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Un séditieux

Abbé Édouard-V. LAVERGNE, ptre, curé de N.-D. de Grâce, Québec le mercredi, 01 janvier 1941. Dans Crédit Social

Pas à Québec !

À Jérusalem.

"Jérusalem, la ville orgueilleuse, dure de cœur comme la pierre : où vivent les puissants de la terre : les Romains maîtres du monde et de la Judée avec les soldats en armes ; les grands-prêtres gardiens du Temple, les Pharisiens, les Sadducéens, les Scribes et les Lévites, descendants de ceux qui chassèrent et mirent à mort les prophètes." (Pappini).

En ce temps-là, un homme y entra qui venait du désert et des bords du Jourdain.

Enveloppé d'une peau de chameau dont il gardait l'odeur, il ne songea nullement à s'en départir pour un costume plus à la mode, acheté chez un Raivitch quelconque. Les cheveux sur les épaules, la barbe hirsute, les sourcils broussailleux, il ne se préoccupa nullement d'un arrêt à un "salon de beauté" pour réclamer une ondulation marcelle ou un shampoo parfumeur.

Grand, osseux, brûlé de soleil, la poitrine et les bras velus, il a passé dans les rues où on le salue avec respect, même enthousiasme. Plusieurs le connaissent. Ils l'ont déjà vu quand, à la suite des foules attirées par sa réputation sur les bords du Jourdain, ils sont allés recevoir son "baptême d'eau". Ils ont entendu sa voix tonnante prêcher la pénitence, flétrir le vice, jeter des menaces, allumer des espérances. Humbles et pauvres, victimes des puissants du jour, rançonnés par eux, se rappellent surtout avec quelle vigueur vengeresse il a apostrophé de paroles humiliantes les Pharisiens et les Sadducéens, gens notables versés dans l'Écriture, réputés et écoutés ; excellents au "change de la monnaie" sous le portique du Temple, d'où, plus tard, Jésus les chassera à grands coups de fouet.

"Engeance de vipères, leur a-t-il crié, qui vous a appris à fuir la colère qui vient ? Faites de dignes fruits de pénitence, ou vous périrez tous."

À son sujet, des discussions s'étaient élevées. Quelques-uns avaient paru scandalisés qu'il ait traité avec si peu de courtoisie et de modération des gens aussi bien habillés et qui avaient tant d'argent, savant distributeurs de cadeaux corrupteurs !

★ ★ ★

Et voici qu'en ce jour, Jean a quitté son désert, demeure habituelle de ses méditations et de ses prédications. Lançant de dessous ses sourcils des regards chargés de foudre, il monte au palais du maître, le roi Hérode.

Dans son désert, la nouvelle lui est venue : Un scandale dont s'est émue l'opinion publique, souille la Ville Sainte.

Délaissant son épouse légitime, Hérode, parce qu'il est le chef de la nation, parce qu'il a l'autorité, s'est cru le droit de vivre avec Hérodiade, l'épouse de son frère Philippe. Sans honte de cette éclatante transgression, il jouit en paix de son adultère. Nul n'a osé le lui reprocher. Même le Grand-Prêtre, logé à quelques pas, garde un silence peureux ; il n'ose pas flétrir cet effronté scandale.

Il y a ainsi des heures où ceux qui ont charge des droits de Dieu se taisent. Lui-même le veut. C'est pour Lui le moment d'agir. Il aime à établir la disproportion entre le moyen employé et le but à obtenir, afin que son intervention apparaisse nettement.

Ainsi en France, aux jours de Jeanne d'Arc, il y avait de bons généraux, mais c'est cette jeune Bergère que Dieu appela à sauver son pays.

À Jérusalem, c'est l'homme du désert qui va parler pour Dieu. Pénétrant dans le palais d'Hérode, devant ses courtisans, en plein front, presque à tue-tête — ne s'est-il pas appelé "la voix de celui qui crie" ? — il lance cette apostrophe :

"Prince, tu n'as pas le droit de vivre ainsi avec la femme de ton frère. Prends garde, tu mets le comble à tes iniquités !"

Colère d'Hérode ! !...

Emprisonnement de Jean.

Quand la canaille est au pouvoir, voilà ce que devient la liberté des braves gens.

Russie, Espagne, Mexique, vous l'avez proclamé. En des jours plus sereins, il sera possible de nommer les autres.

Dire la vérité aux grands est rarement sans danger. Selon leur puissance, il s'ensuit toujours un certain dommage : réputation amoindrie devant les "sages" qui crient à la "gaffe", au manque de jugement ; parfois, l'emprisonnement, même la mort.

★ ★ ★

À Jérusalem, l'émoi dut être énorme.

Jean avait ses admirateurs.

Hérode, ses courtisans.

Qui sait ? Peut-être quelqu'un s'en alla-t-il, onctueux, près du Grand-Prêtre réclamer un blâme sévère contre cet énergumène.

Il fallait au moins lui imposer silence !

Parmi les braves gens, ceux qui parlent toujours sur un ton d'oracle, qui ont réputation de penser judicieusement parce qu'ils ne pensent à rien, d'agir avec mesure et modération parce qu'ils ne font rien, durent déclarer solennellement : "De quoi se mêle-t-il, celui-là ? Le Grand-Prêtre n'est-il pas là pour revendiquer les droits de la morale ?... D'ailleurs, la violence, ça n'est pas une manière. On prend plus de mouches avec une goutte de miel qu'avec un tonneau de vinaigre. Le bien ne fait pas de bruit, et le bruit ne fait pas de bien !"

Et allez donc !

Tout le patati, tout le tralala de la niaiserie, peureuse, insignifiante, mais reine dans l'art de la pose.

Qui sait encore ?

Il dut y avoir quelque banquet de protestation organisé par la "Jeunesse Israélite". Un orateur bien en cour, et désireux d'y être toujours mieux, dut y prononcer une phrase comme celle-ci : "Je dis que ce sont des paroles criminelles dans les circonstances."

Seule la mort pouvait expier un pareil forfait !

Après cela, Mlle Salomé, digne fille de Madame Hérodiade, pouvait entrer et, pour prix d'une danse, demander la tête de Jean-Baptiste sur un plateau d'argent. La danse des millions aujourd'hui ne coûte-t-elle pas cela ?

Dans ce temps-là, il n'y avait pas de journaux. Mais si Le Soleil ou L'Évènement avaient existé, les Scribes n'auraient pas manqué d'y établir savamment et avec une vertueuse indignation la théologie du cas et démontrer qu'un attentat grave venait d'être commis contre l'autorité civile, attentat qui réclamait d'exemplaires répressions. Plats courtisans, ils auraient applaudi à l'assassinat de Jean-Baptiste, ou du moins à sa réclusion dans un camp de concentration.

Aujourd'hui, on dirait : C'est une cinquième colonne.

Dans ce temps-là, le maître c'était Hérode !

Aujourd'hui, le maître c'est... le Trust !

Comme Hérode, il a ses courtisans... très plats et aussi malhonnêtes que lui-même. Le sourire onctueux, le geste adulateur, ils conspirent, sans un frémissement de conscience, les pires spéculations ! Hommes d'argent, ils trempent leurs mains jusqu'au coude dans le sang !

Au cours des siècles, la parole vengeresse et courageuse de Jean-Baptiste a toujours trouvé des voix pour la lancer à la face des potentats prévaricateurs et scandaleux, pour dénoncer ce que Notre Saint Père le Pape appelait "la déchéance du pouvoir".

Jésus a loué Jean-Baptiste. Il l'a appelé une lumière ardente, un prophète, le plus grand des prophètes.

Parmi les grands hommes de l'Église, il est au premier rang. Pour nous, Canadiens-français, c'est un patron. Donc un protecteur, un modèle.

★ ★ ★

Son exemple a été contagieux !

En notre pays, pas beaucoup ! Tolérance ! Largeur de vue !

Aux Actes des Apôtres, Paul de Tarse, celui que nous appelons l'apôtre saint Paul, "manqua un jour de courtoisie", dirait Le Soleil, jusqu'à appeler le grand-prêtre Ananie, à cause de sa mauvaise conduite, "Vieille muraille blanchie."

Et saint Jean-Chrysostôme, à Antioche, devait manquer de respect à l'autorité, quand la belle Eudoxie, impératrice, affichait ses désordres et qu'il la dénonçait, du haut de la chaire, avec un courage tel qu'il mérita sa colère et s'en alla mourir en exil.

Et saint Ambroise !... mais on y reviendra. Nous, Canadiens-français, avons-nous le regard sur saint Jean-Baptiste, pour lui demander des leçons, et au mal qui envahit nos foyers, à l'oppression qui s'affirme par des actes hypocrites et persécuteurs, opposer sa parole énergique : « Non, cela n'est pas permis !"

Devant la mode toute-puissante, devant l'esprit de parti oppresseur, devant le terrorisme politique, qui pèse sur les consciences et notre vie nationale, avons-nous le courage de nous relever fièrement pour réclamer notre liberté et les droits de la vérité ?

Pauvre race aveulie par l'esprit de parti et le snobisme, quand donc auras-tu des chefs qui renouent avec un valeureux passé la tradition nationale ?

Demandons à saint Jean-Baptiste sa vigueur et son héroïque courage.

Que nous n'ayons pas peur d'être vaincus, assurés que "le grand mal réside non dans la défaite, mais dans la lâcheté qui refuse le combat." Que nous redressions les voies du Seigneur. Que parmi nous le Christ soit, non pas de paroles seulement, mais en fait, le Roi !

Abbé Édouard-V. LAVERGNE, ptre, curé de N.-D. de Grâce, Québec.

Abbé Édouard-V. LAVERGNE, ptre, curé de N.-D. de Grâce, Québec

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