On parle de plus en plus de Crédit Social. On parle de plus en plus d'Association Créditiste. Les créditistes de la province de Québec n'arrêtent pas de bouger. Et il faut croire qu'ils bougent d'une façon ordonnée et efficace, puisque leur mouvement grossit toujours.
Mais qu'est-ce donc que le Crédit Social ?
Le Crédit Social, c'est la poursuite de l'ordre dans la société. Le Crédit Social, c'est la guerre à ce qui met le désordre dans la société.
C'est cela le Crédit Social, parce que le Crédit Social veut que la société accomplisse sa fin temporelle, qui est de faciliter la vie des hommes, de tous et de chacun des membres de la société pendant leur passage sur la terre. Les hommes doivent être mieux en société qu'isolés. Les hommes ne se mettent pas ensemble pour que quelques-uns mangent les autres. Lorsqu'il y en a quelques-uns qui s'arrogent le droit de manger les autres, c'est un désordre qui tend à séparer les hommes, à les détacher de la société ; c'est un désordre, parce que cela va contre la sociabilité des hommes, contre la nature de la personne humaine.
Les tenants du Crédit Social sont des hommes qui veulent que le désordre disparaisse, que les causes du désordre soient supprimées.
Considéré dans cette ampleur, le Crédit Social embrasse toute la question sociale et les créditistes ne méritent aucunement le reproche qu'on leur fait souvent de se cantonner dans une idée, de prétendre régler la question sociale en ne parlant que de réforme monétaire.
Si l'on admet cette définition du Crédit Social, on peut dire aussi que tous les hommes d'ordre sont des créditistes ; que tous ceux qui travaillent à supprimer les causes de désordre sont des créditistes. Et de ce côté-là, ceux auxquels on réserve généralement le nom de créditistes ont bien des collaborateurs. Ils se plaisent à le reconnaître, même si ces collaborateurs boudent les créditistes.
Les causes de désordre, qui empêchent les hommes de profiter, tous et chacun, des avantages de leur vie en société, sont nombreuses.
Il y a les causes morales : l'égoïsme, la cupidité, les sept péchés capitaux qui ne seront jamais entièrement extirpés du cœur de l'homme tant que le démon aura le droit de lutter contre Dieu —jusqu'à la fin du monde. La lutte contre les péchés capitaux est une lutte contre les désordres de la société. C'est même la lutte la plus importante.
Les créditistes savent cela, et ils se réjouissent de tout ce qui est fait dans ce domaine. S'ils ne s'en occupent pas directement comme corps organisé, c'est parce qu'ils savent qu'il y a des experts pour le faire, une autorité établie pour y voir. L'action catholique, sous la direction de la hiérarchie, existe justement pour cela. Ce qui n'empêche pas les créditistes, individuellement, et à l'occasion dans leurs rapports avec les autres, de poser des actes dans ce sens.
Mais les créditistes se spécialisent dans un autre domaine, dans le domaine économique, dans le domaine de la distribution des richesses. Et, si les créditistes reconnaissent que les éducateurs et les conducteurs d'âmes sont leurs plus puissants collaborateurs en formant des esprits droits et des cœurs capables de dévouement, les créditistes croient être d'efficaces collaborateurs des éducateurs et des sauveurs d'âmes en travaillant à corriger des désordres néfastes dans l'économique. Sur le terrain économique, nous disent nos papes, le salut des âmes est particulièrement en danger.
En renversant un système basé sur l'exploitation du grand nombre par un petit nombre et en lui substituant un système plus conforme à l'esprit chrétien, on aiderait ceux qui sont prêchés à observer les conseils de ceux qui prêchent.
Les plus beaux sermons perdent de leur efficacité lorsqu'il faut vivre dans un système qui force un homme à coucher les autres pour pouvoir se tenir debout.
S'il est nécessaire de rappeler les hommes à la pratique de leurs devoirs et utile de prier pour la conversion des transgresseurs, il est nécessaire aussi, de s'organiser pour empêcher les voleurs de voler, même si les méthodes des voleurs sont protégés par la loi.
Mais pourquoi les créditistes parlent-ils toujours d'argent ?
Les créditistes s'occupent particulièrement de la question de l'argent, parce qu'ils ont constaté que c'est dans le système d'argent que réside surtout le désordre économique. Dès qu'on veut améliorer les relations des hommes entre eux, on se heurte à des problèmes d'argent. Dès qu'on veut orienter l'économique vers sa véritable fin, l'argent s'y oppose.
Les producteurs sont capables de produire et ne refusent pas de le faire. Les consommateurs savent ce dont ils ont besoin et n'hésitent pas à le demander. Les camionneurs, les chemins de fer savent transporter. Le marchand sait vendre. Et tout cela se fait bien quand l'argent est là pour payer. Mais tout cela se fait mal quand l'argent n'est pas là pour payer.
Personne ne peut contester la vérité de ces remarques. La présence ou l'absence d'argent a un effet souverain sur les activités économiques.
Mais la présence ou l'absence d'argent n'est pas déterminée par l'argent lui-même. L'argent ne vient pas et ne disparaît pas tout seul. Il n'augmente pas et ne diminue pas tout seul. Des hommes le font venir et des hommes le font disparaître. Des hommes font l'argent facile ou difficile à obtenir. Ces hommes-là exercent un pouvoir absolu sur la vie économique.
Il suffit d'ouvrir les yeux, de raisonner une minute, pour conclure que ceux qui mènent l'argent le mènent fort mal.
L'argent, en effet, a été inventé pour acheter, pour permettre aux hommes vivant en société de tirer sur la capacité de production de leur pays. Le but de l'argent, c'est de permettre aux consommateurs d'exprimer, par leurs achats, ce qu'ils désirent. La production remplace ce que les consommateurs ont acheté. Si donc le pays a une forte capacité de production, s'il peut fournir beaucoup de choses, les consommateurs doivent avoir beaucoup d'argent, pour commander beaucoup de choses. Si la production est faible, les consommateurs n'ont pas besoin d'autant d'argent, puisqu'il y a moins de choses à commander.
Pourquoi donc l'argent a-t-il diminué tout d'un coup, dans le monde entier, à l'automne de 1929, alors qu'il y avait encore beaucoup de choses à vendre, alors que tous les pays pouvaient continuer de fournir autant de produits qu'avant, alors que les hommes et les femmes avaient encore les mêmes besoins ?
D'autre part, pourquoi l'argent augmente-t-il pendant la guerre, alors que la production est réquisitionnée pour la guerre, alors donc qu'il y a moins de choses à vendre ?
Pourquoi ? Nous ne demandons pas : Comment ? Nous savons très bien comment. Nous demandons : Pourquoi ? Dans quel but cette anomalie ?
Pour un instrument inventé pour acheter, l'argent se conduit très mal. Ce sont ceux qui le conduisent qui lui font suivre cette ligne de conduite contraire à sa nature.
Il n'est pas vain de rappeler ces choses, que tout le monde doit savoir depuis longtemps. Les coupables, ceux qui mènent l'argent à l'envers pour atteindre des fins qui ne sont pas les fins de l'argent, n'aiment point à voir leurs desseins mis à jour. Ils essaient de faire croire au monde que la conduite de l'argent ne dépend de personne. Il n'y a rien à faire, paraît-il, parce que c'est l'humeur de l'argent qui est ainsi. Il faut bien subir cette humeur — et pendant ce temps-là eux continuent leur jeu.
Ajoutons que les conducteurs pervers de l'argent sont admirablement servis par des gens dont le public devrait recevoir la lumière. Que de fois n'entend-on pas parler du danger de l'argent, de l'argent créature du diable, de l'argent instrument de perdition, et quoi encore ? Ce qui n'empêche pas les églises, les œuvres charitables, les entreprises philanthropiques de demander de plus en plus de cet "instrument de perdition" qui n'a point du tout l'air entre leurs mains d'être une invention du diable.
Ce n'est point dans l'argent que loge l'esprit du diable, mais plutôt dans la tête de l'homme qui, une charte en main, règle le volume de l'argent en fonction de ses fins personnelles, même s'il faut jeter des millions de familles dans la misère et le désespoir.
Regimbe, hurle, persifle ou miaule qui voudra, nous disons et répétons que, selon nous, créditistes, de plus en plus nombreux à mesure que la lumière se fait, selon nous, cette question du contrôle de l'argent et du crédit est extrêmement importante. C'est une question d'esclavage ou de liberté.
Quand bien même le Pape ne l'aurait pas dit, nous sommes persuadés que "Ceux qui contrôlent l'argent et le Crédit sont les maîtres de nos vies... Sans leur permission, il n'est plus possible de respirer."
S'ils sont les maîtres de nos vies, nous sommes leurs esclaves. Nous nous demandons ce que veut dire, dans ces conditions, la lutte pour la liberté dont se targuent les démocraties, alors que chaque canon coulé, chaque bateau lancé, chaque avion livré à l'azur, chaque soldat enrôlé augmentent le pouvoir de ceux qui contrôlent l'argent et le crédit.
Nous ne pouvons être de l'avis de ceux qui veulent régler la question sociale en permettant la continuation du despotisme des maîtres de l'argent et du crédit.
Nous ne sommes point du tout surpris, cependant, que des personnages bien placés pour se faire écouter minimisent la réforme du système monétaire. D'abord, disons-le entre parenthèses, ces personnes-là sont à peu près assurées d'avoir toujours assez d'argent au moins pour mener une honnête subsistance. Ceux qui contrôlent l'argent et le crédit veillent à se ménager la protection de ceux qui exercent quelque influence. Il faut qu'il y ait toujours quelques hommes avec une sécurité économique relative garantie, pour exhorter à la patience la multitude qui se débat dans la misère.
Mais cela ne change rien à la crudité des faits. L'argent est mal mené ; et ceux qui le mènent mal continueront de le faire tant qu'on n'aura pas monté une organisation de taille à leur faire perdre ce pouvoir. Les créditistes le savent, et c'est pourquoi ils poursuivent leur lutte acharnée.
Lorsque Adolf Hitler, de 1933 à 1939, a réussi. à réarmer jusqu'aux dents une nation financièrement en banqueroute, quelle leçon a-t-il donnée au monde ?
Lorsque, pendant la même période, nos chefs cl'Etat se lamentaient de manquer de fonds pour injecter un peu de vigueur à une industrie anémiée, quel spectacle ont-ils offert au monde ?