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Pour financer ou pour priver ?

Louis Even le jeudi, 01 octobre 1942. Dans Taxes

Les taxes

Par définition, les impôts, plus communément désignés en ce pays-ci par le mot taxes, sont des sommes perçues sur les individus pour assurer les services publics.

La taxe peut être perçue sur le revenu personnel (impôt sur le revenu), sur les profits des compagnies, sur des actes d'achat ou de vente, sur les transports, sur des actes de transferts de propriété, sur des successions, etc.

Mais la taxe, directe ou indirecte, affecte, en le diminuant, le pouvoir d'achat de la personne taxée. L'argent prélevé par l'État, par la province, par la corporation, ne peut plus être employé par l'individu.

But de la taxe

Le but proclamé de la taxe est de financer les services publics.

Une personne travaille pour la collectivité, par exemple à faire un chemin. Cette personne doit vivre. Elle doit pouvoir tirer sur la production du pays. C'est pourquoi le gouvernement ôte de l'argent aux autres, afin que la personne qui travaille pour la collectivité puisse, avec cet argent, acheter de quoi vivre.

Cela paraît logique. Ce serait logique, si la production totale était tellement limitée, qu'il faille absolument prélever un peu de la part de tous pour faire la part de la personne qui donne son temps au service de tous.

Mais, si la production est tellement abondante, que l'État pourrait simplement conférer à la personne en question le droit de tirer sur la production du pays, sans pour cela priver les autres, pourquoi recourir à la taxe ?

Tant qu'il y a des produits qui se perdent, il paraît assez difficile d'expliquer pourquoi il faut enlever à des citoyens une part de leurs droits à la production pour passer ces droits à d'autres.

Cet état de chose est déjà arrivé. De la production perdue, de la production pas faite faute de pouvoir d'achat, on a connu cela de longues années ; et pendant ces longues années, le gouvernement continuait son régime de taxes conforme à une époque de rareté.

—"Je t'en ôte pour que l'autre en ait un peu."

—"Mais il en reste en masse. Pourquoi m'en ôter ? Pourquoi ne pas simplement donner à l'autre le droit de prendre dans l'abondance qui attend, qui sollicite preneur ?"

Pourquoi ? Parce qu'on a un système financier de fous.

Il a fallu la guerre pour le faire reconnaître. En face de l'immense capacité de production inutilisée et du besoin pressant d'armes pour l'Angleterre, c'est Roosevelt lui-même qui a qualifié le système financier de système imbécile. Le "Financial nonsense", le non-sens financier doit être mis de côté, a-t-il dit.

Le non-sens financier, c'est la production basée sur l'argent, au lieu de l'argent basé sur la production.

Taxe pour priver

Aussi n'est-il plus question de taxes pour financer la guerre, mais de taxes pour vider la poche du consommateur. Le but principal des taxes n'est pas de fournir de l'argent au gouvernement, mais c'est de nous en enlever. Seuls les esprits bornés croient encore que, sans argent, le gouvernement ne peut poursuivre la guerre.

Le gouvernement cherche à enlever l'argent des consommateurs par des emprunts, par des ventes de certificats de guerre, par des taxes. Ce n'est pas, encore une fois, pour avoir de l'argent, il a d'autres moyens plus faciles et plus directs de s'en procurer. Mais il considère urgent d'enlever l'argent aux citoyens. Il enlève l'argent aux citoyens, afin que les citoyens ne puissent pas acheter autant : lorsque les citoyens sont obligés de diminuer leurs achats, l'industrie cesse de travailler autant pour les citoyens, et elle se tourne vers la production de guerre, parce que le gouvernement, lui, peut toujours acheter pour la guerre.

Coffre plein ou coffre vide, le gouvernement peut toujours acheter la production de guerre, parce qu'il est le gouvernement. Il ne l'a pas compris en temps de paix, il se disait lié par le manque d'argent. Mais en temps de guerre, il met de côté le non-sens financier.

Nous ne blâmons pas le gouvernement de nous taxer dans le seul but de nous priver ; nous constatons simplement qu'il le fait. Il nous taxe pour nous priver de consommation civile, afin de détourner la production civile vers la production de guerre. C'est un fait ; nous l'exposons, nous ne le jugeons pas.

Si quelques lecteurs doutent de nos assertions et aiment mieux croire les déclarations du ministre des finances ou de quelques banquiers ou revues financières de réputation, ils n'ont qu'à tourner à ces sources : ils trouveront exactement ce que nous venons de dire.

Quelques citations

Dans un article publié dans l'Ottawa Citizen du 15 août, M. Ralph Duclos aligne justement quelques citations qui corroborent notre point de vue.

L'Honorable J.-L. Ilsley, ministre des Finances du Canada (certainement pas créditiste), déclarait, après Roosevelt, qu'il est absurde de penser "que la limite de nos approvisionnements militaires doive être le montant d'argent que nous avons à dépenser, alors que la limite réelle réside dans la capacité de rendement des établissements industriels et dans le travail expérimenté disponible pour cette production."

Ce qui revient à dire : Argent ou pas argent, nous aurons les produits tant qu'il y aura du matériel et des hommes pour transformer le matériel.

Quant au but fondamental de la taxe — priver le consommateur — le même M. Ilsley le définissait ouvertement à la Chambre des Communes le 21 novembre 1940 :

"Le devoir de la finance (de guerre) n'est pas seulement de procurer les fonds affectés payer les services de guerre, mais, plus fondamentalement, c'est de restreindre, par des taxes et des emprunts, la demande civile sur les ressources économiques."

"Plus fondamentalement", dit le ministre des finances. "Plutôt" est l'expression employée par la plus grosse banque du Canada. C'est, en effet, dans la lettre mensuelle de la Royal Bank of Canada d'août 1941 qu'on relève la phrase suivante :

"Il est donc d'une importance vitale que les taxes et les emprunts soient considérés, non pas simplement comme des moyens pour lever des fonds, mais plutôt comme des mesures pour empêcher l'argent d'être employé, à des fins non essentielles."

M. P.-M. Richards, rédacteur financier, écrit dans le Saturday Night du 28 mars 1942 :

"La vérité crue, c'est que le gouvernement n'a pas lui-même besoin de notre argent, autant qu'il a besoin de nous en priver."

Le secrétaire financier du Trésor (Britannique) de la Chambre anglaise des Communes, le 8 avril 1941 :

"La chose à faire ressortir, ce n'est pas tant l'argent que vous allez obtenir, mais bien le fait que ce que vous recherchez, c'est la diminution de la consommation."

Citons enfin le professeur A. F. W. Plumtree dans le Financial Post du 5 octobre 1940 :

"Il faut se rappeler tout d'abord, si paradoxal cela puisse-t-il paraître, que le but du gouvernement n'est pas d'obtenir de l'argent, mais simplement de réduire les dépenses du public... Le gouvernement peut toujours "obtenir de l'argent", parce que, comme alternative aux emprunts et même aux taxes, il peut créer les fonds requis."

Aucune des autorités citées n'est de l'école créditiste. Mais toutes sont bien forcées d'admettre des choses que tout le monde est à même de constater aujourd'hui. La guerre a confirmé les révélations faites par les créditistes, tant d'Angleterre que d'Amérique ou des Antipodes, pendant les deux décades d'entre-guerres.

Et en temps de paix ?

Si ce n'est pas parce qu'il a besoin de notre argent, mais parce qu'il veut nous supprimer du pouvoir d'achat, que le gouvernement nous taxe en temps de guerre, pourquoi nous taxe-t-il en temps de paix ?

Si le gouvernement peut se passer de notre argent pour payer ses dépenses de guerre, ne peut-il pas s'en passer bien plus facilement pour les dépenses beaucoup moins considérables de paix ? Le gouvernement n'a-t-il pas, en temps de paix comme en temps de guerre, l'autre alternative pour se procurer de l'argent — créer les fonds requis ?

Par ailleurs, en temps de paix, quelle raison valable le gouvernement peut-il avancer pour nous ôter du pouvoir d'achat, alors que c'est le manque de pouvoir d'achat qui cause la stagnation du commerce, le chômage de l'industrie, la misère générale ? Certainement qu'aux années de paix précédant 1940, les faits de la production et de la consommation justifiaient plutôt une distribution de pouvoir d'achat qu'une suppression de pouvoir d'achat. Pourquoi alors la taxe venait-elle si brutalement visiter nos poches ?

Mais allez donc demander à un gouvernement dominé par la finance d'être logique avec les faits économiques en temps de paix ! Passe encore en temps de guerre, parce que les faits de la guerre portent naturellement à la privation, et c'est la privation qu'on veut pour le public.

Mais la conformité aux faits économiques en temps de paix signifierait l'aisance, sinon l'abondance, dans tous les foyers. Voilà qui est inadmissible pour les puissances d'argent maîtresses des gouvernements. Qu'on se rappelle l'aveu étalé dans l'éditorial du Banker's Magazine du 26 août 1924 :

"Lorsque les gens du peuple auront perdu leurs maisons, ils deviendront plus dociles et plus faciles à gouverner par une puissance centrale de la richesse, sous le contrôle de financiers dirigeants, opérant par l'intermédiaire de la férule du gouvernement. Cette vérité est très bien connue de nos chefs, actuellement à l'œuvre pour former un impérialisme de l'argent qui gouvernera le monde."

Louis Even

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