qu'entrevoit le "président non officiel" des États-Unis ne sont peut-être pas du même critère. Le grand chrétien y voyait un royaume à donner au Christ. Le grand financier y découvre un immense entrepôt de richesses... pour qui ?
De Baruch nous connaissons mieux le passé que l'avenir. Il a pu dire de lui-même : "Durant la première guerre mondiale, j'étais l'homme le plus puissant des États-Unis." Une revue juive, The Brooklyn Jewish Examiner, en fait l'éloge suivant : "L'un des conseillers-maîtres du président Roosevelt est Bernard M. Baruch, puissance reconnue déjà sous l'administration Wilson. Lorsque le secrétaire d'État, Cordell Hull et le président Roosevelt sont tous les deux absents de Washington, M. Baruch est considéré comme le président non officiel. » Qui comptera combien de congressmen ont dû leur élection à l'intervention opportune des dollars de Baruch !
Et nos bons journaux poussent le snobisme jusqu'à présenter à la délectation des Canadiens les oracles de ce parvenu israélite !
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Des courtiers en placement, F. J. Fairhall & Associates Ltd., Montréal, montrent comment une action placée dans des compagnies de pétrole en 1912 est devenue 2, 4, 20, même 600 actions en 1927. Comment un capital de $4,256 en 1912 avait rapporté $20,557 dans les 15 ans et était devenu un capital de $61,078. Voici le tableau de l'évolution des actions :
Vous vous demandez comment 1 action peut se changer ainsi en plusieurs. C'est comme les cellules vivantes. L'argent est en vie, il fait des petits. Et c'est cette fécondité de l'argent qui compte dans le capitalisme moderne. Pas les sueurs des ouvriers. L'argent travaille pendant que l'actionnaire dort. Ô cher argent !
Les courtiers ajoutent qu'à la fin de 1926, outre les énormes dividendes payés, ces dix compagnies avaient un surplus et des profits non répartis de plus d'un milliard. Un milliard qui est entré dans les prix et qui n'a jamais été distribué. Et rivés à leurs manuels, les professeurs d'économie continuent de nous enseigner que la production finance la consommation !