Pourquoi les taxes versées par les contribuables, pendant la guerre, ne seraient-elles pas traitées sur le pied d'un placement à intérêt, tout comme les obligations ou les emprunts de guerre ?
L'idée fut émise dès le commencement de cette guerre, en Angleterre, par les disciples de Douglas. Elle vient d'être reprise par Ralph Duclos, président du Douglas Social Credit Bureau, d'Ottawa, dans deux articles publiées par l'Ottawa Citizen : "Tax Bonds for Your Taxes", le 4 juillet : "Why Collect Taxes", le 15 août.
Le fond du raisonnement est celui-ci :
Le banquier qui prête au gouvernement obtient en échange une obligation portant intérêt. Pourtant, que prête-t-il, sinon de l'argent qu'il crée d'un trait de plume pour l'occasion ?
Lorsque le contribuable paie une taxe, c'est de l'argent bien gagné qu'il passe au gouvernement. Pourquoi n'obtiendrait-il pas en échange, comme le banquier, une obligation portant intérêt ?
Pourquoi l'inégalité de traitement ? Dans les deux cas, le gouvernement emploie l'argent à la même fin. S'il y a une différence, elle est en faveur du contribuable. L'argent du banquier ne prive pas le banquier. L'argent du contribuable prive le contribuable. Lequel des deux mérite le mieux une récompense ? Pourtant, lequel l'obtient ?
De même, comparons le prêt fait au gouvernement par un citoyen, et la taxe payée au gouvernement par un citoyen. Ici, il s'agit d'argent supposé bien gagné dans les deux cas. Mais le prêt est fait par celui qui a des surplus ; la taxe est payée par chacun, qu'il ait ou n'ait pas de surplus. Le prêt enlève temporairement l'argent au prêteur ; la taxe enlève définitivement l'argent au contribuable. Or c'est le prêt qui reçoit une récompense, la taxe n'en reçoit pas. De plus, la récompense au prêteur est payée par un prélèvement sur le contribuable.
Où est la logique dans tout cela ?
Vu l'existence parallèle des prêts et des taxes, des prêts possibles pour les riches, des taxes obligatoires pour tout le monde ; et vu que le contribuable est taxé pour payer l'intérêt aux prêteurs, il arrive que la taxe, au lieu de contribuer à mieux répartir la richesse, contribue à concentrer davantage la richesse.
Ce point a bien été mis en évidence par le major Douglas depuis vingt ans. Voir entre autres le chapitre VI (Taxation and Servitude) de son livre "Social Credit". Mais le procédé continue. Des compagnies, à la vérité, font de gros frais de taxes ; mais elles ont soin de les passer dans les prix, et le consommateur ultime paie.
Dans un autre article du présent numéro, nous insistons sur un aspect spécial de la taxe : agent de privation. La taxe, au moins en temps de guerre — et le gouvernement ne le cache pas — a pour principal but de diminuer le pouvoir d'achat du public.
Si l'on juge que le public a trop de pouvoir d'achat, parce que c'est la guerre et qu'il faut orienter la production vers la guerre, qu'on suspende simplement l'exercice de ce pouvoir d'achat, en donnant au contribuable, en échange de ses taxes, une obligation correspondante qui ne sera remboursable qu'après la guerre. Puis, que cette obligation porte intérêt. Si le trait de plume du banquier mérite intérêt, les sueurs du travailleur méritent bien intérêt.
Ce serait mettre en conserve, actuellement, un pouvoir d'achat jugé excédentaire. Le contribuable le retrouverait, augmenté, après la guerre, alors que la production possible énorme exigera, pour son écoulement, un pouvoir d'achat énorme.
Cela, comme le remarque M. Duclos, n'est pas le Crédit Social, bien supérieur à tous les plans de finance liés au système actuel ; mais ce serait au moins diminuer l'écart de traitement entre le fabricant de choses et le fabricant d'argent, pendant qu'on pousse les Canadiens au front en leur promettant un ordre meilleur.
M. Duclos, dans le dernier de ses deux articles, montre avec quelle simplicité la chose serait praticable ; comment, aussi, le gouvernement pourrait se dispenser de son complexe et coûteux mécanisme de perception des taxes.
Ainsi, pour les taxes prélevées sur les salaires à chaque paie, l'employeur n'aurait qu'à transférer, du compte de la compagnie à un compte spécial, en banque, au nom de l'employé, un montant égal à la taxe qui doit être retenue sur le salaire.
De même pour les taxes payées par les employeurs eux-mêmes ou par les compagnies. Tout irait à des comptes spéciaux, qui grossiraient à mesure des versements de taxes, mais qui seraient "gelés" pour le temps de la guerre.
Le banquier serait rémunéré pour tenir cette simple comptabilité ; cela coûterait bien moins cher au gouvernement que toute l'armée d'employés qu'il affecte aujourd'hui à la perception et à la surveillance de la perception.
Ces comptes "gelés" ne pourraient évidemment pas être employés par le banquier pour ses opérations ordinaires.
On assurerait donc, avec un minimum d'écritures, la diminution de pouvoir d'achat visée par la taxe.
De temps en temps, les banques feraient rapport au gouvernement pour qu'il vérifie toute la transaction.
Après la guerre, ces comptes seraient dégelés, accrus de leurs intérêts respectifs, au taux "d'obligation" décrété par le gouvernement, selon la méthode ordinaire employée par les banques pour ajouter l'intérêt à un compte formé de dépôts successifs.
C'est ainsi que les taxes opéreraient comme des obligations porteuses d'intérêt et que le gouvernement s'allégerait d'une lourde et dispendieuse bureaucratie.
Le dégel de ce pouvoir d'achat pourrait se faire graduellement, en rapport avec la reprise de la production civile d'après-guerre.
Évidemment, le gouvernement qui a la tête fermée au Crédit Social l'aura également fermée à l'idée de taxes-placements, et nous perdrions notre temps si nous écrivions ceci dans l'espoir de changer la mentalité de nos orthodoxes. Mais les considérations en marge du plan contribuent à mettre davantage en lumière l'injustice criante du système bancocrate par lequel respire, agit et jure notre distingué gouvernement.