Le mouvement des Pèlerins de saint Michel, formé autour du journal Vers Demain, cherche à promouvoir un ordre économique et social plus conforme aux besoins humains et aux possibilités physiques de les satisfaire.
Vers Demain préconise dans ce but l’application des principes financiers formulés par l’ingénieur-économiste-philosophe C. H. Douglas, et connus sous le vocable de Crédit Social.
Mais ce serait rapetisser la portée de l’enseignement de Douglas que d’y voir simplement une réforme du système financier. Si essentielle que soit cette réforme, elle n’est qu’un moyen en vue d’une fin. Et cette fin, c’est la libération de l’individu, avec sa sécurité économique, garantie par la reconnaissance de son titre à une part de l’enrichissement non gagné résultant de la vie en société (the unearned increment of association).
La personne a été créée être libre et être social. En tant qu’être libre, la personne doit pouvoir exercer sa liberté de choix dans l’organisation de sa vie et dans la poursuite de sa destinée, assumant elle-même la responsabilité des suites de son choix. Qui dit «personne» dit libre arbitre et responsabilité. L’exercice de la liberté de choix de l’individu a comme limite normale le respect de la même liberté chez les autres.
En tant qu’être social, la personne doit contribuer au bien commun selon ses capacités et selon la place qu’elle occupe dans la société. Elle doit aussi pouvoir bénéficier personnellement, pour son enrichissement et son épanouissement, des avantages de la vie en association.
Le Crédit Social refuse l’assujettissement de la personne à la dictature financière, mal qui prévaut actuellement dans tous les pays civilisés, même ceux qui se disent chrétiens et respectueux des droits de l’homme.
Le Crédit Social refuse également l’asservissement de la personne à l’État, comme c›est le cas dans les pays totalitaires, et vers lequel on va graduellement dans nos propres pays sous prétexte de secourir les individus aux prises avec des problèmes financiers qui les dépassent. La solution respectueuse de la personne serait de supprimer les causes basiques de ces problèmes financiers et de laisser la personne à ses propres responsabilités.
La personne ne doit être la chose ni de la finance, ni de l’État, ni d’aucune institution, ni d’aucun groupe. Au contraire, finance, État, institutions et groupes de toutes sortes n’ont de droit légitime à l’existence qu’en autant ils sont au service de la personne.
En économie comme en politique, le Crédit Social donne la primauté à la personne. Et la personne, c’est chaque être humain, quels que soient son âge, son état de fortune ou son rang dans la société.
En cela, la philosophie sous-jacente au Crédit Social est en parfaite conformité avec la philosophie chrétienne. Le Pape Pie XI a écrit dans Divini Redemptoris :
«La personne humaine doit être placée au premier rang des réalités terrestres.»
Pareillement, Pie XII écrivait dans une lettre au président des Semaines Sociales de France, en 1946:
«En dernière analyse, c’est à la libération de la personne humaine que tout doit tendre et converger. C’est elle que Dieu a placée au faîte de l’univers visible, la faisant, en économie comme en politique, la mesure de toute chose.»
Tout doit converger vers la libération de la personne, vers la suppression des obstacles qui s’opposent à son plein épanouissement. En économie comme en politique, la personne doit être la mesure de tout: des régimes, des systèmes (le financier comme les autres), des administrations, des associations, des industries, des entreprises, des commerces, des modes de production, des modes de distribution, des groupements politiques, des syndicats ouvriers ou patronaux, de tout, de tout.
Et il ne suffit pas de supprimer les entraves économico-sociales à la libération de la personne: il faut aussi mettre à sa disposition l’enrichissement provenant de la société: enrichissement matériel, culturel, et spirituel.
Dans l’ordre spirituel, l’Église le fait magnifiquement, ouvrant son vaste trésor spirituel à toutes les personnes, dispensant des gratuités de valeur infinie et invitant chaque personne à y puiser sans limites.
À cet exemple, la société civile doit, elle aussi, mettre au service de tous ses membres l’immense productivité moderne, fruit surtout de la vie en association, de progrès qui n’auraient été ni réalisés, ni accrus, ni transmis d’une génération à l’autre, si les personnes avaient vécu isolément. Il y a là un enrichissement dépassant les efforts individuels, un enrichissement d’association, dont doivent bénéficier tous les membres de l’association, tous les individus, quelle que puisse être leur situation dans l’organisme économique ou leur statut par rapport au système producteur.
Le Crédit Social croit réaliser d’une manière concrète, dans l’ordre temporel, cette libération et cet enrichissement de la personne, par le mode qu’il préconise pour la répartition de la production moderne. Tout en continuant de récompenser, par le salaire, les efforts personnels de ceux que la production emploie, le Crédit Social demande la distribution à tous, employés ou non, d’un dividende périodique reconnaissant leur droit aux fruits du progrès, aux fruits de la vie en association. Un droit de co-sociétaires, un droit de cohéritiers.
D’ailleurs, dans toute production, il y a la part non gagnée par personne, la part qui est un don gratuit de Dieu: ressources naturelles, matières premières, forces de la nature, etc. Tous doivent, de quelque manière, pouvoir bénéficier de ces gratuités. C’est aux sociétés civiles que revient le devoir d’établir la manière, par un ajustement approprié dans l’organisme économique:
Une lumière sur mon chemin. |
«Les biens de la terre ont été créés pour tous les hommes et doivent être à la disposition de tous. Tout homme, en tant qu’être doué de raison, tient en fait de la nature le droit fondamental d’user des biens de la terre, quoi qu’il soit laissé à la volonté humaine et aux formes juridiques des peuples de régler plus en détail la réalisation pratique de ce droit.» — Le Pape Pie XII.
Le mode créditiste de distribution en tient compte. Dividendes à tous, plus salaires ou profits aux producteurs, constitueraient globalement le pouvoir d’achat sur les produits et services offerts. À mesure que le progrès diminue la part de labeur humain requis dans la production, le dividende devrait prendre une plus grande part du pouvoir d’achat total.
Évidemment, la personne n’a pas que des droits. Elle a aussi des devoirs. Dans l’ordre économique, il faut que soit entretenu le marché communautaire, le flot des produits et des services. Les individus valides doivent donc être prêts à fournir leur travail, dans la ligne de leur choix et de leur compétence, en autant qu’il est nécessaire pour alimenter la production. Cette bonne volonté ne fait pas défaut au Canada, puisque des centaines de mille bras offerts restent inemployés alors que le flot de produits ne tarit pas.
Le dividende à chaque individu devrait être suffisant pour leur procurer au moins le nécessaire, dans un pays où la production est telle que le problème est de l’écouler, bien plus que de la fournir.
C’est d’ailleurs seulement quand le nécessaire est satisfait que la personne peut véritablement exercer sa liberté de choix. Devant l’utile, elle peut opter entre accomplir les conditions pour l’obtenir, ou s’en passer. Mais tant qu’elle manque du nécessaire, elle se trouve obligée de se plier aux conditions qu’on lui impose pour l’avoir, même si ces conditions ne respectent ni la libre initiative, ni sa responsabilité quant à la valeur humaine ou morale de la production à laquelle on l’emploie.
Le premier fruit du progrès moderne devrait être de libérer la personne des soucis purement matériels. S’il ne le fait pas, c’est parce que le mode financier de répartition et de distribution ne tient pas compte, dans ses normes, de la liberté de la personne et de ses droits économiques fondamentaux.
À cause de cette déficience, le recours à l’étatisme d’une part, la concentration de la richesse et le gigantisme des installations productrices d’autre part, contribuent à diminuer et étouffer la personne plutôt qu’à favoriser son épanouissement.
Dans une lettre que le Pape Jean XXIII faisait écrire par son secrétaire, le Cardinal Tardini, à la Semaine Sociale de France tenue à Grenoble, il remarquait justement :
«L’homme moderne voit se restreindre à l’excès, en bien des cas, la sphère dans laquelle il faut penser par lui-même, agir de sa propre initiative, exercer ses responsabilités, et enrichir sa personnalité.»
C’est dire qu’il reste beaucoup à faire pour que, en économie et en politique, la personne soit effectivement placée au faîte de l’univers visible et devienne véritablement la mesure de toute chose. L’application du Crédit Social contribuerait pour beaucoup à combler cette lacune, non seulement par le dividende périodique à chaque citoyen, mais aussi par la finance automatique de toute production physiquement possible et répondant aux besoins, publics ou privés, de la population.
Ajoutons que le mouvement créditiste guidé par Vers Demain contribue pour sa part, même sous les conditions défavorables du régime financier et économique actuel, à l’épanouissement de la personne, au moins chez ses membres, par l’exercice de l’esprit d’initiative, de la responsabilité personnelle et du sens social dans leur œuvre d’apostolat pour l’avènement d’un morde meilleur.