Deux brochures, toutes deux publiées en Angleterre, attirent beaucoup, de ce temps-ci, l'attention de ceux qui ne sont pas tout à fait attelés au char de l'École Économique de Londres.
L'une d'elles, dont l'auteur préfère garder l'anonymat pour le moment afin de laisser le lecteur juger le contenu sans subir l'influence du nom de l'auteur, est intitulée : "A Twentieth Century Economic System" (Un système économique vingtième-siècle). Des extraits de cette brochure de 48 pages ont été lus par des députés anglais à la Chambre des Communes de Londres.
L'autre, un seize-pages, est le rapport de la Chambre de Commerce de Londres sur les "principes généraux d'une économie d'après-guerre", publié le 12 mai 1942. Ce rapport de la Chambre de Commerce de Londres déclare accepter généralement les principes exposés dans la brochure anonyme mentionnée plus haut.
Ni dans l'une ni dans l'autre, il n'est question de Crédit Social ; mais l'une et l'autre admettent qu'une réforme monétaire équilibrant le pouvoir d'achat avec la production offerte s'impose de toute nécessité si l'on ne veut pas retomber dans la pauvreté en face de l'abondance.
Production abondante, distribution déficitaire
Nos lecteurs reconnaîtront des constatations auxquelles ils sont familiers dans les remarques suivantes du rapport :
"Il est généralement admis qu'il y avait quelque chose de radicalement mauvais dans notre système économique. Il était d'une absurdité palpable pour des nations de chercher désespérément à exporter à d'autres nations plus de richesse réelle qu'elles n'en acceptaient en retour.
"Il était également absurde de refuser à des hommes dépourvus des nécessités de la vie l'argent nécessaire pour se les procurer, simplement parce qu'il y avait une telle surabondance de ces choses que le travail de ces hommes n'était pas requis pour en produire davantage.
"Le facteur limitant de la production de richesse réelle a été le manque de distribution des produits, parce que les consommateurs n'avaient pas l'argent nécessaire pour tout acheter. La production ne continue pas longtemps lorsqu'il n'y a pas d'acheteurs. Une production massive exige une consommation massive. Il nous faut donc investiguer le mécanisme chargé de fournir le pouvoir d'achat.
"Pendant qu'une révolution étonnante s'est produite dans la science de la production, aucun changement proportionnel n'a eu lieu dans le mécanisme financier. Le système de distribution de pouvoir d'achat date des siècles de rareté, des siècles dans lesquels c'étaient les produits qui faisaient défaut pour alimenter la circulation."
La Chambre de Commerce de Londres reconnaît donc la présence de produits offerts en abondance, mais l'absence de pouvoir d'achat.
Offre possible abondante. Mais demande effective insuffisante. La demande réelle (celle qui est créée par le besoin) ne manque pas ; mais la demande effective (celle qui est soutenue par l'argent) fait défaut.
Le rapport revient sur cette constatation à la page 10 :
"Après la dernière guerre, il y avait dans le monde plus de main-d'œuvre experte, plus de capital-outillage, plus de source de matière première en fonctionnement, qu'au commencement de la guerre. Le monde était donc devenu potentiellement plus riche. Cependant, au lieu d'équilibrer la demande effective avec l'offre, accentuant même la demande effective pour stimuler l'offre, on a jeté du capital-outillage au rebut, on a limité ou détruit les approvisionnements de matière première, on a empêché des millions d'hommes de produire ; dans quelques cas, on a même payé des hommes pour ne pas produire."
"Au lieu d'égaler l'offre à la demande effective (comme par le passé), la Chambre de dommerce préconise qu'à l'avenir la demande effective soit égalée à l'offre."
Parmi les problèmes fondamentaux qu'un système satisfaisant doit résoudre, la Chambre mentionne donc, sans entrer dans les détails de la technique d'application :
"La distribution interne du pouvoir d'achat (argent) nécessaire pour permettre à la nation d'acheter toute sa production. Si cela était fait, la nation pourrait également consommer les produits des autres nations qu'elle importerait en échange de la partie de ses propres produits dont elle n'a pas besoin."
Le rapport traite assez explicitement des relations d'échange entre les divers pays, à la lumière des réalités auxquelles le signe doit plier, et non pas d'après un signe contrôlé arbitrairement auquel les réalités doivent se subordonner. _
La Chambre de Commerce de Londres compte, comme membres actifs, 9,000 firmes et compagnies. En outre, 39 associations commerciales et industrielles, avec un effectif de 50,000 membres, lui sont affiliées et sont représentées dans son conseil.
C'est donc, semble-t-il, un corps important dont le rapport devrait avoir un certain poids.
Mais ce rapport a le défaut de critiquer la finance "orthodoxe" et de réclamer une économie nouvelle, une économie de distribution "vingtième siècle". Il n'en faut pas plus pour lui fermer les avenues de la publicité.
On fera beaucoup plus de tapage autour des plans sortis des têtes de diplômés de l'École Économique de Londres. Ceux-ci ne font pas mal à la finance orthodoxe.
Au comité fédéral de la restauration d'après-guerre, présidé par le Dr. Cyril James, diplômé de l'École Économique de Londres, on a demandé au docteur James son opinion sur ce rapport de la Chambre de Commerce de Londres. Il a répondu en substance : "Je ne le sais vraiment pas ; je n'ai pas pris la peine de le lire, ou si je l'ai lu, je ne me suis pas appliqué à le retenir." (Hansard, 24 mars, p. 1584).
Le Dr. James préfère ses plans. Ses plans qui ne dérangeront pas la féodalité financière. Ses plans qui, disait-il récemment au Sénat, peuvent augmenter graduellement la prospérité du Canada tout en ne faisant que doubler sa dette nationale durant les cent prochaines années.
D'abord, c'est à voir si la dette nationale ne fera que doubler en cent ans. Elle grimpe à une autre allure pendant cette guerre-ci, et qui nous garantit que les plans du Dr. James empêcheront une autre guerre ? Ne faudra-t-il pas donner des chances de faire des plans à d'autres faiseurs de plans de son école ?
Puis, pourquoi faut-il que le Canada augmente sa dette lorsqu'il se développe ?
Les gouvernants du jour — les mêmes qui ont lamentablement failli à leur tâche pendant dix années de misère en face de l'abondance — peuvent fermer l'oreille aux voix qui réclament une économie nouvelle et s'en remettre aux derniers des Mohicans de l'économie-dette. Mais l'Union des Électeurs grossit et se charge, soit de décrotter certaines méninges, soit de leur désigner un coin dans les musées des antiquités curieuses.