Jules veut avoir une maison à lui, bien à son goût, avec un jardin qu'il cultivera pour son utilité et son agrément.
La construction d'une maison requiert un gros travail. Jules le sait, mais il pense au résultat, et il juge que l'effort en vaut la peine. Il se met avec coeur à la construction de sa maison.
C'est l'attrait d'une maison bien à lui qui décide Jules. Jules agit sous le moteur de l'attrait.
Charles n'est pas fort en santé.
Le travail physique un peu prolongé l'épuise. Mais il a fait des études, possède un brevet d'enseignement et ne demande pas mieux que de faire la classe. C'est cela sa "ligne".
Mais il a beau s'adresser partout : aucune place vacante.
Pourtant, il faut qu'il mange.
Pas loin de chez lui, un commerçant prospère se fait bâtir une belle demeure. L'entrepreneur demande des manœuvres pour aider les maçons. Charles qui doit vivre et faire vivre sa famille, se présente et on l'engage. C'est au-dessus de ses forces : il y ruine sa santé. Mais, s'il ne fait pas cela, il va crever de faim. Il reste à l'ouvrage.
Ce n'est pas par choix, mais par nécessité, que Charles travaille à construire la maison du commerçant. La contrainte est le moteur qui décide Charles.
C'est le Major Douglas, l'initiateur de la doctrine dite du Crédit Social, qui remarque que deux grandes lignes de conduite se font face dans le monde : celle de la contrainte et celle de l'attrait (the policy of compulsion and the policy of inducement).
La plus générale est celle de la contrainte : contrainte en politique, contrainte en économique.
La contrainte en politique est rendue évidente par le nombre croissant de lois, de décrets, de règlements, dont presque tous sont des obligations, des restrictions ou des interdictions, auxquelles il faut se soumettre sous peine d'amende ou de prison.
La contrainte en économique prend la forme du commandement : Fais cela ou crève de faim. Accepte cet emploi, plie-toi à ces conditions, même si ni le travail ni ses conditions ne te conviennent : sinon, pas de revenu, et ta famille et toi-même êtes à la merci des privations.
L'autre ligne de conduite est celle de l'attrait : l'individu accomplit une chose de bon gré, avec empressement même, parce qu'il juge que la chose vaut la peine d'être faite, à cause de ses résultats.
Eh bien, en politique comme en économique, seul le Crédit Social procède par l'attrait. Tous les autres groupes politiques, comme leur maîtresse commune, la dictature financière, procèdent par la contrainte. Comme la dictature financière, ils cherchent le pouvoir, pour dominer, pour imposer leurs vues, pour contraindre.
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Même les plans de sécurité sociale, tant à l'ordre du jour aujourd'hui, recourent à la contrainte : assurance-chômage obligatoire, assurance-santé obligatoire, embauchage obligatoire, etc.
La première chose que vous apprenez en fait de sécurité sociale, c'est qu'il faut vous enregistrer.
La sécurité sociale du Crédit Social prend une tout autre forme : le dividende national à chaque homme, femme et enfant du Canada, sans autre condition que l'existence de produits dans le pays pour y répondre.
Et parce que ce dividende est intéressant, parce qu'il augmente avec l'augmentation de richesse du pays, les citoyens du Canada s'efforceront, de leur plein gré, d'augmenter la productivité de leur pays. Ils trouveront que ça en vaut la peine. C'est la politique de l'attrait.
Et les citoyens, ainsi stimulés par un but attrayant, réussiront, mieux que par la contrainte, à augmenter la productivité de leur pays. Ils y réussiront d'autant mieux que le minimum assuré par le dividende permet à chacun de se choisir le genre de travail qui lui convient, pour lequel il se trouve le mieux adapté ; puis, l'augmentation des loisirs et la sécurité du lendemain donnent le temps de réfléchir et de s'ingénier pour découvrir des moyens d'améliorer encore les procédés de production.
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Le régime de la contrainte rend les choses obligatoires. On s'y soumet de mauvais cœur, uniquement pour ne pas subir quelque chose de pire.
Le régime de l'attrait, le régime créditiste, rend les choses désirables : on les choisit librement, à cause du bien qui en résulte pour soi-même et pour tous.
Le régime de la contrainte rend la vie dure, implacable, cruelle. L'homme piétine son voisin, il l'assomme, pour pouvoir vivre lui-même ; il n'y a pas le choix, il n'est pas libre, il agit sous la loi de la contrainte.
Le régime de la contrainte suscite des haines, des mécontentements, des délations, des ventes de conscience pour obtenir des privilèges qui adoucissent la loi de la contrainte.
Du régime de l'attrait, on peut avoir la joie de voir toute une nation profiter des efforts de chacun, sans supprimer la récompense particulière à celui qui produit l'effort.
Le régime de l'attrait serait plus fécond, non seulement en liberté, mais même en production, que le régime de la contrainte. Une saine émulation pour faire plus et mieux, une distribution abondante comme la production, banniraient bien des tristesses et mettraient plus de soleil dans la vie individuelle comme dans la vie communautaire.
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Le régime de la contrainte rend la démocratie aussi odieuse qu'une dictature avec l'hypocrisie en plus. La démocratie qui pratique le régime de la contrainte ne vous donne plus que le privilège de choisir vos gendarmes, vos « taxeurs », ceux qui placarderont vos villes et vos maisons de décrets, et d'obligatoires ; ceux qui auront le droit de fouiller dans vos poches ou de vous mettre la main au collet, si vous avez l'effronterie d'ignorer les restrictions et les interdits.
Le régime créditiste de l'attrait donnera à la démocratie son véritable sens, en politique comme en économique. Le citoyen ne marchera pas sous la menace constante de l'amende ou du cachot. La conduite par l'argent cédera la place à la conduite par le raisonnement. La morale, l'hygiène, le sens social redeviendront des moteurs dans la vie. Le prêtre, l'éducateur, le médecin, l'artiste, reprendront, dans l'orientation de l'humanité, le rôle usurpé par le banquier et sa valetaille de la politique et de l'industrie.
Il convenait de donner ces quelques explications. Trop d'observateurs superficiels ou de critiques intéressés ont l'habitude de traiter le Crédit Social de petite réforme monétaire, d'un simple tour de passe-passe financière, qui ne mérite pas de retenir l'attention de gens sérieux.
Le Crédit Social est toute une philosophie de la vie, au moins dans le domaine temporel. C'est ce qui explique le dynamisme qu'il communique à ses adhérents, au grand scandale des esprits constipés par leur jansénisme économique ou par leur orgueil politique.
C'est aussi ce qui explique l'opposition acerbe et jalouse de certaines gens qui tiennent à dominer la masse autrement que par leur compétence ou leur vertu.
Louis Even Vers Demain ler mai 1944