Du "Devoir" du 29 avril, sous la signature de M. Émile Benoist, sous le titre "Une économie selon saint Paul" :
"Il ne faut désespérer de rien, même dans un monde à l'envers comme celui d'aujourd'hui, parfaitement bouleversé et secoué en tout sens."
Quel événement réconfortant s'est donc passé ? Un discours. De qui ? De M. Jackson, au Canadian Club. Qui est M. Jackson ?
"M. Jackson est économiste de renommée parmi les Anglo-Saxons, diplômé de Denstone School et de Cambridge University, il a été et est redevenu, après un stage de quelques années à la Banque d'Angleterre, professeur à l'Université de Toronto."
Et M. Jackson a parlé en prenant comme texte la parole de saint Paul :
"À moi la vengeance, dit le Seigneur. Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s'il a soif, donne-lui à boire ; car agissant ainsi, tu amasseras des charbons de feu sur sa tête."
M. Jackson demande que l'Amérique distribue ses surplus à l'Europe, qu'elle les lui envoie gratuitement. Pas tout de suite toutefois. Rien qu'après la guerre, lorsque l'Angleterre aura fini sa job.
M. Jackson constate que, même avec la production de guerre, le Canada ne sait que faire de son blé, l'Australie de sa laine, la Nouvelle-Zélande de ses viandes. "Les stocks s'accumulent partout, et on ne sait ce qu'en faire, ils encombrent."
Donc, après la guerre, distribution gratuite de tout cela à l'Europe.
"Il en coûterait cher, pour le sûr qu'il en coûterait cher, dit M. Jackson. Ce serait le plus grand don dont l'histoire ait fait mention. Mais ce don ne coûterait pas plus cher que simplement six mois de guerre." "Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger, c'est de bonne stratégie. On peut même dire qu'en 1941 c'est de bonne économie."
Et voilà qui jette M. Benoist en extase :
"Il y a tout de même quelque chose de changé dans le monde depuis l'autre guerre : des économistes tiennent compte de l'esprit de charité, mieux de la nécessité d'un esprit de charité qui se manifeste par des œuvres."
Tout cela est assurément très consolant, même les découvertes tardives du journaliste. Bien avant M. Jackson, les créditistes ont demandé que les surplus de la production aillent aux humains qui en manquent. Pas seulement aux peuples qui s'acharnent à s'entre-détruire aujourd'hui ; mais aussi comme nous l'écrivions dans notre avant-dernier numéro, aux peuplades arriérées qui n'ont pas bénéficié de notre civilisation. Et aussi, comme on le crie sur tous les toits depuis plus de cinq ans dans la province de Québec : aux familles de chez nous qui végètent dans la privation.
Et le problème financier, le "ça coûtera cher", que n'a pas encore résolu M. Jackson, l'est depuis un quart de siècle par le major Douglas, un économiste autrement brillant celui-là, mais sans renommée au "Devoir." On le comprend jusqu'au fond des campagnes où on lit "Vers Demain".
Il faut que ça vienne d'un étranger et d'un diplômé pour que ce soit accueilli avec quelque considération. Ce n'est pourtant pas M. Jackson qui va régler la situation. Elle va être réglée par les milliers, les dizaines de milliers de créditistes de la province de Québec dont M. Benoist ignore sans doute encore l'existence.
Pour plusieurs, le dividende va leur tomber dans la main avant que la lumière leur soit entrée dans la tête.