Le Dr. Szczesny Górski, physicien et physiologiste, travaille présentement à l'Académie médicale de Poznan, en Pologne. Depuis quelques années, il a entrepris d'expliquer et de propager un ordre économique et social basé sur les principes du Crédit Social.
Plusieurs de nos apôtres créditistes connaissent ce grand apôtre de Pologne, le Dr. Szczesny Górski, qui est venu à notre congrès au Canada en septembre dernier. À l'occasion de ce congrès, M. Wieslaw Magiera, rédacteur l'hebdomadaire « Glos Polski » (La Voix Polonaise), publié à Toronto, a interviewé le Dr. Górski, et publié cet interview dans son journal. Voici des extraits de cet interview (la traduction et les sous-titres sont de Vers Demain) :
Interview
W. Magiera : Qu'est-ce qui vous a amené à vous intéresser à l'économie, vous qui êtes un spécialiste dans des champs d'activités scientifiques complètement différents ?
S. Górski : C'est arrivé tout à fait par hasard. Ma tante, qui habite au Canada, est venue une fois en Pologne, apportant avec elle quelques publications sur le Crédit Social. Depuis longtemps, je ne m'intéresse qu'aux problèmes qui peuvent être considérés comme centraux ou de la plus haute importance. Les questions secondaires ne signifiaient rien pour moi. On peut illustrer ceci par l'exemple de saint Christophe : recherchait le plus grand maître, afin de pouvoir le servir. Au début, il trouva un commandant de l'armée, puis un roi, et finalement, il découvrit que Dieu était le grand Maître qu'il recherchait. Il cherchait ce qui était le plus important.
En me basant sur les renseignements fournis dans les publications créditistes que j'avais lues, j'en suis venu à la conclusion que le Crédit Social était un sujet de la plus haute importance pour l'économie, un sujet qui concernait la vie financière d'un pays et la création de l'argent. J'ai senti que c'était précisément le principal problème économique de mon pays. C'est pourquoi je me suis mis à étudier l'économie et la doctrine du Crédit Social, en raison de l'importance fondamentale du problème.
W.M. : Vous êtes devenu un traducteur des livres du Crédit Social, en commençant par l'œuvre fondamentale de Clifford Hugh Douglas, puis les écrits de l'économiste australien Barclay-Smith, jusqu'à la nouvelle version en polonais de « Sous le Signe de l'Abondance » de Louis Even. Quelle est votre attitude concernant ce nouvel intérêt ? Cela va-t-il demeurer un passe-temps, ou allez-vous devenir un « apôtre » du Crédit Social en Pologne ?
S.G. : Pour moi, c'est une forme de travail social bénévole. Toute ma vie, je me suis consacré à diverses actions sociales. Durant les années de régime communiste, c'était des questions écologiques — je me suis battu activement contre le développement de centrales nucléaires en Pologne. Puis ce fut le Mouvement «Solidarité », et maintenant, je suis impliqué dans la philosophie du Crédit Social. Je sens que ce sujet est d'une importance extraordinaire, et j'y ai consacré les cinq dernières années de ma vie.
W.M. : Pourriez-vous, dans les termes les plus simples, décrire les principes de base de la doctrine créditiste ?
S.G. : Il existe trois piliers, ou principes, du Crédit Social : le droit de créer de l'argent sans intérêt, le dividende social basé sur le progrès technologique, et l'escompte compensé.
En ce qui concerne le premier pilier, le point principal est la création d'argent sans intérêt seulement par la banque centrale, et cela devrait être garanti par la Constitution. Cette garantie est donnée à la Banque du Canada dans la Constitution canadienne.
Pour le deuxième pilier, le dividende social découle du fait que les richesses naturelles et l'héritage culturel d'un pays appartiennent à chaque membre de la société. Et pour représenter ce capital social réel, la société doit créer de l'argent nouveau et le distribuer en dividende à tous les citoyens qui sont en fait les propriétaires de ce capital social réel.
Pour le troisième pilier, l'escompte compensé comblera finalement l'écart entre le pouvoir d'achat et la valeur des produits, de sorte que la société puisse acheter tout ce qu'elle produit.
Pour que l'application de cette doctrine soit un succès, les trois piliers du Crédit Social sont tous également importants. Je comparerais cette situation à celle d'un trépied, qui n'est stable seulement que lorsque ses trois pieds sont égaux. Si ces trois « piliers » sont présents dans le système, alors l'économie sera forte et stable. Si, par contre, on appliquait seulement le principe de l'argent créé sans intérêt exclusivement par la banque centrale, mais sans appliquer le dividende et l'escompte compensé, la situation pourrait devenir instable, et tourner à la ruine.
Une grande découverte de Clifford H. Douglas fut que « le vrai coût de la production est la consommation ». Cette déclaration peut être illustrée ainsi : supposons que durant une année, des biens pour une valeur de 100 unités aient été produits, mais que la consommation n'ait été que de 70 unités. Selon la théorie de Douglas, il est alors nécessaire de réduire le prix de ces biens dans une proportion de 30 pour cent, les consommateurs ne payant ainsi que 70% du prix original. La perte pour les producteurs et commerçants serait compensée par la banque centrale de la nation. Cet escompte ne proviendrait pas des taxes, mais de nouveaux crédits financiers représentant le surplus de la production sur la consommation.
Depuis que j'ai entrepris cette étude de l'économie, j'ai remarqué une chose surprenante : de plus en plus d'économistes, même parmi ceux qui ont d'abord été de farouches adversaires du Crédit Social, acceptent petit à petit les propositions de Douglas comme solution au système économique actuel. Par exemple, Milton Friedman, un monétariste américain, lauréat du prix Nobel d'économie en 1976, déclara qu'il était nécessaire d'ajouter de l'argent additionnel dans l'économie, sous forme de dividendes. Le professeur Maurice Allais de Paris, lauréat du prix Nobel d'économie en 1988, a dit depuis longtemps que seule la banque centrale a le droit de créer l'argent. Alors le professeur Allais appuie le premier pilier du Crédit Social, ce qui, il n'y a encore pas si longtemps, était considéré comme un scandale par les économistes.
Aujourd'hui, il existe de nouvelles propositions pour gérer l'économie qui, d'une façon surprenante, ressemblent aux idées de Clifford Hugh Douglas. Depuis le début des années 1950, Robert M. Solow (prix Nobel en 1987) dit que ce n'est pas le crédit financier, mais la technologie, qui est vital pour le progrès économique d'un pays.
Un autre prix Nobel, Wasilly Leontief, a écrit :
« Adam et Eve ont bénéficié, avant d'être expulsés du paradis terrestre, d'un très haut niveau de vie sans travailler. Après leur expulsion, eux et leurs descendants furent condamnés à mener une existence misérable, travaillant du matin jusqu'au soir. L'histoire du progrès technologique des deux cents dernières années est essentiellement l'histoire de l'espèce humaine qui retrouve petit à petit le chemin vers le paradis terrestre. Qu'arriverait- il, cependant, si on s'y retrouverait soudainement ? Avec tous les biens et services fournis sans travail, personne ne serait employé avec salaire. N'être pas employé signifie ne pas recevoir de salaire. En conséquence, jusqu'à ce que de nouvelles politiques de revenu soient formulées pour correspondre aux nouvelles conditions technologiques, tout le monde crèverait de faim dans le Paradis. »
Alors, si nous souhaitons nous approcher du paradis technologique, toute l'économie doit être repensée pour trouver une solution pour l'humanité et pour le monde.
Certaines personnes pensent que l'idée de la distribution d'un dividende est immorale, et que cela conduira à la paresse et à la démoralisation. Ce n'est pas vrai. Leontieff dit que, actuellement, nous sommes au niveau du développement technologique où la production est bloquée en raison de l'impossibilité d'acheter tous les produits avec nos salaires, et nous sommes alors forcés d'acheter de plus en plus de produits à crédit, par des emprunts sur de futurs salaires. Nous devenons les esclaves d'un travail à venir, pour pouvoir payer nos dettes actuelles.
W.M. : Pourrions-nous nous arrêter un moment sur ce sujet de la « démoralisation de la société par des dividendes » ? Pourquoi cette allégation n'est-elle pas vraie ?
S.G. : Les gens qui ne connaissent pas, ou qui ne comprennent pas la doctrine du Crédit Social, et qui entendent parler du dividende comme étant de l'argent donné « pour rien » aux citoyens, confondent souvent l'idée créditiste avec le socialisme discrédité, ou même le communisme.
Commençons par cette question : les gens devraient-ils recevoir un dividende, oui ou non ? En raison de tout ce qui a été dit précédemment, tout le monde devrait recevoir un dividende, parce que ce dividende n'est rien d'autre que le droit d'utiliser l'augmentation du capital réel. C'est seulement grâce au capital social (héritage des inventions et richesses naturelles) que cette augmentation a eu lieu, alors il n'y a pas d'autre façon de bénéficier de cette augmentation que de donner un dividende aux gens, en tant qu'actionnaires de la richesse de la société. C'est de la pure justice sociale.
On pourrait arrêter ici l'analyse du problème. Se demander si recevoir quelque chose sans travailler comporte quelconque aspect de démoralisation est hors de question. Selon les principes éthiques et moraux, si quelqu'un a le droit de recevoir quelque chose, personne n'a le droit de décider ce que cette personne fera avec cette chose. Qu'une personne utilise son dividende pour le bien ou pour le mal ne regarde qu'elle.
« Travail » et « loisir »
W.M. Il faut remarquer que le dividende n'élimine pas du tout la récompense pour le travail. Prenons l'exemple de deux hommes. L'un est employé, l'autre pas. Un recevra seulement le dividende, et l'autre recevra le dividende et en plus son salaire, comme récompense de son travail. Celui qui est employé aura donc plus de pouvoir d'achat que celui qui ne l'est pas.
S.G. : J'aimerais attirer votre attention sur un terme très important : « travail ». Que signifie ce mot ? Il peut être compris de deux manières différentes. Premièrement, il peut signifier quelque chose que les gens font en retour d'un salaire, et deuxièmement, il peut signifier quelque chose que les gens font sans être payés. La première forme de travail est-elle meilleure que la deuxième ? Disons que le travail pour lequel nous sommes payés est appelé « emploi », et que le travail non payé est appelé « loisir » ou « passe-temps ». Maintenant, tout est clair : si le dividende élimine vraiment la nécessité de l'emploi, alors je peux quitter mon emploi rémunéré, mener une vie modeste, et consacrer mes temps libres à mes enfants, par exemple. Certaines personnes vont passer tout leur temps à des activités sociales positives, et personne ne dira que ce n'est pas du travail. Peut-être que ce genre de travail est plus important que l'emploi rémunéré, surtout lorsque cet emploi signifie la participation à la production de choses de piètre qualité ou même complètement nuisibles et mauvaises...
Imaginons un individu qui a certains talents et habiletés, mais ne peut trouver d'emploi où il pourrait les utiliser. S'il n'existait pas la nécessité d'être employé à salaire pour gagner sa vie, cette personne pourrait se servir de ses talents, et même les développer. Je suis certain qu'il n'y a aucun danger de démoralisation avec le dividende. Certaines personnes le gaspilleront, mais ils ne représentent qu'une fraction de la société. Il y a toujours eu, et il y aura toujours aussi, de telles sortes de gens, on ne peut rien changer à cela. Mais je pense qu'il n'est pas correct de baser les règles et principes devant régir la société sur une petite minorité sociale marginale. Ces principes doivent être construits sur la base d'une société saine. Des personnes sensées et en santé ne restent jamais inactives très longtemps, elles trouvent quelque chose à faire pour s'occuper. Je ne crois donc pas qu'il existe un danger de déstabilisation et de dégradation pour la société avec le dividende.
W.M. : Si on compare le dividende du Crédit Social au bien-être social, l'argent que les assistés sociaux reçoivent provient des taxes, mais le dividende proviendrait de l'argent nouveau, basé sur un héritage commun à tous les citoyens : le progrès technologique et les richesses naturelles. Chaque citoyen devrait recevoir son dividende sans conditions, et toute personne qui ne peut se trouver un emploi dans le domaine où elle a des aptitudes, pourrait mener une vie modeste, mais faire des choses qu'elle aime faire. Ainsi, elle aurait plus de chance de développer ses talents, au lieu de travailler comme un robot et détester le travail qu'elle doit accomplir pour gagner sa vie.
S.G. : Voilà ! Vous venez de toucher une question délicate, et aussi très importante. Il existe une certaine résistance psychologique au dividende social, parce que certaines personnes ne comprennent pas la différence entre le bien-être social et le dividende.
Ceux qui sont contre le dividende pensent que tout comme le bien-être social, il sera financé par les taxes, et que ceux qui recevront un dividende vivront donc aux dépens des contribuables, de ceux qui payent des taxes. Mais si le nouvel argent mis en circulation était créé sans intérêt par la société elle-même, les taxes disparaîtraient, ou tout au moins, la plus grande partie. Le bien-être social n'existerait plus en tant que « charité » ou « aumône » envers les plus démunis de la société qui recevraient leur dividende, et ce ne serait plus un fardeau pour les contribuables.
Chaque membre de la société aurait droit inconditionnellement au dividende, en tant que participant au progrès technologique et aux richesses naturelles du pays. Les besoins fondamentaux de chaque individu seraient ainsi satisfaits, et il pourrait se cultiver en tant qu'être humain. Ainsi, nous pouvons maintenant voir le dividende sous une perspective complètement différente.
L'idée créditiste est en accord avec la doctrine sociale de l'Église catholique, qui dit que les biens de la terre ont été donnés à tous les peuples du monde, pour l'usage de tous. Il n'y a aucune raison de craindre que le dividende, une fois distribué, tombe entre les mains des fonctionnaires ou bureaucrates, parce que ce dividende serait calculé selon les statistiques. Ce ne serait pas une aumône, mais le résultat de l'économie du pays. De plus, le montant du dividende dépendrait de la performance de l'économie, alors ce facteur à lui seul mobiliserait tout le monde à faire un travail encore plus efficace.
Le principe du dividende ne peut être bien compris qu'en relation avec le crédit national créé sans intérêt. Selon ma recherche, la doctrine du Crédit Social n'a de sens que lorsque les trois facteurs (« piliers ») sont appliqués.
W.M. : J'aimerais vous demander vos impressions sur un événement auquel nous avons tous deux pris part, soit le congrès annuel de l'Institut Louis Even pour la justice sociale, à Rougemont.
S.G. : Je suis encore sous l'effet de ce congrès de trois jours. Ce fut fantastique ! Je suis heureux d'avoir pu rencontrer des gens aussi merveilleux qui comprennent clairement les problèmes financiers actuels du monde, et qui enseignent le peuple, et lui fait comprendre ce qui se passe avec l'économie. Ces gens ont pratiquement vérifié tous les aspects de la doctrine du Crédit Social, et ont décidé de l'appuyer comme solution pour tous les pays du monde.
Ils sont très religieux, et je n'ai remarqué aucun signe de fanatisme. Ce genre de religiosité est très profond mais, en même temps, très pratique. Lorsque parfois je vois des individus qui affichent leurs croyances religieuses dans une sorte de comportement sentimental, pathétique et exagéré, je me méfie immédiatement, à cause du danger de fanatisme. Mais un tel danger n'existe pas avec les Pèlerins de saint Michel.
Personnellement, si je dois me donner corps et âme à une chose ou à une idée, il faut que je sois totalement convaincu que tout y est correct, et qu'il ne s'y trouve rien de mauvais. Mon esprit doit analyser le pour et le contre avant de m'impliquer dans une action quelconque. Ces gens présents au congrès ont gagné ma confiance et mon appui. Ils sont ouverts aux autres, aimables, sympathiques et joyeux. Ils forment comme une grande famille. Et parmi eux, j'ai réellement senti que j'appartenais à cette famille.
W.M. : En parlant de familles, les créditistes, ou plutôt, les Pèlerins de saint Michel, viennent par familles entières à leur magnifique centre de Rougemont. Tous portent le béret blanc. Ne pensez-vous pas que quelqu'un observant le tout de l'extérieur peut avoir l'impression qu'il s'agit de rencontres et cérémonies d'une secte religieuse ?
S.G. : Je serais porté à admettre qu'on peut avoir cette impression, vu de l'extérieur. En Pologne, nous avons la famille de Radio Maria. Les membres ont leurs propres symboles, et plusieurs personnes en dehors de ce groupe disent que c'est un genre de secte religieuse. Une secte peut être définie habituellement comme étant un petit groupe de personnes qui se séparent d'une grande doctrine. Je dois dire que tel n'est pas le cas avec la famille de Radio Maria et les Pèlerins de saint Michel. Ces gens vivent selon l'Évangile et les principes de l'Église catholique, et ils souhaitent que tout individu se disant chrétien et catholique les imite.
W.M. : Les Pèlerins de saint Michel ont toujours mis l'accent sur le fait que la philosophie du Crédit Social est en accord avec la science sociale catholique, avec la doctrine de l'Église catholique romaine, et avec le Pape. En passant, il y a une chapelle à leur centre de Rougemont où des prêtres catholiques célèbrent la Sainte Messe.
S.G. : Pour ces gens, les principes du christianisme passent avant tout. Le plus grand de ces principes est l'amour, la véritable fondation de tout le christianisme. Par amour du prochain, la famille de Radio Maria et les Pèlerins de saint Michel sont comme des chevaliers chrétiens qui ne concentrent pas leur combat sur des individus, mais sur la racine du mal. Leur but est de défendre la société d'un mauvais système économique, et ils attaquent les structures de péché, que le Pape Jean-Paul II a reliées avec les systèmes financiers actuels et les dettes internationales des pays de la planète.
La famille de Radio Maria et les Pèlerins de saint Michel sont deux armées puissantes qui combattent pour l'humanité contre le mal. Radio Maria défend la Pologne et la société polonaise, tandis que les Pèlerins de saint Michel défendent le monde entier ! Je les appuie, et je veux coopérer et travailler avec eux.
Les Pèlerins de saint Michel sont des chevaliers contemporains qui combattent seulement avec la parole et l'amour de Dieu et du prochain. Ils combattent par l'éducation, qui est représentée par un livre ouvert sur leurs bérets et drapeaux. L'éducation du peuple est la meilleure arme entre leurs mains. Radio Maria combat par les ondes radiophoniques, un journal quotidien, des livres, et l'Institut d'Éducation National, dont j'ai l'honneur d'être un conférencier. Par tous ces moyens, nous devons combattre, et nous ne devons pas capituler ! Nous combattons pour notre prochain, pour toute l'humanité, et pour le bien commun dans notre propre pays.
W.M. : Je vous remercie beaucoup.