Dans cet article publié pour la première fois en mars 1960, M. Even parle d'un choix à faire entre le communisme ou le crédit social. Il est vrai que depuis ce temps il y a eu la chute du communisme en Russie et les pays d'Europe de l'Est, mais il ne faut pas oublier que la révolution bolchévique de 1917 avait été financée par les banquiers de Wall Street dans le but de donner l'aperçu dans un pays de ce que serait leur gouvernement mondial (ou Nouvel Ordre Mondial) à l'échelle de la planète.
Et ne pas oublier aussi que les socialistes de l'école fabianiste de Londres (Sydney Webb, George Bernard Shaw), fondateurs de la London School of Economics, partageaient les mêmes idées que Karl Marx sur le communisme, mais différaient d'opinion sur la façon d'y arriver : alors que Marx prônait la révolution par la force, eux prônaient plutôt d'arriver au communisme petit à petit, par étapes, en appliquant chaque jour davantage des lois socialistes et centralisatrices.
Comme l'écrivait le Père Peter Coffey d'Irlande, mentionné dans le numéro précédent (mars-avril 2020) de Vers Demain dans un lettre écrite le 3 mars 1932 à un jésuite canadien, le Père Richard :
« J'ai étudié le sujet durant 15 années et je considère une réforme financière (telle que proposée par Douglas comme essentielle au rétablissement d'un système économique chrétien de propriété) largement répandue et par conséquent, la seule option à opposer à celle d'un communisme révolutionnaire, violent et athée.
« Quant à la possibilité de réaliser cette réforme dans le concret avec la psychologie de masse d'un public dopé et avec toute la puissance de la presse capitaliste mondiale alignée contre elle, c'est le secret des dieux ! Mais je ne vois qu'une alternative : c'est ou bien le Crédit Social de Douglas ou bien le chaos du communisme. Tout le nœud de la tragique transition du capitalisme au communisme est actuellement situé dans la finance. »
A. Pilote
Personne sauf peut-être des exploiteurs et des privilégiés du système — ne soutiendra que l'état de choses actuel donne généralement satisfaction. Au contraire. Pratiquement toute la population, dans presque tous les pays, est peut-on dire, dans un état de révolte. Révolte qui prend bien des aspects divers.
Les employés sont en révolte contre les conditions de travail qui leur sont faites. Les employeurs sont en révolte contre les restrictions financières, contre les ingérences gouvernementales, contre les difficultés au travers desquelles ils doivent conduire leurs entreprises. Les contribuables regimbent contre le fardeau croissant des dettes qu'on leur impose. Les chômeurs, les destitués, les sans-le-sou sont en révolte contre le sort désespérant qui est le leur.
La révolte, la réaction contre des conditions irritantes n'est pas une mauvaise chose. C'est le fait d'hommes qui ne veulent pas se laisser amoindrir ou détruire par un milieu malsain qui entrave l'épanouissement de leur personnalité. La révolte contre ce milieu est la première condition pour se décider à prendre les moyens de le modifier. La révolte est précurseur, soit d'un bouleversement, soit au moins d'un grand changement.
La révolte étant générale et croissante aujourd'hui, on peut certainement en conclure que des changements fondamentaux sont inévitables. C'est un lieu commun de dire que le monde actuel est en gestation. Mais reste à savoir ce qui en sortira. Sera-ce une révolution et un chaos, invitant une dictature? Ou bien verrons-nous des changements ordonnés de façon à procurer au moins graduellement une satisfaction générale?
Toute association a pour fin de permettre à ses membres d'obtenir ce qu'ils désirent, plus facilement qu'ils ne le pourraient isolément. C'est, le cas des syndicats ouvriers, ou agricoles, ou patronaux; des compagnies, des coopératives, des clubs sportifs, etc. Ces associations particulières poursuivent les buts spécifiques pour lesquels leurs membres se sont associés; sinon, elles se disloqueraient.
La grande société, embrassant tous les citoyens, son objectif — l'objectif social — doit être de faciliter au peuple l'acquisition des biens que les citoyens, dans leur ensemble, s'accordent à désirer.
Les besoins d'une population sont certainement nombreux et variés. Parmi les individus qui la composent, les uns peuvent vouloir ardemment des choses qui en laissent d'autres totalement indifférents. Et l'ordre social serait bien imparfait s'il donnait la priorité à la satisfaction d'un petit nombre, pendant que le grand nombre souffrirait de frustrations dans la poursuite d'objectifs fondamentaux.
Or, il est certainement deux choses que chacun cherche premièrement et avant tout dans la société où il vit. Ces deux choses sont:
Par sécurité économique, entendons l'accès aux choses nécessaires à la vie, le moyen de satisfaire les besoins essentiels de l'individu. Donc: nourriture, vêtement, logement, soins de santé, et le degré d'instruction indispensable à tout citoyen dans le monde actuel.
Théoriquement, la liberté personnelle, est d'un rang supérieur à la sécurité économique. Mais dans la pratique, la liberté ne peut guère s'affirmer avant la satisfaction au moins du nécessaire. Le nécessiteux est l'esclave des conditions qu'on lui impose pour avoir le droit de vivre. Il n'est pas libre, à moins de renoncer à vivre.
D'autre part, une fois le nécessaire obtenu, surtout au niveau d'une honnête subsistance, l'homme qui a le sens de la liberté peut refuser des programmes qui l'enchaîneraient, tout en l'enrichissant matériellement. Il considère la liberté comme une richesse supérieure à l'argent ou à un plus grand confort matériel.
Quant à l'homme insatiable qui court toujours après une fortune plus grosse, qui poursuit l'argent, plus d'argent, et encore plus d'argent, il est, lui aussi, un esclave: esclave de l'argent.
Disons que la liberté commence avec la satisfaction du nécessaire et cesse avec la poursuite du superflu.
En matière de sécurité économique, des hommes politiques, des économistes aussi, et même des sociologues, disent que la garantie de la sécurité économique exige le sacrifice d'une partie de la liberté personnelle. En quoi ils tiennent, inconsciemment peut-être, de l'école socialiste. Ils peuvent bien citer des exemples pris dans les législations actuelles; mais c'est justement parce que les gouvernements actuels, de n'importe quel nom, cherchent des améliorations dans cette ligne plutôt que de s'attaquer au système financier qui les y force.
Les socialistes promettent bien la sécurité économique à tous — mais moyennant centralisation, dirigisme, plans, conduite de l'économie par l'Etat, avec bureaucratie, inspections, enquêtes, enrégimentations et tout le reste. Une société de citoyens classés; attelés et nourris. Comme les animaux domestiques, comme les chevaux dans l’écurie.
L'école créditiste ne veut point de cette sécurité économique-là. Elle veut pour chaque citoyen la sécurité du capitaliste, qui n’a point besoin d’être embauché, inspecté, enquêté, pour toucher les dividendes de son capital. Ce n'est pas lui-même qui met son capital en rendement – c'est le producteur. Le producteur a sa récompense (salaire ou profit), et le capitaliste a son dividende.
Eh bien, l'école créditiste, considérant chaque citoyen comme co-héritier d'un capital communautaire que des travailleurs mettent en rendement, maintient la récompense à ces travailleurs, mais introduit le dividende à tous, employés ou non dans la production.
Le but d'un système économique est de fournir les produits et services répondant à des besoins humains, dans la mesure, au temps et au lieu où ils sont requis.
Ce but est, physiquement, facile à réaliser aujourd'hui. La caractéristique de notre époque, c'est la possibilité de produire en abondance les biens variés nécessaires à la vie. Et de le faire avec une diminution constante du besoin de labeur humain.
«Seigneur, ne me donne ni pauvreté ni richesse, laisse-moi goûter ma part de pain, de crainte que, comblé, je ne me détourne et ne dise: ‘Qui est Yahvé?’ ou encore, qu’indigent, je ne vole et ne profane le nom de mon Dieu» (Proverbes 30, 8-9) |
C'est de tout temps que l'homme a essayé de suffire à ses besoins matériels avec un minimum d'efforts, de façon à pouvoir disposer de son temps et de ses activités pour d'autres fonctions humaines que la fonction purement économique. Et aujourd'hui, ce but, une production suffisante, abondante même, avec des efforts décroissants — est atteint, au point de pouvoir fournir assez pour tous sans que tous aient besoin d'être employés dans la production.
Nul ne peut nier le fait que la capacité moderne de production soit globalement capable de répondre aux besoins de tous, quand on ne l'entrave pas financièrement ou autrement, et quand on fait les biens aller là où sont les besoins.
Il reste à admettre que chacun, à seul titre de membre de la société, possède un droit individuel à une part de cette abondante production. Voyons si ce droit est réel.
L'abondante production moderne est due; pour une part à l'existence de richesses naturelles, créées par Dieu pour tous les hommes. Elle est aussi le fait de découvertes scientifiques et de leur application, d'inventions et de procédés perfectionnés, d'une organisation sociale qui permet la division du travail, faisant de tout le système producteur une vaste et féconde coopérative de production.
Or, ces choses-là — ces acquisitions scientifiques, ces perfectionnements ajoutés les uns aux autres, ces progrès de toutes sortes, n'ont point été gagnés par le travail de ceux que la production emploie présentement. Ils ne sont pas, non plus, l'œuvre seulement des savants et techniciens vivants qui s'activent à poursuivre les recherches et à accroître les développements. Pas même l'œuvre uniquement des quatre ou cinq dernières générations. C'est le fruit de siècles de lutte pour vaincre la pénurie; de siècles d'efforts, d'étude des forces de la nature pour les maîtriser, de recherches, de découvertes, d'inventions et, de perfectionnement d'inventions conduisant à des inventions et perfectionnements nouveaux. C'est tout un héritage d'acquisitions ajoutées les unes aux autres, — héritage transmis et accru de génération en génération. Et c'est l'existence d'une société organisée, bien commun, qui a permis ces transmissions.
Notre génération, comme les précédentes, est donc héritière des générations passées. C'est un héritage commun, immense, sur lequel nul ne peut réclamer un droit prioritaire. L'héritage appartient à tous.
Chaque membre de la société est, avec les autres membres, co-héritier de cette richesse, de cet immense capital devenu le facteur prépondérant de la production actuelle.
Il faut certainement que ce grand capital commun soit mis en rendement. Mais tous et chacun ont droit à une part du résultat, à titre de co-héritiers, de co-capitalistes, sans exclure la part supplémentaire spéciale due à ceux qui contribuent à mettre le capital en rendement.
S'il suffisait de 1 pour cent de la population pour faire sortir la production moderne de cet immense capital réel, bien, plus réel que les bouts de papier ou chiffres appelés dollars, pourrait-on logiquement soutenir que seul ce 1 pour cent de la population aurait droit aux produits? Le même argument tient, si au lieu de 1 pour cent, il faut y employer 40 pour cent de la population. Les autres, 60 pour cent, ne peuvent être exclus du droit à une part des produits ils gardent leur statut de co-héritiers; de copropriétaires du capital commun mis en œuvre, par les 40 pour cent. Ces 40 pour cent aussi sont co-héritiers et, comme tels, doivent obtenir leur part de co-héritiers en plus de leur part comme producteurs.
L'effort du producteur doit rester récompensé. Mais la plus grande part de la production, est due à l'enrichissement par l'association et par l'héritage social. C'est là un enrichissement non gagné (en anglais, unearned increment of association), dont le fruit doit aller à tous les membres de l'association, de la société.
Cette part est potentiellement suffisante pour couvrir le nécessaire à tous. Le dividende à tous et à chacun, à seul titre de membre de la société, doit donc être un montant suffisant pour garantir au moins le nécessaire à la vie, et graduellement davantage à mesure que le progrès supplante davantage le travail individuel dans la production globale du pays.
Il faut donc admettre que, non seulement l'abondance est à notre disposition, mais aussi que la sécurité économique sans condition restrictive, donc avec la sauvegarde de la liberté personnelle, est un droit de naissance de chaque homme, femme et enfant du pays.
Les règlements financiers actuels méconnaissent ce droit. Le socialisme l'ignore. L'application des propositions financières du Crédit Social en assurerait la réalisation.