Dans La Patrie du 25 mai, Léon Gray consacre un éditorial à feu l'Honorable William Aberhart. Nous en détachons l'alinéa suivant :
"L'homme valait mieux que l'idée (créditiste) ; comme ses intentions, mieux que ses réalisations. Et il lui sera beaucoup pardonné parce qu'il aura beaucoup aimé. Nous aurions préféré porter en terre l'idée plutôt que l'homme bon, épris d'elle et mort pour elle. À notre humble avis, le Crédit Social mérite moins des martyrs que la fosse commune du cimetière : oui, qu'il nous fiche enfin la paix, avec ses promesses, ses fruits amers, ses procès embêtants et coûteux, sa succession de faillites constantes."
Malgré l'humble avis de monsieur Gray, le Crédit Social se porte bien et ne semble pas près de descendre dans la fosse commune. Malgré l'humble avis de monsieur Gray, le Crédit Social continuera d'avoir ses apôtres et, s'il le faut, ses martyrs, des hommes "bons, épris de la doctrine et prêts à mourir pour elle."
Tout en donnant son humble avis, monsieur Gray ne définit pas ce qu'il entend par les "fruits amers" du Crédit Social. Si ces fruits sont tellement amers, comment se fait-il que des hommes en nombre toujours plus grand viennent y goûter, et qu'après y avoir goûté, ils ne veulent plus démordre ?
Puis où est la "succession de faillites" du Crédit Social, alors que le pouvoir fédéral n'a jamais voulu le laisser faire ses preuves ? Avant qu'un marchand puisse faire faillite, il faut tout de même qu'il obtienne sa licence et entre en commerce.
Quant aux procès embêtants et coûteux, qui donc les a intentés ?
Le journaliste de La Patrie continue :
"Ici, nous avons toujours distingué l'homme et le système. Or, c'est l'homme que nous aimions, lui seul. Un homme bon, que souciaient les problèmes de l'âme ; un homme charitable, dont le cœur saignait sur les misères du peuple. Sa vocation politique, elle est sortie, non pas de l'égoïsme, mais de l'altruisme ; non pas de l'appétit, mais de l'amour social, dû au prochain."
Voilà un magnifique éloge du chef créditiste décédé. Et cet éloge n'est pas sans suggérer quelques questions :
Pourquoi un homme bon, qui se souciait des problèmes de l'âme, a-t-il embrasé avec ardeur et constance le Crédit Social, sinon parce qu'il y trouvait la meilleure doctrine économique pour servir son idéal ?
Pourquoi un homme charitable, dont le cœur saignait sur les misères du peuple, a-t-il cherché dans le Crédit Social, plutôt que dans le système bancaire et dans les institutions respectant le système bancaire, le moyen de soulager les misères du peuple ?
Pourquoi une vocation politique, sortie non pas de l'égoïsme, mais de l'altruisme, non pas de l'appétit, mais de l'amour social dû au prochain, pourquoi cette vocation politique-là s'est-elle exercée dans le mouvement créditiste plutôt que dans le parti libéral ou conservateur ?
Sans le vouloir, et nonobstant son humble avis, monsieur Gray rend hommage, non seulement à M. William Aberhart, mais à la doctrine du Crédit Social qui, à la différence des partis politiques bien connus, a grandi Aberhart au lieu de le diminuer.