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Dette du pays au colon

Louis Even le jeudi, 01 avril 1943. Dans La politique

Nous n'inventons rien en disant que les colons sont les plus grands bienfaiteurs du pays. Les poli­ticiens l'ont clamé sur tous les diapasons bien avant nous.

Les colons sont les véritables successeurs des compagnons de Champlain: des faiseurs de pays. Si la Nouvelle-France du dix-septième siècle n'est pas restée un établissement de soldats sur le pro­montoire de Québec, c'est parce qu'il y eut des co­lons dès ce temps-là pour mettre la hache en forêt et la charrue en terre.

Si la Nouvelle-France du dix-neuvième siècle s'est agrandie du royaume productif du Saguenay, c'est parce qu'il y eut des fils de la Nouvelle-Fran­ce laurentienne assez courageux pour entreprendre la colonisation sur les bords du Lac St-Jean.

Si la Nouvelle-France du vingtième siècle s'est enrichie d'un patrimoine agricole nouveau en Té­miscamingue, en Abitibi, et dans des régions moins éloignées au sud du fleuve ou du golfe, c'est parce que la race des colons n'est pas éteinte.

Tout le monde sait cela, et personne n'osera, en parole au moins, mépriser ou dénigrer les colons.

En paroles, non. Mais dans les actes? Mais dans la législation? Mais dans le cas que l'administra­tion de la Nouvelle-France actuelle fait de ses co­lons?

Combien s'imaginent que la province a fini son devoir lorsqu'elle a planté une famille dans le bois, dans une maison de $250 où le vent et le froid, la pluie souvent, s'en donnent à coeur joie! Combien pensent que quand le gouvernement a fait gagner quelques piastres aux colons dans la construction de chemins, les colons n'ont plus qu'à exalter le gouvernement et voter fidèlement pour le candi­dat ministériel! Combien jugent que, lorsque le gouvernement a payé même en retard — des primes de quelques dollars sur chaque arpent de terre défriché, le pays s'est montré d'une générosité extrême envers les colons !

Le colon bûche, peine, sue, s'use pendant toute une année pour nettoyer ce que les exploiteurs ont laissé de la forêt, et il touchera en primes une cen­taine de dollars peut-être, ce qu'un ouvrier de ville gagne en trois ou quatre semaines. Pourtant la fa­mille que le colon doit nourrir n'est pas moins nom­breuse que celle de l'ouvrier de la ville. Pourtant c'est le trustard qui se fortifie par le travail de l'ouvrier des villes, et c'est le pays qui se fortifie par le travail du colon.

De grâce, un peu plus de considération tangible pour le colon!

* * *

Sur près de 250 millions de dollars dépensés pour alléger la crise en notre province pendant dix ans, tant par le fédéral que par le provincial et les mu­nicipalités, il n'y a pas eu 2 millions de consacrés au "retour à la terre". Et tout ce qui était alloué au retour à la terre n'atteignait pas pour cela le colon, les accrocs ne manquaient pas en cours de route! L'administration des 250 millions a coûté à la province plus de 5 millions. Cinq millions aux bureaucrates et aux paperassiers: Quatre fois au­tant qu'aux colons!

Ce n'est pourtant point l'aide aux paperassiers qui fit le sujet des discours et des articles de jour­naux.

Le retour à la terre, l'aide aux colons — n'en a-t-on pas parlé, mes amis? Oui, mais ce n'est pas de paroles que vivent les colons.

De grâce, encore une fois, un peu plus de considération tangible pour nos conquérants de la terre!

C'est très justement que M. Émile Benoit écrivait dans Le Devoir du 81 décembre dernier: "L'amélioration du sort du colon est pour le sûr un meilleur moyen de faire progresser la province de Québec que l'école dite gratuite et obligatoire, avec ou sans l'enseignement obligatoire de l'alphabet en langue anglaise."

Des graines de semence aux colons

Nos colons ouvrent des arpents de terre neuve, au prix de quel travail! Ces arpents doivent fournir des pommes de terre, du blé, des légumes pour les hommes, et du mil, du trèfle, de l'orge, de l'avoine pour les animaux qui serviront et nourriront l'hom­me.

La terre neuve est bien prête à fournir tout cela. Mais encore faut-il y jeter la semence.

Et la semence, ni la forêt qui recule, ni le courage qui fait reculer la forêt ne la fournissent aux co­lons.

Si le colon donne des terres à sa province, sa province ne devrait-elle pas au moins lui fournir la graine de semence pour faire fructifier ces terres?

Ce n'est pas une charité à faire au colon, ce n'est qu'une fraction d'une dette de justice.

Voici que le soleil de printemps prend de la vi­gueur et que l'épaisse couche de neige s'amincit graduellement. Bientôt les terres labourées de l'au­tomne dernier vont se redécouvrir et rappeler les bras de l'homme du sol.

Pendant l'hiver, nombre de nos colons ont dû s'éloigner de leurs femmes et de leurs enfants pour aller gagner quelques piastres dans les chantiers. Ces braves vont-ils devoir maintenant priver leurs femmes et leurs enfants du fruit de ces mois de la­beur, pour se procurer des graines de semence, ou autrement laisser leur terre improductive, ou en­core s'endetter parce qu'ils commettent le crime de vouloir augmenter la production agricole de leur province?

Lorsqu'il s'agit de trouver un milliard pour des étrangers, on n'a l'air ni scandalisé ni embarrassé. Ce n'est pas de l'argent qu'on envoie à l'étranger, explique le ministre des finances, ce sont des pro­duits, et l'argent pour ces produits reste dans le pays.

Nous dirons la même chose pour les octrois de graines de semence aux colons, si l'on ne veut pas leur passer l'argent du reste de la province: Ce n'est pas de l'argent qui leur serait envoyé, ce seraient des graines de semence, production du pays plus âgé, et l'argent pour ces semences resterait dans le pays plus âgé.

Si le cadeau à l'Angleterre n'appauvrit pas, pa­raît-il, le Canada, comment le cadeau de graines de semence aux colons appauvrirait-il le reste du pays?

Nos colons ont-ils le défaut de n'être pas sépa­rés de nous par un océan? Ou est-ce parce qu'ils ont le malheur d'être de la même race que nous? Ou est-ce parce que leurs pères n'ont pas été assez pré­voyants pour verser le sang de nos pères?

Nos députés provinciaux sont en session. Ils re­présentent la province pour exprimer au gouverne­ment les désirs et les volontés du peuple de la pro­vince. Le peuple des colonies compte-t-il un peu pour la députation?

Mais, répondra-t-on peut-être, les colons ont-ils jamais désiré ou voulu recevoir des graines de se­mence du gouvernement d'un pays qu'ils servent si bien?

Qu'on aille donc leur faire une visite à cette sai­son-ci de l'année. Si les colons n'ont pas pris la pei­ne de formuler expressément cette demande et bien d'autres, n'est-ce pas parce qu'ils sont habitués à voir leurs demandes demeurer dans le dossier des "À prendre en considération"?

Louis Even

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