EnglishEspañolPolskie

Au gouvernement ou au peuple ?

le jeudi, 01 juillet 1943. Dans L'économique

Ceux qui prennent la peine de réfléchir, sans préjugés, s'accordent de plus en plus aujourd'hui à admettre que le contrôle du volume de l'argent, ou la dispensation du crédit, par des agences à profit est non seulement antisocial, mais anti­scientifique. D'ailleurs, les résultats ont démontré le fiasco monumental d'un système incapable d'accomplir sa fonction sauf, peut-être, en temps de guerre.

De plus en plus nombreux sont ceux qui pen­sent, et déclarent, que le gouvernement doit re­prendre la prérogative souveraine dont il n'aurait jamais dû se départir : l'émission ordonnée de la monnaie, la détermination du volume du moyen d'échange.

Jusque-là, presque tous les réformateurs s'en­tendent. Mais l'accord est beaucoup moins par­fait lorsque vient la question :

Comment le gouvernement mettra-t-il en circu­lation la monnaie nouvelle qu'il devra créer pour combler une insuffisance de pouvoir d'achat ?

Trois réponses

Comment distribuer l'argent nouveau reconnu nécessaire et fait par le gouvernement ?

  1. Par des travaux publics, et uniquement par des travaux publics, soutiennent les uns.
  2. En partie par des travaux publics et en partie par des allocations spécifiées, disent d'autres. Ces allocations seraient accordées à des cas prévus, mais naturellement après maintes inscriptions, maintes enquêtes, maintes surveillances, nécessi­tant maints fonctionnaires, pour s'assurer que le récipiendaire y a réellement droit.
  3. Par un dividende à tout le monde, au moins suffisant pour garantir à chacun un minimum vi­tal dans un pays qui déborde de richesses, disent les créditistes, et par un ajustement scientifique des prix pour achever d'établir l'équilibre parfait entre les prix et le pouvoir d'achat, globalement considérés.

Attitudes d'esprit derrière les réponses

Pour ceux du premier groupe, tout argent doit être personnellement gagné. Ils ne démordront pas de là.

Quand bien même il y aurait des montagnes de production en attente devant les consommateurs, personne ne doit y toucher à moins de travailler quelque part à produire quelque chose. S'il est ab­surde de produire des choses vendables, parce qu'il y en a déjà trop d'offertes, qu'on produise des choses non vendables : des routes, des ponts, ou des corvettes, des canons. Mais de toute façon, que l'homme soit bien occupé ; pas occupé à des activités libres, mais attelé pour avoir droit à une ration. Qu'on lui laisse le moins de temps possible pour penser, pour s'orienter : ce serait funeste pour son âme !

Ceux du deuxième groupe tiennent, comme ceux du premier, à ce que le gouvernement soit le propriétaire de l'argent nouveau devenu nécessai­re pour faire face au progrès de la production.

À remarquer que le progrès de la production est dû moins aux activités des travailleurs qu'à l'or­ganisation avancée de la production moderne, aux ressources naturelles, aux inventions, à la science appliquée. Toutes choses qui semblent avoir un certain caractère communal. Mais le grand public, pour nos réformateurs numéro 1 ou numéro 2, ne doit profiter de tout cela que selon le bon vouloir et selon les décisions du gouvernement.

L'expérience a pourtant démontré quel degré d'impartialité il faut attendre dans la distribution des grâces par le gouvernement.

Tout de même, les réformateurs du deuxième groupe ont un esprit moins intransigeant que ceux du premier, puisqu'ils admettent au moins certai­nes distributions d'argent sans exiger une partici­pation directe à la production. Dans les alloca­tions, dans les pensions, il y a déjà le principe du dividende national : il n'y manque que le degré d'universalité.

Ni ceux du premier, ni ceux du deuxième grou­pe ne croient à un peuple majeur, à des individus capables de faire un bon usage de leur liberté de choix. Pour eux, rien ne peut être sagement déci­dé, à moins de l'être par le gouvernement. C'est une attitude d'esprit, une sorte de philosophie politique, commune aux deux groupes.

Même ceux d'entre eux qui trouvent le gouver­nement très partial, qui voient dans le favoritisme courant un fléau, dans la bureaucratie la dispari­tion des responsabilités, dans le coulage greffé sur les deniers publics une honte nationale, même ceux-là persistent dans leur idée d'un peuple mineur et d'un gouvernement tuteur, en souhai­tant seulement qu'eux-mêmes ou des parfaitement honnêtes comme eux constituent le gouvernement.

Quant aux créditistes, qui forment le troisième groupe, les lecteurs de Vers Demain connaissent très bien la confiance qu'ils font au peuple, et le souci qu'ils ont d'éclairer le peuple, de le rendre honnête comme eux, de faire son éducation dans l'utilisation de sa liberté de choix, plutôt que de le tenir perpétuellement en laisse. Il y a longtemps que le libre arbitre serait disparu de la surface de la terre si le bon Dieu avait enlevé aux hommes leur liberté à cause des abus qu'ils en font.

Dans le domaine du concret

Mais, s'il, est difficile de faire l'unité dans les attitudes philosophiques, surtout lorsqu'on reste dans le champ spéculatif, il devrait y avoir moins de divergences lorsqu'on descend au niveau des réalisations.

S'il y a 15 millions d'argent nouveau à mettre en circulation, pour que les familles de la province puissent acheter la production de la province, de quelle manière cet argent atteindra-t-il mieux les consommateurs :

    1. En distribuant $5.00 à chacun des trois mil­lions d'habitants de la province ;

    2. En faisant pour 15 millions de dépenses pu­bliques.

Si l'on veut jouer aux philosophes, n'oublions pas que la fin doit déterminer les moyens. Or, quelle est la fin dans une émission d'argent nou­veau reconnue nécessaire pour l'écoulement d'une productiôn immobilisée ? Cette fin est-elle d'avoir une route, ou de rendre les consommateurs capa­bles d'acheter ?

Pourquoi alors chercher un chemin détourné ? Si le vide est à combler dans le portefeuille des indi­vidus, pourquoi ne pas le faire directement ?

La finance directe du consommateur a d'ailleurs l'avantage de donner une activité fonctionnelle à l'argent. Le consommateur achète immédiatement la production : la production se trouve donc adé­quatement financée, sans retard comme sans det­te. Tandis que la finance de la production ne fi­nance point si adéquatement le consommateur, à cause de tout l'argent qui languit ou reste accro­ché en cours de route.

La même remarque peut s'appliquer aux tra­vaux publics. Quelle partie de l'argent affecté aux travaux public atteint la masse qui a le plus be­soin d'argent ? L'expérience n'est-elle pas là pour répondre ?

Rien d'ailleurs n'empêche le gouvernement, une fois l'argent distribué, d'en extraire à un endroit ou l'autre, plus là où il y en a plus, moins là où il y en a moins, pour financer des entreprises publi­ques jugées nécessaires et approuvées par les re­présentants du peuple. Ce serait diminuer l'appel sur la production de biens consommables, en fa­veur de besoins publics urgents.

Ajoutons que, dans le cas où il y a suffisam­ment de matériaux et de main-d'œuvre pour per­mettre à la fois une abondante production de biens consommables et la poursuite d'améliora­tions publiques, l'argent total émis doit être suf­fisant pour supporter financièrement les deux. D'ailleurs, la technique créditiste embrasse tout cela.

Qu'on aborde le sujet de la distribution de l'ar­gent nouveau au point de vue de la fin qui déter­mine l'émission, ou au point de vue de l'efficacité du moyen, ou au point de vue de la plus grande répartition des avantages dans la masse du peu­ple, la supériorité appartient à la méthode crédi­tiste.

Il s'agit après tout, comme d'autres l'ont écrit, de rendre l'argent au peuple auquel il appartient. Or comment mieux s'y prendre pour rendre l'ar­gent au peuple :

En le lui remettant directement, ou en le fai­sant passer par une canalisation sur laquelle sont branchées maintes ramifications pompantes ?

J.-Ernest GRÉGOIRE

Poster un commentaire

Vous êtes indentifier en tant qu'invité.

Panier

Dernière parution

Infolettre & Magazine

Sujets

Faire un don

Faire un don

Aller au haut
JSN Boot template designed by JoomlaShine.com