Un pays est prospère quand il satisfait les besoins de ses citoyens. La facilité avec laquelle il satisfait ces besoins est le degré de prospérité.
La richesse d’un pays ne se mesure pas à la quantité de choses qu’il peut produire; elle se mesure à la satisfaction des besoins des hommes et des femmes qui l’habitent. La richesse n’est donc pas dans la production, mais dans la consommation.
Cette assertion peut paraître absurde, tellement elle va à l’encontre de tout ce qu’on entend tous les jours: "Produisez plus, consommez moins". Mais l’enrichissement d’un homme ne consiste pas dans l’accumulation des biens matériels inutilisés; son enrichissement consiste dans la satisfaction de ses besoins normaux.
L’homme qui a faim et ne peut manger est misérable, sa vie s’en va. Mais lorsqu’il peut se nourrir, il devient capable de vivre, il s’enrichit de cette capacité de vivre.
Dans une civilisation de progrès, la satisfaction des besoins matériels doit se faire en accaparant de moins en moins les activités de l’homme. L’homme a d’autres fonctions à accomplir que la simple fonction économique. Moins la fonction économique le monopolise, plus il est libre pour d’autres activités fonctionnelles.
Un bon système économique doit tendre au désembauchage, et non pas à l’embauchage. Aux loisirs, aux activités libres, et non pas à des activités dictées.
Une œuvre libre, conçue par son auteur, est une création. Des activités dictées peuvent concourir à réaliser la création d’un autre, mais elles ne sont pas œuvre créatrice de celui qui ne fait qu’exécuter des ordres.
L’embauchage ne facilite pas le travail créateur, le vrai travail digne de l’homme.
Le progrès des techniques de production devrait faciliter le désembauchage. Mais quand il désembauche, on appelle cela chômage, au lieu de l’appeler loisirs. On l’appelle chômage et on y voit une plaie, parce que ce désembauchage est accompagné de la perte du droit aux produits, même si la production est accrue.
Aussi les gouvernants, les unions ouvrières, et toute la kyrielle des soumis au régime, mettent-ils leurs énergies à promouvoir ou à réclamer l’embauchage intégral. Ils ne s’aperçoivent pas qu’ils sont en contradiction flagrante avec le progrès. Le progrès multiplie ce que les Anglais appellent "laborsaving devices" (inventions pour diminuer le labeur). Et eux courent après le labeur, après l’emploi !
C’est d’ailleurs en contradiction aussi avec les aspirations fondamentales de tout être humain normal. Chacun aspire à obtenir le plus avec le moins possible de dépenses d’efforts et d’énergie.
L’embauchage a ce caractère distinctif qu’il fait l’homme travailler hors de chez lui, à produire des choses qui ne sont pas pour sa maison. L’économie d’embauchage est une économie contraire à la vie de famille.
L’embauchage sort l’homme du foyer, sort souvent même la femme du foyer, entrave l’éducation des enfants par leurs parents. L’embauchage abrutit aussi le travailleur: plus l’usine où il passe ses journées est grosse, plus il y mène une vie de robot: un rouage dans une machine. Et les usines modernes sont de plus en plus grosses.
Tout le monde convient que l’homme est composé d’un corps et d’une âme. Mais l’embauchage exige que la plus grande partie de la vie de chacun soit employée à la production des biens matériels.
Pourtant, l’homme, qui n’est pas obligé de marcher au doigt d’un autre, celui qui est maître de son temps et de ses moyens de production, essaie toujours de diminuer le labeur nécessaire à l’entretien de sa vie corporelle: Il applique son cerveau à chercher des moyens d’obtenir ce résultat. Il veut des loisirs, du temps pour quelque autre chose. Autrement, il ne serait plus vraiment un homme. Il serait un animal comme le castor, comme le singe, qui ne font aucun progrès, qui s’affairent à leur nourriture de la même manière depuis la création de leur espèce.
Le plein emploi, l’embauchage intégral, ne peut bien se réaliser que par de grands travaux, par de grands plans de travail pour occuper les masses. Donc par la centralisation de pouvoirs entre les mains de gros entrepreneurs ou entre les mains de l’État.
Un auteur créditiste a écrit avec beaucoup de vérité: "Il n’y a probablement aucun autre fléau sur terre, sauf la guerre, pour contribuer autant que l’embauchage intégral à embrigader l’humanité et à lui imposer les vues de quelques hommes."
Qui, en effet, décide des programmes de production de centaines de mille, de millions d’hommes, employés dans les usines modernes ?
Pourtant, on n’entre pas en association pour perdre sa liberté. Un système économique véritablement humain doit éviter les plans centralisés et imposés. Il doit permettre à chaque individu de faire lui-même ses propres plans de vie.
— Mais il faut bien être embauché pour avoir de quoi vivre !
— Ce sont les produits, et non pas l’embauchage, qui permet à entretenir la vie. Quand les produits qui font vivre existent, il n’y a pas besoin pour vivre, de s’embaucher à produire d’autres choses qui ne servent pas à l’entretien de la vie.
— Très bien. Mais pour obtenir les biens qu’on ne produit pas soi-même, il faut les acheter. Pour les acheter, il faut de l’argent. Pour avoir de l’argent, il faut un emploi !
— La dernière phrase n’exprime pas une loi naturelle. Elle exprime un règlement fait par les hommes. Ce règlement peut fort bien être modifié, si la société en convient.
Actuellement, il y a des personnes qui reçoivent de l’argent sans emploi: tels les capitalistes, qui touchent des dividendes, revenus de placements.
Rien n’empêche d’instituer un mode de répartition qui accorderait des dividendes à tout le monde. C’est d’ailleurs ce que préconisent les créditistes. Ce serait, en réalité, le revenu d’un capital; non pas d’un capital-argent, mais d’un capital-progrès, qui fait que la production augmente même quand l’effort humain diminue. Ce capital-là est le fruit de plusieurs générations de progrès; c’est un acquêt communautaire qui doit bien valoir des dividendes à tous les membres de la société.
Le progrès doit apporter aux hommes des loisirs, plus de temps pour des activités libres. Et pour que ces loisirs ne soient pas, comme le «chômage», une source de privations, les loisirs doivent être accompagnés d’un dividende périodique à tous.
Cela va d’ailleurs ensemble. Les loisirs sont fils naturels du progrès qui élimine le labeur humain. Les dividendes à tous sont le revenu du progrès, capital commun de plus en plus productif.
Les salaires paient l’effort individuel. Les dividendes distribueraient les fruits du progrès. Les premiers (salaires) devraient faire de plus en plus de place aux dividendes, à mesure que le progrès dispense de l’emploi tout en augmentant la production.
Le dividende est la finance des loisirs. Le progrès, appartenant à tous, doit apporter à tous des loisirs et distribuer à tous des dividendes.
Le dividende à tous démocratiserait le pouvoir d’achat. Il procurerait à tous un droit à au moins une certaine quantité de produits, même si tous ne sont pas embauchés.
Le Major Douglas, l’auteur des propositions du Crédit Social, a écrit que "La première fonction d’une vraie démocratie, c’est de distribuer des dividendes à tous les citoyens, c’est-à-dire de faire tous les citoyens bénéficier des avantages découlant de l’association".
On attend encore la vraie démocratie. Elle naîtra avec l’institution du Crédit Social.