Les journaux ont mentionné une lettre adressée aux honorables Mackenzie King et Ernest Lapointe, dont le directeur de VERS DEMAIN fut l'un des signataires. Autant que nous le sachions, seuls Le Devoir et L'Opinion Publique l'ont reproduite intégralement.
Comme nos lecteurs aiment la documentation nous leur passons le texte complet de la lettre. Ils verront qu'on n'y épouse point du tout la déclaration de M. Camillien Houde, mais qu'on réclame un certain respect du peuple et de la parole donnée auquel le public a droit même de la part de ses politiciens.
Aux Honorables Messieurs Mackenzie King et Ernest Lapointe.
Vous avez ordonné l'arrestation et l'internement sans aucune forme de procès de M. Camillien Houde, maire de Montréal, parce que, convaincu que vous nous acheminiez vers la conscription pour service outremer, il a jugé que vous outrepassiez votre mandat.
Au moment même où l'on réclame le sang de nos fils et notre dernier dollar pour la défense de "la liberté" et de "la démocratie" ce procédé sommaire envers le premier magistrat de la métropole ne laisse pas de stupéfier nos concitoyens.
Vous avez déjà affirmé, il est vrai, que l'enregistrement devait servir à la conscription uniquement pour la défense du Canada.
Cependant, lors de la dernière guerre, nos chefs politiques avaient situé la première ligne de défense du Canada aux Dardanelles et dans les Flandres. Aujourd'hui, plusieurs de vos collègues, dont vous êtes solidaires, après l'avoir promenée du Rhin à la Norvège, la placent temporairement en Angleterre.
Au surplus, vos actes, depuis le début de la guerre, sont en contradiction tellement évidente avec vos déclarations solennelles de 1938 et 1939, que vous devez admettre, en toute honnêteté, que nos concitoyens sont justifiables de douter de votre parole et de manifester du désarroi.
Si pour une fois vous voulez que le peuple croit en votre sincérité et si vous désirez éviter la désobéissance civile, déclarez donc, sans équivoque, à l'unanimité du cabinet, que jamais cet enregistrement ne servira, sous aucun prétexte, à envoyer un seul homme combattre hors du Canada.
Nous sommes d'avis qu'une déclaration catégorique de votre part empêcherait nombre de nos concitoyens de voir en votre loi d'inscription nationale une mesure vexatoire imposée sans mandat.
Croyez, Messieurs les Ministres, à notre ferme résolution.
PHILIPPE HAMEL, J.- E. GRÉGOIRE, RENÉ CHALOULT, PAUL BOUCHARD, LOUIS EVEN
Québec, ce 9 août 1940
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Pour documentation encore, soulignons le passage suivant du discours prononcé à la radio le soir du 14 août par l'hon. Ernest Lapointe :
La loi de mobilisation est claire. Pour nier qu'elle ne s'applique qu'à la défense du Canada, il faut être ignorant ou saboteur. Les engagements qui ont été pris sont également formels. Le 18 juin de cette année, parlant sur la loi de l'inscription nationale, le très Honorable Mackenzie King, premier ministre de ce pays, faisait aux Communes la déclaration suivante :
Quant à la mobilisation d'effectifs en hommes, elle sera destinée uniquement et exclusivement à la défense du Canada, sur son propre territoire et dans ses propres eaux territoriales.
Est-ce assez clair ?
Moi-même, dans un discours prononcé à la radio le 23 juin dernier, j'ai rappelé mes déclarations du 31 mars et du 9 septembre 1939, contre la conscription pour service outre-mer.
Je le répète ce soir, le service outremer demeure volontaire.
À ceux que ne tranquiliseraient pas ces déclarations répétées de l'Hon. Ernest Lapointe, le ministre a soin de rappeler qu'il a toujours tenu ses promesses : "J'ai toujours tenu mes promesses et j'ai l'intention de toujours les tenir." Le public est à même de le savoir.
Au cours de ce même discours à la radio, l'Honorable Ernest Lapointe a dit d'autres choses qu'il ne nous est guère loisible de commenter librement dans les circonstances actuelles.
Il attribue à ceux qui ne pensent pas exactement comme lui sur toute la ligne des motifs électoraux, des ambitions égoïstes, la soif de gloriole et des sentiments de basse jalousie. Se permettre de douter de la parole sacrée de M. Lapointe, c'est "accomplir une abominable besogne de trahison envers la cause nationale."
"Le Devoir" du 16 août relevait, en les dégonflant, les expressions enflammées du ministre de la Justice. Laissons au vieux libéral la satisfaction de croire qu'il a fait vibrer les cordes sensibles de la population québécoise. Mais il est tout de même une phrase de son discours qui fait spontanément naître une question dans l'esprit de tout créditiste. M. Lapointe déclare solennellement :
Mes chers compatriotes, comme ministre de la Couronne ayant accès à tous les renseignements publics et secrets, laissez-moi vous répéter que la situation où nous nous trouvons est extrêmement dangereuse.
Comme ministre de la couronne, ayant accès à tous les documents, n'a-t-il jamais vu avant la guerre la situation extrêmement dangereuse faite à nombre de ses concitoyens par un ennemi contre lequel nous attendons encore la mobilisation du gouvernement ?
C'est tout pour aujourd'hui. L'histoire se fait. Elle s'écrira plus tard.
Louis EVEN
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Dépêche de la B. U. P. reproduite dans les journaux du 13 août :
L'Honorable J.-A. McKinnon, ministre fédéral du Commerce, a déclaré aujourd'hui que le commerce du blé entrait dans un tel marasme à cause de la guerre européenne, qu'il pourrait provoquer une terrible crise du blé dans le pays. "Il faudra, dit le ministre, obtenir les pouvoirs nécessaires pour y faire face." Un comité a été formé pour aviser l'Office fédéral du Blé. Fermiers, entreposeurs, courtiers, consommateurs et expéditeurs sont représentés dans le comité.
Autrefois, à en croire l'histoire sainte, il y avait crise de blé lorsqu'on manquait de blé. Aujourd'hui, il y a crise de blé quand on en a trop. Pauvres humains !... Nous ne sommes pas dans le comité consultatif, mais nous suggérerions bien à M. Rosario Messier qui en fait partie et qui, Canadien de chez nous, ne doit pas manquer de bon sens, un simple petit remède pour pallier, au moins, à la gravité de la situation en décongestionnant l'abondance. Qu'il demande au gouvernement de distribuer gratuitement à toutes les familles qui les accepteront trois bons par membre de la famille. Chaque bon donnera droit à un sac de farine. Pour notre compte personnel, nous nous engagerons à utiliser les 18 bons qui nous reviendront et à consommer dans notre famille dix-huit sacs de farine de l'ouest. Les bons seront remboursés aux producteurs par de l'argent tout neuf que le gouvernement fera avec la même facilité que les banquiers. Vous verrez si cet argent tout neuf ne créera pas de l'activité dans tout le Canada ! Ce sera faire d'une pierre deux coups.
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De L'Action Catholique du 13 août :
M. Hormisdas Langlais, député des Îles de la Madeleine, a conduit ce matin une délégation de jeunes gens et chefs de famille de son comté... La situation, nous a expliqué le député, est assez critique, à l'heure actuelle, pour une bonne partie de la population des Îles de la Madeleine. Nous venons exposer au gouvernement les besoins du comté. La morue est assez abondante, dit-il, mais elle se tient au large. Nos pêcheurs ne peuvent aller la chercher avec leurs petits bateaux. Nous avons bien beaucoup de maquereau. Il y en a au moins 24,000 barils dans les entrepôts. Le seul inconvénient, c'est que nous ne trouvons pas à le vendre. Et M. Langlais d'ajouter : "Il faudrait que le gouvernement fédéral l'achète pour le faire manger dans les camps de concentration."
Comme quoi le maquereau se conduit mieux que l'argent. L'argent est un peu comme la morue qui se tient au large, hors d'atteinte des pauvres Madelinots. Une chance, paraît-il, qu'on a des camps de concentration et qu'ils sont peuplés. Mais si le gouvernement paternel leur sert du maquereau, que vont dire les producteurs de saumon, de flétan, de bœuf, de porc ? À moins qu'on mette nos prisonniers de guerre et nos cinquième-colonne au régime de cinq repas par jour ! Qu'on consulte M. Camillien Houde, il ne manque ni d'esprit, ni d'estomac.
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À la Chambre des Communes, le 26 juillet :
M. Clarence Gillis (député de Cap-Breton Sud) : Je recevais hier de M. Silby Barrett, membre du bureau international du district no. 26 des United Mine Workers of America, un télégramme où il affirme que 450 mineurs de la région de la rivière Herbert et de Jogging, comté de Cumberland, Nouvelle-Écosse, ne travaillent que deux jours par semaine, par manque de commandes pour la houille.
Par manque de commandes. Qu'il s'agisse de l'industrie de la houille, de celle du vêtement, ou des chaussures, ou des prélarts, ou des meubles, ou de la peinture, ou même de la construction, est-ce que ce n'est pas toujours par manque de commandes.
Le manque de commandes crée le chômage, total ou partiel, d'une multitude de travailleurs.
Parce que les hommes et les femmes ne commandent pas de produits, parce qu'ils ne renouvellent pas leur lingerie, leurs meubles, ou qu'ils ménagent sur la nourriture, etc., des hommes et des jeunes gens valides chôment.
Et il y a encore des taupes pour nous dire de nous priver, de faire durer nos guenilles, d'épargner sur tout, de ménager, de faire des sacrifices, etc. Veut-on perpétuer et accentuer le chômage ? Ne serait-il pas plus logique de dire à chaque famille : Tenez, voilà cent, deux cents, trois cents dollars : placez des commandes. Consommateurs et producteurs y gagneraient. Le chômage y perdrait.