Monsieur Laverdure et sa famille sont des gens à l’aise. Plusieurs les appellent même riches. Ils vivent dans une maison bien bâtie, spacieuse, avec galeries extérieures périodiquement rafraîchies par une bonne couche de peinture. La femme et les enfants, bien habillés, bien chaussés, ne paraissent pas porter de traces de privations. Le boulanger, le boucher, l’épicier apportent aux Laverdure des provisions substantielles et variées.
Un peu plus loin, une maison grise et étroite — on l’appelle taudis — abrite la famille Rimbard. Que l’on regarde le logis des Rimbard, ou les vêtements dont ils doivent se contenter, ou la nourriture dont ils se rationnent, il est clair que, dans ce foyer, l’aisance est une étrangère, on y vit pauvrement, très pauvrement même, misérablement.
Le socialiste, le myope, l’observateur superficiel, ne manquera pas de dire: «Les Rimbard sont pauvres parce que les Laverdure sont riches. Il faut ôter à la classe des Laverdure pour donner à la classe des Rimbard.»
Et pourtant quand tous les Laverdure du pays ont mangé à leur goût, se sont habillés à leur goût, et quand tous les Rimbard du pays sont allés jusqu’au bout, non pas de leurs goûts, mais de leur budget, il reste encore des stocks de nourriture, d’habits, de chaussures, qui attendent preneurs; il reste encore bien de l’espace pour placer des maisons spacieuses, des matériaux pour les bâtir, de la peinture pour entretenir leur apparence. Les ressources de toutes sortes sont loin d’être épuisées par la part des riches.
Le remède à la misère du dépourvu ne consiste donc pas à priver celui qui possède, mais à permettre au dépourvu d’accéder à l’immense production du monde moderne, surtout dans les pays équipés comme le nôtre.
Les créditistes le comprennent, parce qu’ils voient et raisonnent en termes de réalités, au lieu de voir et raisonner en termes de signes monétaires artificiellement rationnés.
C’est ce qui faisait dire au fondateur du Crédit Social, le Major C.H. Douglas, témoignant devant un comité parlementaire à Ottawa, en 1934:
«Notre difficulté à l’heure actuelle, ne provient pas de ce que les riches sont riches et que, à cause de cela, les pauvres soient pauvres… Ma théorie soutient qu’il y a de grandes richesses dont personne ne profite, et qu’il est possible d’en faire profiter les moins fortunés sans rien enlever aux riches. Notre malheur ne consiste pas à vivre dans un monde pauvre, car nous vivons évidemment dans un monde très riche. Nous avons trop de tout…
«La richesse réelle existe, en puissance ou en réalité. Je ne suggère pas d’enlever la richesse à celui qui en a, mais d’empêcher la richesse produite de se gaspiller, comme elle se gaspille actuellement dans tout l’univers, ou bien de permettre à la richesse en puissance de servir au peuple qui en a besoin. Nous n’avons nullement besoin d’enlever son bien à qui que ce soit.»
L’école socialiste veut appauvrir et conscrire le riche. L’école créditiste veut enrichir et libérer le pauvre.
L’école socialiste voudrait enlever au capitaliste sa propriété, établir un monde où tous sont prolétaires. L’école créditiste voit dans chaque citoyen un capitaliste de droit; elle veut que chacun touche périodiquement un dividende, justement parce que chaque personne vivante est copropriétaire d’un capital très productif.
L’économie socialiste et l’économie créditiste sont les deux voies qui s’ouvrent devant un monde en gestation.
L’économie socialiste comporte des confiscations, de la planification, de l’enrégimentation, le contrôle de la vie des individus par des institutions bureaucratiques.
L’économie créditiste, au contraire, respecte les biens acquis, n’intervenant que dans le système financier lui-même pour le mettre au pas des réalités; elle facilite à chaque individu la possibilité, avec la liberté, d’organiser sa propre vie à son propre goût, tant qu’il n’entrave pas cette même liberté chez les autres,
Votre choix?
On parle beaucoup de promotion ouvrière. C’est bien de la promotion humaine qu’il faudrait parler.
C’est dans ses autres fonctions de personne humaine, bien plus que dans sa simple fonction de producteur, que souffre l’homme moderne.
Les marxistes considèrent la société comme un atelier, et chaque homme comme un producteur; et ils font des plans pour des termitières. Nos sociétés, qui se piquent d’anti-marxisme, sont envahies par cette même conception et préconisent l’embauchage intégral. L’homme embauché — et si l’industrie ne l’embauche pas, que le gouvernement se fasse embaucheur: piètre concept d’une société d’êtres humains.
Le Crédit Social — le christianisme aussi — soutient que la fonction principale de l’homme n’est pas de produire. L’homme a d’autres fonctions plus nobles et plus spécifiquement humaines; et plus on lui permet d’exercer ces autres fonctions, au lieu de l’accaparer pour la seule fonction productrice, plus il peut épanouir sa personnalité. Les propositions du Crédit social s’inspirent de cette philosophie.
Le Crédit Social ajusterait les revenus à la production offerte ; et il lierait ces revenus en partie croissante à la personne elle-même, et non pas seulement à l’emploi. Le progrès se traduirait en loisirs, en activités libres, en possibilités pour chacun de poursuivre des fins en dehors de la simple production matérielle. Il se traduirait aussi en accès à la propriété, extension de la personne, et en sécurité économique, permettant à la personne d’exercer vraiment sa liberté de choix.
Le Crédit apporterait ainsi une promotion humaine.
«La promotion humaine, écrivait récemment un journaliste français, n’est pas principalement d’augmenter l’avoir ou le pouvoir. C’est de donner à chaque personne l’accès à un mode d’existence nouveau et d’une qualité plus riche et plus fine.»