En décembre dernier, le National Post rapportait que le gouvernement de Jean Chrétien songeait à l'idée de donner un revenu minimum garanti à chaque citoyen, du berceau à la tombe, et qu'il avait nommé un comité pour étudier la question. Cependant, quelques jours plus tard, le Premier ministre Chrétien se hâtait de nier cette rumeur, en disant qu'il ne savait pas où les journalistes avaient pêché cette idée, et qu'il n'était pas question que son gouvernement établisse un tel programme.
M. Chrétien a raté une bonne occasion de passer à l'histoire, lui qui cherche un moyen de laisser sa marque comme un des grands Premiers ministres canadiens : l'établissement d'un revenu annuel garanti à chaque citoyen aurait été, et de beaucoup, le programme le plus utile et le plus apprécié par la population canadienne, car c'est ce qui se rapproche le plus du dividende à tous prôné par les créditistes de Vers Demain.
Pas même besoin de nouveaux comités pour étudier la question, toutes les études ont déjà été faites et elles sont venues à la conclusion que le projet était faisable. Déjà en 1985, la commission Macdonald (créée par Trudeau quelques années auparavant) rendait public son rapport de trois volumes et 1100 pages, recommandant au gouvernement canadien trois choses principales : le libre-échange avec les États-Unis, une nouvelle taxe sur la consommation, et un revenu annuel garanti. Le gouvernement conservateur de Mulroney appliqua en effet les deux premières recommandations, mais ne donna pas suite au revenu annuel garanti, qui aurait fait pourtant beaucoup plus de bien aux Canadiens que le libre-échange et la TPS.
Le 3 juillet 1991, le quotidien La Presse publiait les conclusions d'une nouvelle étude du Conseil économique du Canada : « Les craintes voulant qu'un revenu minimum garanti pour chaque famille canadienne nuise à la volonté des gens de travailler ne sont pas fondées, ajoutent MM. Derek Hum et Wayne Simpson, les deux chercheurs qui ont signé le document. »
Le journaliste Richard Daigneault écrivait dans le quotidien Le Soleil de Québec du 4 janvier 1985 : « Un certain nombre de libéraux croient que le revenu annuel garanti - un minimum de revenu auquel tout citoyen et toute citoyenne auraient droit - est la formule de l'avenir. Selon M. Armand Bannister, président du comité de Réforme du Parti libéral du Canada, la question du chômage, par exemple, ne peut plus être vue avec les lunettes du passé, dans la perspective des années 30. La mise en place de la technologie moderne à tous les paliers de la production et de l'activité commerciale créera du chômage. Peut-on continuer de prétendre que chaque citoyen, chaque citoyenne a droit à un emploi ? M. Bannister répond que c'est un espoir irréalisable dans le contexte de l'ère technologique. »
En juin 1990, Paul Martin, qui était alors candidat à la direction du Parti libéral du Canada, avait promis que s'il était élu Premier ministre du Canada, il se hâterait d'installer un régime de revenu annuel garanti pour tous les Canadiens. En 1982, John Farina, professeur à la faculté de sciences sociales à l'Université Wilfrid Laurier de Waterloo, en Ontario, disait : « L'homme a inventé des machines pour ne pas avoir à travailler, et nous avons réussi à un tel point que nous avons maintenant un million et demi de chômeurs. Mais au lieu de s'en réjouir, nous sommes au désespoir. Pour moi, il n'y a rien de plus idiot. »
Même en gardant le système financier actuel, il serait déjà possible de donner un montant appréciable à chaque citoyen, en fusionnant tous les programmes d'aide et en éliminant les enquêtes et les fonctionnaires qui y sont attachés. Le 14 décembre dernier, Mario Dumont, député de Rivière-du-Loup et chef de l'Action démocratique du Québec, déposait un projet de loi à l'Assemblée nationale du Québec pour instaurer un revenu minimum garanti pour chaque citoyen du Québec. Vu le refus de Jean Chrétien d'instaurer une telle mesure à la grandeur du pays, Dumont invitait le gouvernement du Parti Québécois, qui est toujours en guerre contre le fédéral, à donner l'exemple et d'appliquer une telle mesure à la grandeur de la province.
M. Dumont ajoutait qu'un tel revenu serait assumé à même l'aide sociale, l'aide financière aux études et les divers programmes fédéraux comme pensions de vieillesse, l'assurance-emploi et l'aide aux familles. Selon le député Dumont, cette refonte de tous ces programmes sociaux pour les remplacer par un revenu minimum aurait pour effet de diminuer le coût de gestion des différents programmes actuels d'aide. « Ces programmes actuels coûtent très cher à gérer parce que cela prend beaucoup de monde pour administrer les exceptions, les normes », a dit le député Dumont. Il a noté que dans le système actuel, il est parfois plus avantageux pour un assisté social de refuser le travail qu'on lui offre. Un revenu minimum s'ajouterait aux gains que chaque bénéficiaire peut réaliser.
En 1999, le syndicaliste (au verbe coloré) Michel Chartrand et le sociologue Michel Bernard lançaient leur « Manifeste pour un revenu de citoyenneté » (en France, c'est le terme « allocation universelle » qui est surtout utilisé), qui reprend passablement les idées répétées depuis plus de 60 ans par Vers Demain sur le dividende. M. Bernard écrit :
« Le revenu de citoyenneté sera distribué à tous les citoyens du Québec. Il sera d'un montant suffisant pour radier le risque du manque des biens premiers : nourriture, vêtements, logement, éducation, santé, loisirs de base, tous biens utiles au respect de soi-même et au rôle de citoyen. Il réalisera l'objectif de pauvreté zéro. Le montant en sera égal pour tous. On pourra le cumuler avec des revenus de travail ou d'autres sources.
« Les revenus de transfert actuels sont conditionnés par le montant des ressources, la situation familiale, l'engagement à la recherche d'un emploi, l'âge, l'aptitude ou non au travail, etc. Avec l'adoption du revenu de citoyenneté, il n'y aura plus de personnes en situation de demandeurs, plus de catégories constituées en fonction de l'accès aux biens, comme de prestataires de l'aide sociale ou de l'assurance emploi, de bénéficiaires de pensions de vieillesse, de femmes à la maison sans revenu, d'étudiants en train de s'endetter, etc., il n'y aura que des citoyens égaux en dignité recevant le revenu de citoyenneté.
« Le revenu de citoyenneté n'est pas dû en charité mais en droit, car seul le droit est compatible avec la dignité humaine. Il n'y aura donc plus de vexations pour ne pas dire d'humiliations, pas d'enquêtes, pas de programmes d'emplois bidons. Pas de questionnaires, ni de formules.
« Le revenu de citoyenneté n'est pas l'application d'une utopie égalitaire qui risquerait de réduire à la fois la part des bien nantis et des défavorisés. Il ne s'agit pas d'une position fondée sur l'envie qui voudrait enlever aux autres ce qu'on n'a pas pour soi-même. Il ne s'agit pas d'uniformiser les individus : les individus pourront se distinguer comme ils le veulent par leur définition du bien, par leurs projets de vie, par leur travail, par leur instruction, par leur richesse même : mais pas par la présence ou l'absence des biens premiers, car le respect de l'humanité, présente dans chaque individu, et l'égalité des chances impliquent cet accès pour tous... Le programme de revenu de citoyenneté s'autofinancerait probablement, si on veut bien calculer correctement en soustrayant le coût du labyrinthe des programmes actuels qui seraient remplacés ainsi que leurs immenses frais administratifs.
« L'amenuisement du travail est une réalité sociologique. L'humanité a toujours chercher à réduire le travail et elle y réussit très bien... Nous produisons plus que jamais avec de moins en moins de travail et nous persistons à définir le travail rémunéré comme le seul mode d'accès aux biens...
« Si une minorité de 5% à 10% de la population active peut produire ce genre de biens pour la population entière d'une société donnée, pourquoi ne pas trouver les moyens de redistribuer ces produits, ce qui assurerait la survie de tous. Une partie de la population reste dans l'insécurité quant aux biens premiers, car nous maintenons une structure d'insertion sociale et d'accès aux biens fondée sur un travail qui s'amenuise. La situation devient de plus en plus absurde car, d'une part les biens abondent et, d'autre part, le travail diminue. On continue de voir le travail comme le seul mode d'intégration sociale et d'accès aux biens. On continue aussi de lier les revenus de transfert à la recherche d'un emploi.
« Certains affirment que le revenu de citoyenneté désinciterait à travailler. Cet argument est réfuté par le fait que le revenu de travail peut se cumuler au revenu de citoyenneté. Personne n'aura intérêt à demeurer inactif afin de le recevoir. Toutefois, le travailleur pourrait mieux refuser un travail dangereux ou rébarbatif, épuisant...
« Le revenu de citoyenneté sera favorable à la famille. Notre système économique équivaut à une guerre contre la famille et les enfants. Muni du revenu de citoyenneté, un conjoint pourra décider plus librement de rester au foyer pour s'occuper de ses enfants en bas âge. »
Louis Even disait que les créditistes de Vers Demain obtiendront la victoire quand tous les médias et autres groupes se mettront à répéter nos idées. Ne lâchons pas, c'est ce qui est en train d'arriver avec le dividende, dont de plus en plus de citoyens ne peuvent qu'admettre la logique et la pertinence. Les Bérets Blancs proposent une formule complète avec, en plus du dividende, la création de l'argent sans intérêt par l'état, et un escompte compensé pour empêcher toute inflation des prix. Vive Vers Demain, vive le beau Crédit Social, et vive les apôtres qui le font connaître aux autres !
Alain Pilote
La compagnie US Steel, le plus grand fabricant d'acier américain, avait 120,000 employés en 1980. Dix ans plus tard, elle n'en avait plus que 20,000 qui produisaient plus que les 120,000 de 1980. Les 100,000 congédiés ont quand même besoin de vivre. Le revenu garanti pour tous est nécessaire.