Quand vous demandez de doubler les allocations familiales, d’augmenter la pension de vieillesse, d’étendre la portée d’application de la pension aux invalides, on vous répond: “On est tous pour ça. On ne demanderait pas mieux. Mais où prendre l’argent ?”
Vous n’entendez jamais objecter: “Mais où trouver les produits pour en permettre plus aux enfants, aux vieillards, aux invalides ?”
C’est pourtant de produits que vivent les enfants et leurs parents, les vieux, les infirmes. L’argent de l’allocation ou de pensions, c’est seulement pour pouvoir obtenir des produits et des services.
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Lorsque vous représentez à votre Conseil municipal l’urgence d’un aqueduc, d’égouts, de pavages, le Conseil vous fait répondre: “Nous comprenons cette urgence. Nous avons des plans tout prêts. Mais, où prendre l’argent ?”
On ne vous fait pas dire: “C’est très bien; mais où trouver des ingénieurs, des bras, des matériaux ?”
C’est pourtant avec des matériaux, des bras, des ingénieurs, qu’on réaliserait ces projets. L’argent n’a pas d’autre but que de permettre d’utiliser ces moyens, qui existent.
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Si votre paroisse a besoin d’une église, qu’attend-elle pour la construire, sinon l’argent ?
Matériaux, architectes, entrepreneurs, maçons et autres ouvriers spécialisés — tout ce qu’il faut pour bâtir existe.
La preuve que toutes ces choses-là existent, c’est que, une fois hommes et matériaux mis à l’ouvrage, l’église sera bâtie en un ou deux ans; tandis que, la plupart du temps, on prendra encore une vingtaine d’autres années, ou davantage, pour trouver l’argent qui représente le montant de ces matériaux et de tout ce travail.
C’est la même chose avec nos commissions scolaires.
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Au fils de cultivateur qui est de trop sur la terre paternelle exploitée par son frère plus âgé, dites qu’il y a des terres neuves à ouvrir sur son bon sol en Abitibi, où des terres abandonnées à mettre en rendement dans la paroisse voisine, il vous répondra: “J’aimerais bien cela. Mais où prendre l’argent pour me procurer un tracteur, de la machinerie agricole, des animaux, de la graine de semence, pour faire revivre cette vieille terre près d’ici, ou pour tailler une ferme neuve en forêt ?”
Le garçon ne vous répliquera jamais:
“C’est bien beau; mais où trouver un tracteur, des animaux, des semences ?” Il sait parfaitement où trouver ces choses-là, les vraies choses qu’il lui faudrait. Mais l’argent qu’il demande seulement pour se procurer ces choses qui existent, où le prendre ?
Où prendre l’argent ?
Un voleur vous répondrait: “Il faut prendre l’argent là où il y en a, à condition évidemment de réussir à le prendre”. Et l’art du voleur consiste à trouver les moyens de prendre sans être pris lui-même, s’il tient à rester voleur et non pas à devenir prisonnier.
Votre Conseil municipal est un peu dans le même cas. Il lui faut prendre l’argent là où il y en a. Mais pour lui, l’opération porte un autre nom: au lieu de s’appeler «voler», elle s’appelle «taxer». Et l’art du taxateur consiste à être capable d’en prendre le plus possible sans gâter complètement la source, ou sans outrer tellement les contribuables que ceux-ci en mettent un autre à sa place à la première occasion.
Les gouvernements supérieurs ne procèdent pas autrement. Celui de Québec aime à répéter qu’il n’a pas d’autre argent que celui qu’il peut tirer là où il y en a: du public par les taxes, ou de manipulateurs d’argent par des emprunts, avec promesse de taxes à venir pour tout rapporter et un peu plus au manipulateur.
Le gouvernement fédéral, pourtant constitutionnellement souverain en matière d’argent, se comporte de la même manière. C’est lui qui nous a si souvent répondu: “On voudrait bien hausser les allocations familiales, mais nos finances ne le permettent pas. Où prendrait-on l’argent ? Il faudrait taxer davantage et les contribuables se trouvent déjà surtaxés.”
L’argent, c’est le droit d’utiliser ce qui est utilisable. Pour le consommateur, c’est le droit d’obtenir les produits qui sont devant lui et le sollicitent. Pour des gouvernements, c’est le droit d’utiliser des moyens de production pour réaliser des projets publics.
Quand le public consommateur est insuffisamment muni de pouvoir d’achat, et quand en même temps le gouvernement n’a pas assez d’argent pour procéder à ses programmes, public et gouvernement se trouvent bêtement pris.
Et cela est arrivé. On a même vu le gouvernement souverain du Canada — et les gouvernements d’autres pays aussi, en même temps — rester en face de ce vide pendant toute une décade, la crise des années ‘30.
De toutes ces années-là, les orignaux, les ours, les chevreuils, les siffleux, tous les animaux de nos bois, gros et petits, continuaient à profiter de ce qu’ils trouvaient devant eux. Pas de crise pour eux, quand la nourriture abonde. Ce genre de crise — rester ventre vide devant des greniers pleins — c’est, paraît-il, le privilège d’êtres doués de raison !!! ... Parce que: Où prendre l’argent ? Questions que seuls se posaient des hommes civilisés.
Où prendre l’argent ? Où prendre le droit de toucher aux produits qui s’entassaient au lieu de s’écouler ? Où prendre le droit de produire davantage pour des besoins non comblés quand tant de bras mendiaient de l’emploi ?
Les gens n’ayant plus d’argent, le gouvernement ne pouvait pas leur en prendre. S’adresser aux réservoirs d’épargnes ? Réservoirs sonnant le creux quand des gens manquant d’argent ne sauraient épargner. Problème apparent sans issue.
Et pourtant, on en est sorti un jour, et comme sous le coup d’une baguette magique. Quand ? Le jour où la guerre mondiale No 2 vint donner une piqûre à des humains stupidement affamés devant l’abondance et momifiés devant des facilités de production sans précédent.
Mais comment a-t-on pu sortir de là sans argent ? — On en est sorti avec de l’argent.
Et comment a-t-on pu trouver de l’argent, quand il n’y en avait plus nulle part ? — En allant en chercher là où il n’y en avait pas.
La veille de la déclaration de guerre, Mackenzie King disait ne pouvoir trouver cinq sous pour les chômeurs. Le lendemain de la déclaration de guerre, il trouvait tout l’argent voulu pour changer les chômeurs en soldats ou en producteurs de munitions de guerre.
Pas d’argent en août: sécheresse depuis dix ans. Fontaine d’argent en septembre, et tant qu’il en faudra pour six années de guerre.
Donc l’argent a surgi là où il n’y en avait pas.
Voilà bien un soufflet retentissant donné à tous les luminaires de l’économie orthodoxe, qui avaient taxé de fous et de menteurs les créditistes quand ils disaient:
“L’argent, ça se crée, ça se crée d’un trait de plume, et il est criminel de laisser des êtres humains dans les privations rien que par refus de ce trait de plume.”
De quoi aussi faire les chefs de gouvernements souverains d’alors baisser la tête de honte et battre leur coulpe: “Que nous avons donc été bêtes de ne pas faire pour nos chômeurs, hier, ce que nous faisons pour ces mêmes individus devenus employés de la plus grande tuerie organisée de l’histoire.”
Il n’y avait pourtant pas besoin d’une guerre pour s’apercevoir que le monde souffrait d’une crise purement artificielle. Élu président pour la première fois en 1932, Roosevelt trouvait la situation absurde. Il disait:
“Je n’admettrai jamais que dans ce pays, 15 millions d’hommes défilent sans travail et meurent de faim devant des greniers remplis de trois années de récoltes invendues.”
Et Roosevelt essaya d’y remédier par ses plans à teinte socialiste, quand il aurait dû instituer le Crédit Social. Mais pour tout ce qui concernait la finance, il s’en remettait à son secrétaire du Trésor, Morgenthau. Un jour que M. J. J. Harpell, de Garden City Press (Ste-Anne-de-Bellevue), accompagnant M. Damien Bouchard dans une visite à Washington, voulut parler de monnaie et de crédit avec le président Roosevelt, celui-ci demanda à M. Harpell s’il comprenait quelque chose dans cette affaire de crédit. M. Harpell répondant qu’il croyait, en effet, en comprendre passablement, le président lui dit:
“Vous avez de la chance, et je vous engage à aller voir monsieur Morgenthau. Moi, je n’y vois que du bleu et je m’en remets entièrement à mon secrétaire du Trésor, qui me dit qu’il faut procéder prudemment en matière monétaire.”
Si «prudemment» que la grande république comptait encore 12 millions de chômeurs aux États-Unis lorsque vint la guerre en 1939. Sans entrer immédiatement dans le conflit, les États-Unis bénéficièrent de la «piqûre» de la guerre en devenant l’arsenal des Alliés. Et après Pearl Harbor, avec son pays en pleine guerre, Roosevelt dénonça de nouveau le non-sens financier, déclarant qu’il ne permettrait pas au «financial nonsense» d’entraver l’utilisation de tous les matériaux et de toute la main-d’œuvre disponibles pour la poursuite de la guerre.
La guerre elle-même, d’ailleurs, était l’aboutissement de conditions ayant leur origine dans le non-sens, financier. Un banquier-économiste français, Alexandre St-Phalle, disait récemment (Jeune Patron, nov. 1956):
“Le tragique entêtement des financiers orthodoxes qui prétendent que la monnaie est une marchandise, a été la cause principale de la crise 1929-1939. Crise grave, puisqu’elle a engendré directement la deuxième guerre mondiale.”
On sut bien, pour la guerre, passer outre au credo des orthodoxes. La guerre fut financée tout de suite, par de l’argent de chiffres, portant le nom d’argent scriptural (argent d’écriture), prenant naissance dans les livres de banque, d’un trait de plume, sans attendre une once de plus de métal jaune. On faisait fi de l’articulation de la monnaie à l’or, et autres balivernes vénérées, propres surtout à hypnotiser une humanité qu’on veut tenir sur la table d’opération ou sous les dictats des maîtres de la finance.
Il fallait faire la guerre: l’obstacle d’argent disparaissait.
Pourquoi ne sait-on plus où trouver de l’argent lorsque, au lieu de financer une tuerie, il s’agit de permettre à des enfants, à des familles, à des vieillards, d’être nourris, vêtus, logés, soignés convenablement ?
“La monnaie, dit encore St-Phalle, doit s’accorder à la production et aux marchandises en circulation.”
La question Où prendre l’argent n’a donc plus de sens quand n’existe pas la question de savoir Où trouver les produits.