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Cultivateur choyé

Louis Even le mardi, 01 avril 1941. Dans La politique

Quel cultivateur est choyé ? Oh ! un peu tous. C'est à tous que le ministre fédéral de l'Agriculture, l'Hon. Gardiner, disait de raidir leur âme pour six années maigres. La guerre, selon lui, devant durer environ sept ans, le cultivateur n'en retirera une augmentation de revenus que dans la toute dernière phase. Pour les industriels, c'est différent. Le ministre déclare que l'industriel n'est pas intéressé à pousser sa production s'il n'y voit un profit assuré en argent. On ne peut lui demander cela — mais le cultivateur ! Au cultivateur on offre la faveur de pratiquer le plus pur héroïsme.

Donc tous les cultivateurs sont choyés. Mais l'éleveur de porc à bacon peut se dire le choyé des choyés.

On lui dit au commencement de la guerre : Produis du porc à bacon, tu feras ainsi des profits tout en contribuant à la guerre.

On a intensifié après l'occupation du Danemark : les porcs danois ne peuvent plus alimenter le marché anglais, quelle aubaine pour les éleveurs canadiens. !

La production du porc poussée, les dépenses faites, on annonce simplement aux cultivateurs que l'Angleterre ne prendra leur bacon qu'à condition d'un abaissement de prix de $2.19 les 100 livres. Nos habitants du Québec trouvaient déjà l'élevage vide de profit !

Avec des petits gorets dans la province de Québec et le grain pour la provende dans l'ouest, avec un transport entre les deux qui ne veut pas réduire ses frais, avec un gouvernement provincial qui ne veut pas faire sa part de contribution pour défalquer une partie des frais de transport, tout le poids de la réduction tombe sur les épaules de nos cultivateurs.

Les compagnies industrielles rivalisent actuellement de patriotisme pour presser leurs employés de signer l'achat de timbres de guerre avec chaque paie. Le salarié renonce à $1.00, $2.00 ou davantage, et on lui remet un certificat qui lui donnera droit à remboursement plus intérêt.

À nos cultivateurs qu'on force à renoncer à $2.19 de paie sur chaque 100 livres de bacon fourni au marché anglais, ne devrait-on pas remettre un certificat d'épargne de guerre pour $2.19 par 100 livres ? Ne fait-il pas une véritable contribution patriotique de $2.19 ?

Bien souple, le cultivateur.

On lui dit : Produis moins de beurre et plus de fromage. Il produit moins de beurre et plus de fromage. On lui dit alors : On manque de beurre, c'est du beurre qu'il faut, sinon la Nouvelle-Zélande va prendre ton marché, ou bien l'oléo-margarine va se substituer à ton beurre.

Partout à tous les coins, on lui dit : Paie. Tu fais des patates, du lait, de l'avoine, que tu vends mal. Paie, mais ne paie ni en patates ni en lait que tu fais, paie en argent que tu ne fais pas et que tu ne peux pas obtenir.

Et si un cultivateur de St-Pascal de Kamouraska, par exemple, demande au cercle local de son union agricole d'étudier cette question de l'argent qui crée de la difficulté à chaque pas, on lui répond : "Il faut d'abord la permission du bureau-chef de Montréal pour avoir le droit de placer l'étude de l'argent au programme !"... Et la permission n'est pas encore venue.

Tout de même, il est héroïque, le cultivateur, on le répète dans maints discours, et ça remplace sans doute les engrais chimiques.

Louis Even

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