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"Elle a beaucoup aimé..."

Louis Even le samedi, 15 novembre 1941. Dans Réflexions

Parfois, des créditistes viennent nous trouver tout en émoi, pour nous dire qu'un tel, qui travaille avec nous dans l'Institut d'Action Politique, ne fut pas un saint dans le passé, que même encore aujourd'hui il ne pratique pas parfaitement sa religion, qu'il ne fait pas ses Pâques, etc...

Et nos créditistes demandent si nous ne devrions pas chasser de nos rangs cet homme indigne.

* * *

Avant de raisonner la chose, disons d'abord qu'il ne faut pas prêter l'oreille à toutes les critiques. Ceux qui critiquent peuvent être des adversaires. Et les adversaires ne sont pas toujours ceux qui se déclarent tels, mais aussi ceux qui font mine de sympathiser avec nous et qui nous vendent par en-dessous. Et lorsqu'un ennemi ne sait plus quoi faire pour démolir, il se sert de la calomnie. C'est sa dernière arme, mais c'est la plus subtile.

Ceux qui critiquent peuvent être des gens bien intentionnés. Mais, avant d'écouter leurs cris, demandons-nous donc ce qu'ils font, eux, pour bâtir l'œuvre. Il est si facile de juger avec sévérité lorsqu'on ne porte aucune responsabilité. Et si ceux qui critiquent ne font rien pour construire le bien commun, ceux qui font quelque chose leur sont supérieurs, quelle que soit leur indignité par ailleurs.

* * *

Supposons qu'il soit vrai qu'un tel ait été ou soit un pécheur, faut-il accepter sa collaboration pour édifier le Crédit Social ?

Ici, une distinction s'impose :

Pierre travaille au Crédit Social pour satisfaire ses intérêts personnels, pour arriver aux honneurs, à la gloire, ou pour faire de l'argent. Son objectif, son but est mauvais. L'acte qu'il pose ne peut pas être bon. Pierre peut, à certains moments, rendre service à la cause, mais tôt ou tard, il sacrifiera la cause pour lui-même. Soyons donc très prudents dans nos rapports avec lui, et tenons-nous prêts à nous passer de son aide plutôt que d'abaisser l'idéal ou de nuire à l'action des autres mieux intentionnés.

Mais, voici Jean qui n'est pas irréprochable dans sa conduite par ailleurs, mais qui, lorsqu'il travaille au Crédit Social, le fait avec une intention très pure, par charité. Il est prêt à des sacrifices pour la cause. Son objectif est bon. L'acte qu'il pose est donc bon aussi. L'aide de Jean ne peut être qu'un bienfait.

Même, Jean est un pécheur qui se convertit en faisant du Crédit Social. Il ne faut pas oublier que la sainteté est une question d'amour. Amour de Dieu et amour du prochain.

Qu'on se rappelle la belle scène de l'Évangile où Marie Madeleine, "cette femme qui menait dans la ville une vie déréglée "entendit dire par le Seigneur, au grand scandale des pharisiens : "Ses nombreux péchés lui sont pardonnés, parce qu'elle a beaucoup aimé."

Il ne faut donc pas priver la cause de la générosité de Jean, pas plus qu'il ne faut enlever à Jean l'occasion de pratiquer la charité qui rachète les péchés.

* * *

D'ailleurs, c'est Dieu seul qui est juge des hommes. Qui donc peut oser se considérer plus digne qu'un autre ?

* * *

Cela dit, pour guider nos relations entre créditistes, et non pas pour excuser la mauvaise conduite de quiconque, encore moins pour l'encourager. Au contraire, si nous savons que la pratique de la charité dans le Crédit Social appelle le pardon du Ciel, nous savons aussi que le Crédit Social sera d'autant plus beau et plus facilement atteint que ses bâtisseurs seront plus parfaits, puisque tous les ordres sont connexes. Ordre temporel. Ordre moral. Les deux entrent dans la hiérarchie établie par la Providence.

Louis Even

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