Il y a beaucoup de bonnes choses au pays, mais le droit à ces choses, la permission de les obtenir, manque à bien des personnes et des familles qui en ont besoin. Manque-t-il autre chose que l'argent? Qu'est-ce qui manque, à part du pouvoir d'achat faire les produits passer des magasins aux maisons?
Mais où commence l'argent, l'argent qui nous manque pour avoir les biens qui ne manquent pas?
La première idée qu'on entretient, sans trop s'en rendre compte, c'est qu'il y a une quantité stable d'argent, et qu'on ne peut pas changer ça: comme si c'était le soleil ou la pluie, ou la température. Idée fausse: s'il y a de l'argent, c'est qu'il est fait quelque part. S'il n'y en a pas plus, c'est que ceux qui le font n'en font pas plus.
Deuxième idée: quand on se pose la question, on pense que c'est le gouvernement qui fait l'argent. C'est encore faux. Le gouvernement aujourd'hui ne fait pas d'argent et se plaint continuellement de n'en avoir pas. S'il en faisait, il ne se croiserait pas les bras dix ans en face du manque d'argent. (Et on n’aurait pas une dette nationale de plus de 500 milliards $ au Canada.) Le gouvernement taxe et emprunte, mais ne fait pas l'argent.
Notre niveau de vie, dans un pays où l'argent manque, est réglé non pas par les choses, mais par l'argent dont on dispose pour acheter les choses. Ceux qui règlent le niveau de l'argent règlent donc notre niveau de vie. «Ceux qui contrôlent l'argent et le crédit sont devenus les maîtres de nos vies... sans leur permission nul ne peut plus respirer.» (Pie XI, encyclique Quadragesimo anno.)
L’argent, c'est tout ce qui sert à payer, à acheter; ce qui est accepté par tout le monde dans un pays en échange de choses ou de services.
La matière dont l'argent est fait n'a pas d'importance. L'argent a déjà été des coquillages, du cuir, du bois, du fer, de l'argent blanc, de l'or, du cuivre, du papier, etc.
Actuellement, on a deux sortes d'argent au Canada: de l'argent de poche, fait en métal et en papier; de l'argent de livre, fait en chiffres. L'argent de poche est le moins important; l'argent de livre est le plus important.
L'argent de livre, c'est le compte de banque. Toutes les affaires marchent par des comptes de banque. L'argent de poche circule ou s'arrête selon la marche des affaires. Mais les affaires ne dépendent pas de l'argent de poche; elles sont activées par les comptes de banque des hommes d'affaires.
Avec un compte de banque, on paie et on achète sans se servir d'argent de métal ou de papier. On achète avec des chiffres.
J'ai un compte de banque de 40 000 $. J'achète une auto de 10 000 $. Je paie par un chèque. Le marchand endosse et dépose le chèque à sa banque.
Le banquier touche deux comptes: d'abord celui du marchand, qu'il augmente de 10 000 $; puis le mien, qu'il diminue de 10 000 $. Le marchand avait 500 000 $; il a maintenant 510 000 $ écrit dans son compte de banque. Moi, j'avais 40 000 $, il y a maintenant 30 000 $ écrit dans mon compte de banque.
L'argent de papier n'a pas bougé pour cela dans le pays. J'ai passé des chiffres au marchand. J'ai payé avec des chiffres. Plus des neuf dixièmes des affaires se règlent comme cela. C'est l'argent de chiffres qui est l'argent moderne; c'est le plus abondant, dix fois autant que l'autre; le plus noble, celui qui donne des ailes à l'autre; le plus sûr, celui que personne ne peut voler..
L'argent de chiffres, comme l'autre, a un commencement. Puisque l'argent de chiffres est un compte de banque, il commence lorsqu'un compte de banque commence sans que l'argent diminue nulle part, ni dans un autre compte de banque ni dans aucune poche.
On fait, ou on grossit, un compte de banque de deux manières: l'épargne et l'emprunt. II y a d'autres sous-manières, elles peuvent se classer sous l'emprunt.
Le compte d'épargne est une transformation d'argent. Je porte de l'argent de poche au banquier; il augmente mon compte d'autant. Je n'ai plus l'argent de poche, j'ai de l'argent de chiffres à ma disposition. Je puis ré-obtenir de l'argent de poche, mais en diminuant mon argent de chiffres d'autant. Simple transformation.
Mais nous cherchons ici à savoir où commence l'argent. Le compte d'épargne, simple transformation, ne nous intéresse donc pas pour le moment.
Le compte d'emprunt est le compte avancé par le banquier à un emprunteur. Je veux établir une manufacture nouvelle. Il ne me manque que de l'argent. Je vais à une banque et j'emprunte 100 000 $ sur garantie. Le banquier me fait signer les garanties, la promesse de rembourser avec intérêt. Puis il me prête 100 000 $.
Va-t-il me passer 100 000 $ en papier? Je ne veux pas. Trop dangereux d'abord. Puis je suis un homme d'affaires qui achète en bien des places différentes et éloignées, au moyen de chèques. C'est un compte de banque de 100 000 $ que je veux et qui fera mieux mon affaire.
Le banquier va donc m'avancer un compte de 100 000 $. Il va placer dans mon compte 100 000 $, comme si je les avais apportés à la banque. Mais je ne les ai pas apportés, je suis venu les chercher.
Est-ce un compte d'épargne, fait par moi? Non, c'est un compte d'emprunt bâti par le banquier lui-même, pour moi.
Ce compte de 100 000 $ n'est pas fait par moi, mais par le banquier. Comment l'a-t-il fait? L'argent de la banque a-t-il diminué lorsque le banquier m'a prêté 100 000 $? Questionnons le banquier:
— Monsieur le banquier, avez-vous moins d'argent dans votre tiroir après m'avoir prêté 100 000 $?
— Mon tiroir n'est pas touché.
— Les comptes des autres ont-ils diminué?
— Ils sont exactement les mêmes.
— Qu'est-ce qui a diminué dans la banque?
— Rien n'a diminué.
— Pourtant mon compte de banque a augmenté. D'où vient cet argent que vous me prêtez?
— Il vient de nulle part.
— Où était-il quand je suis entré à la banque?
— Il n'existait pas.
— Et maintenant qu'il est dans mon compte, il existe. Alors, il vient de venir au monde?
— Certainement.
— Qui l'a mis au monde, et comment?
— C'est moi, avec ma plume et une goutte d'encre, lorsque j'ai écrit 100 000 $ à votre crédit, à votre demande.
— Alors, vous faites l'argent?
— La banque fait l'argent de chiffres, l'argent moderne, qui fait marcher l'autre en faisant marcher les affaires.
Le banquier fabrique l'argent, l'argent de chiffres, lorsqu'il prête des comptes aux emprunteurs, particuliers ou gouvernements. Lorsque je sors de la banque, il y a dans le pays une nouvelle base à chèques qui n'y était pas auparavant. Le total des comptes de banque du pays y est augmenté de 100 000 $. Avec cet argent nouveau, je paie des ouvriers, du matériel, des machines, j'érige ma manufacture. Qui donc fait l'argent nouveau? – Le banquier.
Le banquier, et le banquier seul, fait cette sorte d'argent: l'argent d'écriture, l'argent dont dépend la marche des affaires. Mais il ne donne pas l'argent qu'il fait. Il le prête. Il le prête pour un certain temps, après quoi il faut le lui rapporter. Il faut rembourser.
Le banquier réclame de l'intérêt sur cet argent qu'il fait. Dans mon cas, il est probable qu'il va me demander immédiatement 10 000 $ d'intérêt. Il va les retenir sur le prêt, et je sortirai de la banque avec un compte net de 90 000 $, ayant signé la promesse de rapporter 100 000 $ dans un an.
En construisant mon usine, je vais payer des hommes et des choses, et vider sur le pays mon compte de banque de 90 000 $.
Mais d'ici un an, il faut que je fasse des profits, que je vende plue cher que je paie, de façon à pouvoir, avec mes ventes, me bâtir un autre compte de banque d'au moins 100 000 $.
Au bout de l'année, je vais rembourser, en tirant un chèque sur mon compte accumulé de 100 000 $. Le banquier va me débiter de 100 000 $, donc m'enlever ce 100 000 $ que j'ai retiré du pays, et il ne le mettra au compte de personne. Personne ne pourra plus tirer de chèque sur ce 100 000 $. C'est de l'argent mort.
L'emprunt fait naître l'argent. Le remboursement fait mourir l'argent. Le banquier met l'argent au monde lorsqu'il prête. Le banquier met l'argent dans le cercueil lorsqu'on lui rembourse. Le banquier est donc aussi un destructeur d'argent.
Et le système est tel que le remboursement doit dépasser l'emprunt; le chiffre des décès doit dépasser le chiffre des naissances; la destruction doit dépasser la fabrication.
Cela paraît impossible, et c'est collectivement impossible. Si je réussis, un autre fait banqueroute; parce que, tous ensemble, nous ne sommes pas capables de rapporter plus d'argent qu'il en a été fait. Le banquier fait le capital, rien que le capital. Personne ne fait l'intérêt, puisque personne autre ne fait l'argent. Mais le banquier demande quand même capital et intérêt. Un tel système ne peut tenir que moyennant un flot continuel et croissant d'emprunts. D'où un régime de dettes et la consolidation du pouvoir dominateur de la banque.
Le gouvernement ne fait pas d'argent. Lorsqu'il ne peut plus taxer ni emprunter des particuliers, par rareté d'argent, il emprunte des banques. L'opération se passe exactement comme avec moi. La garantie, c'est tout le pays. La promesse de rembourser, c'est la débenture. Le prêt d'argent, c'est un compte fait par une plume et de l'encre.
Et la population du pays se trouve collectivement endettée pour de la production que, collectivement, elle a faite elle-même! C'est le cas pour la production de guerre. C'est le cas aussi pour la production de paix: routes, ponts, aqueducs, écoles, églises, etc.
La situation se résume à cette chose inconcevable. Tout l'argent qui est en circulation n'y est venu que par la banque. Même l'argent de métal ou de papier ne vient en circulation que s'il est libéré par la banque.
Or la banque ne met l'argent en circulation qu'en le prêtant et en le grevant d'un intérêt. Ce qui veut dire que tout l'argent en circulation est venu de la banque et doit retourner à la banque quelque jour, mais y retourner grossi d'un intérêt.
La banque reste propriétaire de l'argent. Nous n'en sommes que les locataires. S'il yen a qui gardent l'argent plus longtemps, ou même toujours, d'autres sont nécessairement incapables de remplir leurs engagements de remboursements.
Multiplicité des banqueroutes de particuliers et de compagnies, hypothèques sur hypothèques, et croissance continuelle des dettes publiques, sont le fruit naturel d'un tel système.
Cette manière de faire l'argent du pays, en endettant gouvernements et particuliers, établit une véritable dictature sur les gouvernements comme sur les particuliers.
Le gouvernement souverain est devenu un signataire de dettes envers un petit groupe de profiteurs. Le ministre, qui représente des millions d'hommes, de femmes et d'enfants, signe des dettes impayables. Le banquier, qui représente une clique intéressée à profiter et à dominer, manufacture l'argent du pays.
C'est un aspect frappant de la déchéance du pouvoir dont parle le Pape Pie XI: les gouvernements sont déchus de leurs nobles fonctions et sont devenus les valets des intérêts privés.
Quant aux individus, l'argent rare développe chez eux la mentalité de loups. En face de l'abondance, c'est à qui obtiendra le signe trop rare qui donne droit à l'abondance. D'où concurrence, dictatures patronales, chicanes domestiques, etc. Un petit nombre mange les autres; le grand nombre gémit, plusieurs dans une abjection déshonorante.
C'est saint Louis, roi de France, qui disait: Le premier devoir d'un roi est de frapper l'argent lorsqu'il en manque pour la bonne vie économique de ses sujets.
L'argent de chiffres est une bonne invention moderne, qu'il faut garder. Mais au lieu d'avoir leur origine sous une plume privée, à l'état de dette, les chiffres qui servent d'argent doivent naître sous la plume d'un organisme monétaire national, à l'état d'argent serviteur.
On doit cesser de souffrir de privations lorsqu'il y a tout ce qu'il faut dans le pays pour placer l'aisance dans chaque foyer. L'argent doit venir d'après la capacité de produire du pays et d'après les désirs des consommateurs vis-à-vis de biens utiles possibles.
C'est donc l'ensemble des producteurs et l'ensemble des consommateurs, toute la société, qui, en produisant les biens en face des besoins, détermine la quantité d'argent nouveau qu'un organisme agissant au nom de la société doit ajouter de temps en temps, à mesure des développements du pays. Le peuple retrouverait ainsi son droit de vivre, sa pleine vie humaine, en rapport avec les ressources du pays et les grandes possibilités modernes de production.
L'argent doit donc être mis au monde à mesure que le rythme de la production et les besoins de la distribution l'exigent.
Mais à qui appartient cet argent neuf en venant au monde? — Cet argent appartient aux citoyens eux-mêmes. Pas au gouvernement, qui n'est pas le propriétaire du pays, mais seulement le gardien du bien commun. Pas non plus aux comptables de l'organisme monétaire national: comme les juges, ils remplissent une fonction sociale et sont payés statutairement par la société pour leurs services.
À quels citoyens? — À tous. Ce n'est pas un salaire. C'est une injection d'argent nouveau dans le public, pour permettre au public consommateur de se procurer des produits faits ou facilement réalisables, qui n'attendent qu'un pouvoir d'achat suffisant pour les mettre en mouvement.
Il n'y a pas d'autre moyen, en toute justice, de mettre cet argent nouveau en circulation qu'en le distribuant également entre tous les citoyens sans exception. C'est en même temps le meilleur moyen de rendre l'argent effectif, puisque cette distribution le répartit dans tout le pays.
Chaque fois qu'il faut augmenter l'argent du pays, chaque homme, femme, enfant, vieillard, bébé, aurait ainsi sa part de la nouvelle étape de progrès qui rend de l'argent neuf nécessaire.
Ce n'est pas un salaire pour du travail accompli, c'est un dividende à chacun, pour sa part d'un capital commun. S'il y a des propriétés privées, il y a aussi des biens communs, que tous possèdent au même titre.
Quel serait, d'après nous, l'effet de cette réforme financière du Crédit Social? D'une façon générale, d'abord, ce serait le rétablissement de l'ordre dans le secteur de l'argent, par là dans l'économique, avec échos dans la politique et le social.
Les biens seraient faits pour servir les besoins. L'argent cesserait d'être la fin déterminante de l'industrie. (Et on n'aurait plus besoin de créer des besoins artificiels pour vendre des produits inutiles, réduisant ainsi le gaspillage des ressources et la pollution.)
Le moyen d'obtenir cette réforme du Crédit Social est évidemment la formation d'une opinion publique éclairée assez forte pour le réclamer effectivement. Il ne s'agit donc pas d'une campagne électorale, mais d'une campagne d'éducation.
Cette diffusion de l'étude parmi les masses réclame le dévouement de nombreux apôtres, qui n'ont pas peur de l'abnégation et du sacrifice. Et c'est encore dans l'ordre. Le désordre actuel est le résultat d'égoïsmes de toutes sortes, de l'atrophie du sens social. Il faut que tout cela soit expié et corrigé. Comme le Pape Jean-Paul II l'écrivait dans son encyclique Solicitudo rei socialis (n. 38): «Ces attitudes et ces ‘structures de péché’ (la soif de l'argent et du pouvoir) ne peuvent être vaincues — bien entendu avec l'aide de la grâce divine — que par une attitude diamétralement opposée: se dépenser pour le bien du prochain.»
Aussi, la seule formule pour l'avancement du Crédit Social est celle qui développe l'étude et le dévouement. C'est la méthode préconisée par les Pèlerins de saint Michel du journal Vers Demain. Venez à nos assemblées, commandez des circulaires, prenez de l'abonnement au journal Vers Demain!