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Qui paie cette cuisine

Louis Even le jeudi, 01 janvier 1942. Dans Le Crédit Social enseigné par Louis Even

Gratuité anonyme

Les familles de Shawinigan, Grand'Mère, Qué­bec, Drummondville, Sherbrooke, Chicoutimi —pour ne nommer que quelques places — ont reçu gratuitement, par la poste de Sa Majesté, un petit feuillet de quatre pages, intitulé "UN DANGER NATIONAL'. Le danger national, dans l'occurren­ce, c'est le Crédit Social.

Cette littérature, de français assez médiocre, est surtout composée d'un article de M. Elzéar Dallai­re, sandwiché entre une présentation et une conclu­sion dans lesquelles on se fait fort des paroles de Son Eminence le Cardinal Villeneuve.

Le jeu n'est pas nouveau, et nous attendons bien d'autres plats de cette espèce. Mais la sauce est de si mauvais goût que l'éditeur (ou le groupe d'édi­teurs) n'a pas osé signer.

Nos progrès l'enveniment

Le feuillet sort des presses de L'Écho du Saint-Maurice, de Shawinigan.

À Shawinigan, notre journal VERS DEMAIN comptait 47 abonnés en janvier dernier ; aujour­d'hui, 650.

À Shawinigan, les créditistes débordaient de plusieurs centaines l'espace de la grande salle du Collège de l'Immaculée-Conception, le 19 octobre dernier.

Il y avait de quoi émouvoir les adversaires et ranimer une vieille plume de M. Dallaire. Nous eûmes déjà l'occasion de faire connaissance avec cette plume détraquée, il y a quatre ou cinq ans.

À cette époque, on ne parlait pas encore qui vaille de Crédit Social dans la province de Québec. Sur l'invitation de la Ligue des Propriétaires de l'endroit, nous fîmes à Grand'Mère notre premier exposé créditiste dans la région.

La semaine suivante, et la deuxième semaine aussi, le même Écho du Saint-Maurice, sous la si­gnature du même champion Dallaire, apprenait à ses quelques centaines de lecteurs que le "prophète Even" était en mission de la part du "communiste J.-J. Harpell", pour répandre les idées bolchévistes dans la province de Québec. Notre imaginatif pré­cisait que M. Harpell, de Gardenvale, se rendait chaque semaine à New-York, pour y toucher $25,000 de Moscou à cette fin.

Un peu plus tard, lors d'une visite personnelle au bureau de L'Écho du Saint-Maurice, nous primes le digne journaliste à l'improviste. Il nous assura tenir ses renseignements de sources qu'il croyait dignes de confiance.

Pour le rapport de la conférence de Grand'Mère, les notes lui étaient venues de l'avocat Auguste Désilets. Nous ne connaissions point M. Auguste Désilets, mais son nom parut dans les journaux quelques semaines plus tard, lorsqu'il fut promu directeur de la Banque Canadienne Nationale. Quant à l'or de Moscou, c'était un secret profes­sionnel !

Guère changé

Avec les années, nous avions presque oublié M. Elzéar Dallaire et ses élucubrations. Le succès créditiste du 19 octobre l'a ramené au front.

Pour M. Dallaire, nous sommes encore "un pro­phète" — prophète de Satan, puisque nous avons l'audace de manquer de respect aux vénérables banques. Et, comme on est à l'ère des arrestations sommaires et des camps de concentration, M. Dal­laire n'y va pas par quatre chemins. Lisez son ti­tre et son sous-titre : "SEMENCE DANGEREU­SE. — Le prophète Louis Even devrait être logé en lieu sûr. — Campagne révolutionnaire."

Vous croiriez à une recrudescence communiste. Oh ! mais c'est pire que cela. Les communistes ne feraient pas autant sursauter M. Dallaire. Il doit bien savoir, comme tout le monde, que cinq jour­naux communistes, supprimés il y a deux ans, viennent d'être réadmis au Canada — tout bonne­ment... Pourquoi s'en formaliser : Staline n'a-t-il pas viré et arboré l'étendard de la chrétienté ?... Mais VERS DEMAIN soulève l'indignation du défenseur mauricien de l'ordre établi : "Nous nous demandons comment le gouvernement laisse cir­culer une feuille comme celle-là dans le pays." (Le feuillet porte : dans la pays — dans la chaleur de la bataille, a-t-on bien le temps de voir aux fautes d'orthographe ?)

Mais qui est l'éditeur ?

C'est donc M. Elzéar Dallaire qui fournit l'arti­cle sandwiché. Mais qui édite et distribue le sand­wich ?

Dans la présentation, l'éditeur écrit :

"À la suite du Congrès de Shawinigan, un jour­nal de cette ville, L'Écho du St-Maurice, a cru de son devoir de protester... avec une fermeté qui fait honneur à la presse hebdomadaire de la pro­vince et à l'auteur de ces articles."

On voit qu'un tiers est intervenu. Un tiers qui mentionne élogieusement L'Écho du St-Maurice et son journaliste.

À moins que l'auteur de la présentation soit simplement M. Dallaire lui-même se dédoublant ; M. Dallaire sortant de sa peau de journaliste, pour devenir Elzéar Dallaire éditeur, position d'où il peut décerner des palmes à Elzéar Dallaire jour­naliste. Ces métempsychoses se rencontrent et elles sont même très commodes : elles permettent au supposé éditeur qui paie de se dispenser d'un travail de plume, et elles permettent au journalis­te cité de devenir l'employé payé de celui qui fait les frais d'exploitation de la mine.

Toujours est-il que le tiers n'a pas signé.

Et tiers il y a, sinon une plume, au moins une caisse.

Quelqu'un, en effet, a payé la réimpression de l'article, son tirage et sa distribution à plusieurs dizaines de mille.

Et la facture est chargée : rédaction de la pré­face, linotypiste, metteur en pages, pressier, papier, encré, pliage, empaquetage, frais généraux de l'a­telier et (nous ne sommes pas assez naïfs pour l'i­gnorer) le profit de l'auteur et de l'imprimeur. Si ces deux derniers sont un seul et même homme, rien n'empêche de toucher deux profits. Puis, il y a les frais postaux, Sa Majesté n'ayant point encore as­sumé la livraison gratuite même des absurdités. Lorsqu'on parle de frais postaux, le profane pense en gros sous ; mais à $1.00 pour 100 feuillets, $100 pour 10,000, ça tinte !

Où est le généreux bienfaiteur qui a soldé la no­te ? Pourquoi la circulaire ne porte-t-elle pas son nom partout ? Croit-il donc aider une cause hon­teuse ?

Sa main gauche voudrait-elle ignorer ce que fait sa main droite ? Mais, lorsqu'il s'agit de verser des dons aux œuvres de charité ou de philanthropie, les amis de la finance ne sont point si modestes. Pourquoi ceux qui ont ici payé les défenseurs de la finance gardent-ils l'anonymat ?

Quant à M. Dallaire, vu qu'il lui manque encore quelques mois pour le droit à une pension de vieil­lesse, et comme il n'a point et ne veut avoir l'étoffe d'un créditiste, il est tout à fait conforme à son humaine nature de chercher les piastres où il y en a.

Son journal, qui ne dit pas grand'chose à ses con­citoyens, se vidait de plus en plus de l'annonce lo­cale. En prenant position de champion du système, même si ça ne mène pas à grand'chose, il s'attire un peu d'annonce de plus d'envergure. Le chien mérite bien un os ou un morceau de galette, n'est-ce pas ?

Dans une des dernières éditions de son vaillant hebdo, M. Dallaire annonce à ses lecteurs que des centaines d'abonnés à VERS DEMAIN renvoient leur journal. C'est aussi bien trouvé que les voya­ges hebdomadaires de M. Harpell à New-York pour recevoir l'or de Moscou !

Sort-il cette invention par bon cœur, pour con­soler ses maîtres ? Ou ne serait-ce pas plutôt pour leur donner l'impression que ses coups ont porté et qu'on ferait bien de lui confier une autre mis­sion ? Nous hésitons un peu à croire qu'il réussisse à se faire payer souvent ce luxe, parfaitement inu­tile pour les adversaires du Crédit Social.

Louis Even

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