Il est des gens qui ne vivent que pour l'argent, qui sacrifient à l'argent leur âme et la vie de leurs frères. Pas besoin d'en nommer, ils sont trop connus. Plus ils réussissent, plus ils reçoivent les hommages intéressés des valets qui les entourent. Ce n'est pas dans les prisons qu'il faut chercher ces mangeurs d'humanité ; dans un monde où le démon mène, ils sont rois.
Mais il en est d'autres qui, sans livrer leur âme et sans opprimer les voisins, se trouvent ou croient se trouver dans l'obligation de faire des concessions pour avoir de l'argent pour vivre. Nous les plaignons et, s'ils sont sincères, nous espérons qu'ils s'aligneront avec ceux qui veulent libérer le pays de la dictature de l'argent.
Prenez, par exemple, le cas de journaux, autrement fort respectables, qui ne refusent pas les absurdes annonces de l'Institut des Brasseries. Ils savent parfaitement que la teneur de ces annonces est mensongère, que les Canadiens n'ont pas besoin d'être poussés à boire, que nos évêques ont demandé aux journaux catholiques de bannir ces annonces de leurs colonnes. Mais, le besoin d'argent est pressant et, se basant sur l'objectif de leur journal, les administrateurs se disent sans doute que la fin justifie les moyens.
L'annonce, c'est un chèque qui entre, et nous nous imaginons fort bien les transes de certains journaux qui vont jusqu'à avaler des couleuvres pour ne pas manquer le chèque.
Cette réflexion nous venait à l'esprit le jeudi soir, 9 avril, en parcourant Le Devoir de ce jour-là. Sous une annonce de 5 ½ pouces sur deux colonnes, donnant le programme radiophonique de la Ligue pour la Défense du Canada contre la conscription, une autre annonce, de 6 pouces sur deux colonnes, invitait la population de Montréal à se rendre au marché Atwater, pour écouter MM. Elmore Philpott et Hertel La Roque. Ce M. Philpott, de la Colombie anglaise, est le secrétaire canadien du mouvement Union Now. Le Devoir peut l'ignorer, mais c'était tout de même étrange de lire la phrase suivante, bien en vue au bas de l'annonce : Venez entendre pourquoi le Canada a besoin d'un gouvernement national ayant à sa tête le Lieutenant Général McNaughton.
Comment faire la liaison entre ces deux annonces, l'une pour une idée patronnée par Le Devoir, l'autre pour l'idée contraire ? Comment, sinon parce que, pas loin de la tête où logent les principes, il y a la poche où il faut bien loger un peu d'argent pour vivre.
Les lecteurs de VERS DEMAIN ne pourront jamais trop apprécier le privilège rare qu'ils ont d'avoir un journal d'idées vivant sans aucune annonce commerciale.