Au cours de l'entrevue qu'il accorda à des créditistes à son bureau d'Ottawa, l'Honorable Saint-Laurent dit que son attention avait été plusieurs fois attirée sur des articles publiés dans Vers Demain. Ces articles, remarqua-t-il, tout en n'enfreignant point les mesures de guerre, n'étaient pas toutefois de nature à induire la population à faire un gros effort de guerre.
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La population fournit déjà un gros effort de guerre. Certains le font avec enthousiasme, d'autres avec résignation. Le nombre des premiers grossirait sans doute si l'on avait l'assurance de se battre pour un lendemain plus intéressant qu'hier.
Hier pouvait convenir à un petit nombre d'hommes, et ceux-là en général ne manquent pas de pousser les autres à la défense d'un régime qu'ils jugent menacé. D'autre part, une multitude a été exploitée, ignorée, immolée ; et c'est à cette multitude-là qu'on demande les plus cuisants sacrifices aujourd'hui. Elle répond d'ailleurs héroïquement, malgré toutes les injustices subies.
On nous promet bien, d'une façon vague, que demain sera mieux qu'hier. On commence même d'élaborer des plans destinés à cette fin. Tous ces plans prévoient un peu plus de pain moyennant un peu plus de collier, un peu moins de taudis moyennant un peu moins de liberté. Tous aussi, par un heureux hasard sans doute, sauvegardent les privilèges des monopoleurs de l'argent et du crédit, des endetteurs d'humanité.
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Évidemment la liberté n'est pas possible avec un régime naziste, et nous n'en voulons pas. Les créditistes seront toujours sur la brêche pour réclamer contre toute violation de la liberté de la personne humaine.
Mais la liberté a-t-elle beaucoup de sens sous une dictature d'argent ?
Comme l'ont remarqué plusieurs commentateurs créditistes d'Angleterre et d'Amérique, nous avons deux guerres à poursuivre si, de ce conflit, nous voulons sortir victorieux sur tous les fronts :
1. — Une guerre militaire contre les ennemis militaires de notre pays ;
2. — Une guerre de libération contre la dictature qui nous a refusé ou dispensé à son gré le droit de jouir des richesses de notre pays.
Le grand Lincoln déclarait déjà, il y a plus de trois quarts de siècle :
"J'ai deux ennemis : les armées du Sud devant moi et la finance exploiteuse et endetteuse derrière moi ; et le plus terrible n'est pas celui qui est devant."
Il disait si vrai qu'il a vaincu le premier ennemi, mais que le second s'est fortifié et ne s'est pas gêné pour faire disparaître par l'assassinat ce chef d'État trop clairvoyant et trop droit.
Plus près de nous, le président Woodrow Wilson devait à son tour reconnaître la présence de cette force qui, en contrôlant le crédit de la nation, exerce une puissance plus grande que celle des gouvernements eux-mêmes. Le Pape Pie XI l'a dénoncée en termes assez souvent cités dans ces pages. Des foules en ont senti les griffes jusqu'au plus profond de leur chair, même si elles ne voyaient pas le visage de la bête qui les déchirait.
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Si Vers Demain ne se distingue pas et ne mérite pas de décoration pour l'aide à la guerre militaire, il se démène au moins d'une manière remarquable sur l'autre front. Comme le front militaire ne manque pas de moyens publicitaires et que le second est plutôt dégarni, on devrait apprécier les services rendus à la nation par Vers Demain.
Il est possible que l'Honorable St-Laurent et d'autres, trop occupés, soit par la poursuite de leurs intérêts privés, soit par les devoirs quotidiens de fonctions publiques absorbantes, n'aient pas eu le temps de s'occuper activement du "deuxième front" — le front de la dictature d'argent. Peut-être même n'en ont-ils pas encore reconnu l'existence. Qu'ils se réjouissent donc si d'autres — tout modestes et tout dépourvus soient-ils — concentrent leurs énergies sur ces points abandonnés.