Le mot "chômage" était autrefois synonyme de repos. C'était une suspension du travail matériel, pour se livrer à des occupations non serviles, intellectuelles, spirituelles. On chômait le dimanche et les jours de fêtes religieuses d'obligation.
Aujourd'hui, le mot "chômage" évoque bien plus l'idée de privations, de perte de salaire, du salaire qui est souvent l'unique source de revenu du travailleur. Le chômage ouvre l'esprit à l'angoisse et aux soucis, bien plus qu'à la culture et à la spiritualité.
C'est que, dans le monde moderne, on ne vit plus du produit de son propre travail, mais des produits qu'on se procure sur le marché communautaire, moyennant la présentation d'argent. Or cet argent, on ne l'obtient que par l'emploi dans la production. Comme la grande majorité des travailleurs ne possèdent pas d'autres moyens de production que leurs bras et leur compétence, ils ne peuvent avoir d'emploi que par l'embauchage au service d'autres personnes, au service surtout de compagnies industrielles ou commerciales. Hors d'emploi, ils sont chômeurs et la paie qui leur permettait de vivre est suspendue.
Même avec des prestations de chômage, le chômeur est déjà dans l'étau. Les prestations sont un revenu diminué, alors que les besoins du chômeur et de sa famille ne sont point du tout diminués. L'angoisse s'installe au foyer dès la perte du salaire du gagne-pain. Et quand cessent les prestations ou les allocations de chômage, c'est la désolation totale à la maison.
Il y a cela d'inhumain, dans le système d'assurance-chômage, que l'aide cesse complètement au moment où le chômeur en a le plus besoin après avoir épuisé toutes ses ressources. C'est aussi illogique que d'imposer le jeûne, non pas à un homme bien portant, mais à un être déjà anémié par plusieurs semaines de sous-alimentation.
Absolument inhumain aussi de refuser les prestations à un chômeur, lorsqu'il n'a pas assez de "timbres", c'est-à-dire lorsqu'il n'a pas eu l'avantage de travailler un nombre suffisant de semaines avant de chômer. Moins il a pu gagner, plus on lui ferme la porte au nez. Les plus éprouvés sont les plus maltraités.
Dans un système où les règlements financiers ont ainsi préséance sur l'humain, il n'est pas étonnant qu'on cherche qui blâmer quand le chômage montre son visage. Mais on est exposé à se tromper de cible.
Il en est, par exemple, qui jettent la responsabilité du chômage sur l'industrie, sur l'entreprise privée, parce qu'elle n'emploie pas tout le monde. Beau sujet à exploiter par ceux qui préconisent l'étatisation des moyens de production, l'État patron, le socialisme d'État.
C'est là se méprendre grossièrement sur le but réel de l'industrie.
Il est bien coutumier de saluer avec joie l'établissement d'une nouvelle industrie dans une localité. "Cela va donner de l'ouvrage à nos gens", dit-on. Au fond, ce n'est pas tant l'ouvrage que l'argent de la paie qu'on a en vue car de l'ouvrage sans paie, il est toujours facile d'en trouver, de s'en créer pour soi-même.
Mais, en ne voyant dans l'industrie qu'une pourvoyeuse de travail et de salaires, on prend un moyen pour une fin. La fin de l'industrie n'est pas de procurer de l'emploi, mais de fournir des produits. C'est d'ailleurs la fin propre du système économique : produire et livrer les biens répondant aux besoins humains, et les fournir avec le minimum d'inconvénients.
Le système économique parfait serait bien celui qui procurerait aux humains tous les biens matériels dont ils ont besoin, sans requérir aucun labeur de leur part. Les hommes alors pourraient se consacrer librement à d'autres fonctions que la seule fonction économique, qui n'est certainement pas tout l'homme.
Il en va de même pour l'industrie. Si elle emploie des bras, c'est dans la mesure où elle en a besoin pour fournir le produit. Mais elle est d'autant plus parfaite, d'autant meilleure servante, qu'elle exige moins du temps et de l'énergie des hommes pour leur fournir les choses dont ils ont besoin. Soutenir le contraire, c'est aller contre la logique. Il n'est pas un homme travaillant pour lui-même, pas une femme dans l'entretien de la maison, qui ne cherche à faire le mieux possible dans le moins de temps possible et avec le moins de peine possible. Pourquoi voudrait-on que l'industrie se conduise autrement ?
Si l'on tient tant à l'embauchage, ce n'est pas par logique : c'est parce qu'on a fait de l'embauchage la condition pour avoir le droit de vivre ; c'est parce qu'on ne sait pas adapter les règlements financiers de répartition et de distribution au rythme du progrès.
Que ferait-on si l'automation, poussée jusqu'à l'ultime, éliminait entièrement le besoin d'employés ? Refuserait-on toute distribution des produits parce qu'ils viendraient automatiquement ? De toute évidence, il faudrait bien alors trouver un autre règlement que celui qui prévaut aujourd'hui, pour répartir et distribuer les biens répondant à leurs besoins.
Mais pourquoi attendre d'en être là, ou presque là, pour introduire un nouveau mode de répartition et de distribution complémentaire pour commencer, et augmentant dans la mesure justement où le progrès des techniques diminue la part de labeur humain ? Ce nouveau mode les créditistes l'appellent dividende : récompense du progrès et non du travail, due à tous, puisque le progrès est un bien communautaire transmis et accru d'une génération à l'autre. Alors, le chômage reprendrait son sens premier de loisirs, de temps libre, consacré selon le gré de chacun à des activités libres, qui pourraient être plus créatrices et d'un ordre plus élevé que le travail servile forcé. Et ce chômage-là ne signifierait plus la perte de revenu qui en fait un cauchemar aujourd'hui.
Tout cela, pour dire qu'il est absurde de blâmer l'entreprise privée quand elle ne procure pas d'emploi. Il faudrait la blâmer seulement si elle refusait de fournir les produits.
Ces réflexions n'ont pas pour but de justifier les désordres d'une entreprise qui perd elle-même de vue sa fin propre, qui poursuit l'argent plus que la production de biens répondant à des besoins humains ; qui fait n'importe quoi, pourvu que ça paie ; qui court après des contrats payants au-delà de ses moyens ordinaires, engageant pour cela un personnel doublé ou triplé qu'elle déplace parfois de loin, pour le congédier une fois les contrats remplis et non suivis d'autres. Cette instabilité ne correspond pas au rythme des besoins humains, qui restent sensiblement les mêmes d'une année à l'autre, surtout quand on ne s'applique pas à créer constamment de nouveaux besoins, propres à matérialiser davantage la vie dans le simple but d'alimenter les coffres de serviteurs de Mammon.
Il est donc tout à fait normal, bon — aussi pourvu qu'on sache y adapter les règlements de distribution — que le progrès désembauche les hommes, qu'il les mette au repos en fait de production matérielle.
Toutefois, dans un pays jeune et en pleine expansion comme le nôtre, le chômage est un non-sens quand il reste tant de besoins non satisfaits, surtout dans l'ordre des biens durables : logements pour les familles ; développements municipaux requis par des agglomérations en croissance ; écoles, hôpitaux, route à construire ou à améliorer ; ponts étroits et dangereux à élargir ou à reconstruire, etc., etc.
On sait que ces projets ne manquent pas, qu'il sont réclamés avec instances par les intéressés. On sait également que de la main-d'œuvre chôme et que des matériaux sont là qui attendent utilisation.
Mais tout le monde monde sait aussi qu'est-ce qui empêche de procéder. L'entrepreneur en construction de logements ne peut pas attendre la vente d'une maison pour payer les ouvriers qu'il emploie à la bâtir ou les matériaux qui entrent dans sa construction. Il ne peut vendre la maison et se la faire payer avant qu'elle soit bâtie ; et il ne peut la bâtir sans payer en allant. Il lui faut donc une avance de crédit financier. Quand ces crédits lui sont consentis, il bâtit, et des familles pourront se loger. Quand ces crédits lui sont refusés, il ne bâtit pas, des hommes chôment, et des familles resteront sans logements ou pourriront dans des taudis.
C'est donc à raison que l'on blâme la restriction du crédit, cause de l'arrêt d'activités et de la création de chômage.
Le système financier est doublement coupable. Il l'est en refusant de financer la production de biens physiquement réalisables et répondant à des besoins réels. Il l'est aussi en refusant de financer adéquatement la consommation, en ne fournissant pas au public l'argent qui manque pour rencontrer les prix de revient.
Ce qui est dit des entreprises de construction s'applique également aux projets d'ordre public, municipaux, scolaires, hospitaliers, provinciaux.
Coupable, le système financier. Coupable, le gouvernement qui permet cette dictature sur la vie économique.
Le maire Foucher, de Shawinigan, n'a pas tort de dire que le chômage est une responsabilité d'Ottawa, parce que le système monétaire vicié, cause du chômage, est jalousement gardé par Ottawa comme étant de juridiction fédérale.
Si, comme le demande l'école créditiste, la production nouvelle de tout ordre (privé, municipal, provincial ou fédéral), était financée automatiquement, là où elle se fait, par des crédits nouveaux ; et si les crédits étaient retirés de la circulation au rythme seulement de la consommation, et aux lieux où se fait cette consommation, on n'aurait plus à blâmer Ottawa. L'autorité en charge de cette comptabilité (non pas en charge des décisions de produire ou de consommer) pourrait encore être sous la juridiction d'Ottawa. Mais la finance obéissant aux faits, où qu'ils se produisent, le contrôle des décisions serait décentralisé. Il serait entre les mains des producteurs et des consommateurs eux-mêmes : le crédit servirait fidèlement les producteurs, ceux-ci recevant les commandes de consommateurs qui sont bien les mieux à même de connaître leurs propres besoins.
Ce serait la démocratie économique. Ce serait la fin de la dictature d'argent ; la fin des problèmes qu'elle multiplie à tous les échelons ; la fin des souffrances imméritées qu'elle impose partout ; la fin de conditions qui poussent les victimes à chercher une solution, d'ailleurs illusoire, dans le socialisme d'État.
La seule solution digne de personnes ayant le sens de la liberté, c'est la solution qu'offre le Crédit Social.