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Nationalisation ou corporation ?

Louis Even le jeudi, 01 octobre 1942. Dans Corporatisme

Il est assez fréquent, dans les cercles de patriotes sincères où la guerre aux trusts fait les frais de la conversation, d'entendre parler de nationalisation ou d'étatisation des grandes industries : nationalisation des mines, nationalisation de l'électricité, nationalisation des aciéries, etc. Dans le cas des mines et de l'électricité, il s'agit évidemment d'une action de l'État provincial.

L'idée de nationaliser, d'étatiser ceci ou cela, nous laisse froids, même hostiles. Même la nationalisation des banques, tant réclamée par les C.C. F., n'intéresse pas les créditistes.

Ce n'est pas tant le propriétaire qu'il faut changer que l'objectif.

On a bien dû remarquer, dans les réalisations commencées par les créditistes, qu'ils ne sont point du tout pressés de remplacer une propriété privée par une propriété collective. Dans le commerce, où ils commencent à faire des leurs, ils appuient sincèrement le magasin privé indépendant ; mais, par une association vigilante et par le système de crédit sous leur contrôle, ils tiennent entre leurs mains la fin du commerce inter-créditiste, sans en avoir aucunement le propriété comme groupe.

Les créditistes croient que l'initiative personnelle, jointe à la responsabilité personnelle que confère la propriété, est beaucoup plus efficace que le fonctionnariat.

L'idée d'un gouvernement propriétaire d'entreprises commerciales ou industrielles nous répugne. Les chemins de fer nationaux sont-ils mieux administrés que le réseau du Pacifique Canadien ? Les rails sont-ils mieux placés ? Les wagons sont-ils plus confortables ? Le service est-il plus courtois ? Sommes-nous mieux transportés sur nos propres chemins de fer ? Même au point de vue financier, les résultats sont-ils meilleurs ?

Mais les profits, dira-t-on, viennent à la collectivitéé. Oui, lorsqu'il y en a. Mais n'est-il pas mieux pour un peuple de tirer ses revenus de l'entreprise privée que de l'entreprise collectiviste ?

Nous, créditistes, ne sommes pas de ceux qui opposent profit et service. Nous mettons bien en opposition exploitation et service. Mais le profit n'entraîne pas nécessairement l'exploitation. Le profit s'allie très bien au service. Mais gardons cette discussion pour une autre fois et disons simplement que nous ne croyons ni à l'efficacité, ni à la nécessité, ni même à l'opportunité de la nationalisation — pas plus des mines et de l'électricité que de la médecine ou de la dentisterie.

Le vice du capitalisme exploiteur

Mais alors, comment venir à bout des trusts, du capitalisme abusif qui régit nos exploitations électriques, forestières ou minières ?

On en viendra à bout en ôtant au capitalisme les deux seuls contrôles qui nuisent au public : non pas la propriété ni l'administration — cela ne nuit pas au public, puisque les produits sortent de la mine et de la forêt, puisque l'usine fournit du courant ; mais, le contrôle du crédit et le contrôle des prix.

Ceux qui contrôlent le crédit d'une nation contrôlent la vie de cette nation. Ceux qui maîtrisent les prix d'une part, et d'autre part, réglementent le pouvoir d'achat par le refus ou la dispensation du crédit, ceux-là tiennent entre leurs mains les moyens de vivre des consommateurs ; ils sont les maîtres de nos vies. C'est ce pouvoir-là qui est néfaste, c'est ce despotisme qu'il faut supprimer.

Mais cela peut-il se faire sans enlever en même temps au capitalisme la propriété de l'entreprise ? Certainement, pourvu qu'on ne se considère pas lié par le monopole actuel des banques dans la création du crédit financier.

Les producteurs, propriétaires

Toutefois, ce serait élever la personne de l'ouvrier que de tempérer le système du salariat en admettant autant que possible le salarié à la propriété de l'entreprise où il gagne son pain en usant ses forces.

Si l'on veut déprolétariser notre population ouvrière, il y a beaucoup mieux à faire que la nationalisation. La nationalisation ne déprolétarise pas l'ouvrier. L'employé du réseau national, des postes, de la Commission des Liqueurs, de la voirie provinciale, est-il moins prolétaire que l'employé de la Montreal, Light, Heat and Power ou d'une mine abitibienne ? Aussi prolétaire, et souvent muselé en plus.

Si l'on veut déprolétariser l'ouvrier des grandes industries, pourquoi ne pas voir à ce que les producteurs d'une même industrie deviennent graduellement les propriétaires de cette industrie ? Et par producteurs, nous entendons tous ceux qui contribuent à la production : employeurs et employés, gérants, contremaîtres, compagnons et apprentis, personnel du bureau comme manœuvres des cours.

Jamais les ouvriers de la grande industrie n'en deviendront les propriétaires par les seules épargnes sur leurs salaires ; mais ils y arriveront si l'on exprime en capital financier, versé dans l'entreprise à leur compte, la contribution réelle qu'ils apportent au développement de l'industrie.

Projet exposé par Douglas

Nous allons exposer un peu ce que nous venons d'écrire. Mais donnons tout de suite crédit de l'idée à son auteur. C'est le major Douglas lui-même qui, en appendice à son livre Credit-Power and Democracy, expose une manière de rendre graduellement les mineurs anglais propriétaires des houillères dans lesquelles ils répandent leurs sueurs. Son bref exposé a été développé par A. R. Orage.

Ni Douglas ni Orage ne se sont jamais piqués de corporatisme ; mais il arrive que, justement parce qu'ils basent leur économie sur la suppression du venin qui dresse les hommes les uns contre les autres et permet aux ogres de manger les faibles, l'organisation qu'ils préconisent rétablit l'esprit de corps entre ceux qui vivent d'une même entreprise — employeurs et employés — et aboutit à une véritable corporation de la houille.

Ajoutons que l'idée de Douglas, rendue publique il y a deux décades, ne fut jamais suivie par le gouvernement anglais, parce qu'elle exige la mise au rancart du monopole bancaire du crédit. Le gouvernement anglais a préféré tout dernièrement céder à la pression socialiste en assumant la propriété des houillères anglaises. Solution qui ne fera nullement disparaître la dictature financière : simple changement dans le maquillage. À la différence du Crédit Social, la montée du socialisme n'émeut pas les puissances d'argent.

Pure coïncidence peut-être : le jour où le gouvernement anglais prenait effectivement possession des mines, le prix du charbon montait de 80 sous la tonne pour le consommateur anglais.

Trois alternatives

Devant le malaise croissant dans les relations entre la fédération des mineurs anglais et les propriétaires des houillères, le gouvernement pouvait considérer trois alternatives :

1) étatiser les mines par confiscation ;

2) étatiser les mines par achat, conclu par entente ou par expropriation ;

3) rendre les mineurs co-propriétaires des mines, sans enlever aux premiers propriétaires le bénéfice de leurs placements ni de leur compétence.

C'est cette dernière alternative que Douglas juge plus conforme à la justice, plus acceptable aux deux parties, plus respectueuse des droits acquis tout en satisfaisant de légitimes aspirations du monde ouvrier.

La confiscation, remarque-t-il, ne peut se faire sans violence et sans sabotage, si même elle ne provoque pas une révolution.

L'achat constitue une sorte de contradiction dans les circonstances ; le gouvernemnt achèterait sous la pression d'une union de mineurs qui ne veut plus reconnaître les droits du capital ; or, le fait même d'acheter reconnaît les droits du propriétaire. Par ailleurs, l'achat prend l'argent du public et le remet au propriétaire déplacé qui peut ainsi acquérir une propriété équivalente dans une autre entreprise et y faire exactement ce qu'il faisait dans la première. Qu'il recommence dans le même pays ou dans un autre pays, les effets sociaux sont les mêmes pour l'humanité.

Droits respectifs à l'augmentation de valeur

Quant à l'acquisition graduelle de la propriété des mines par tous ceux qui contribuent à les exploiter, elle se justifie, croyons-nous, par les considérations suivantes :

Les capitalistes ont placé des fonds dans l'exploitation. Ces fonds représentent des acquisitions antérieures de capital, que nous voulons croire honnêtes. (Nous ignorons pour le moment la pratique du mouillage des capitaux, puisque le projet donne le coup de mort à toute capitalisation de cette sorte.)

Quant aux mineurs, ils apportent leur travail, l'application de leur cerveau et la dépense de leurs forces musculaires.

Capital et travail contribuent ensemble au rendement de la mine.

Quelle que soit la valeur initiale de l'installation, représentée par l'argent payé pour son acquisition, l'accroissement de sa valeur est la résultante conjointe du capital, du travail et — ajoutons-le même si plusieurs n'y comprennent rien — de la consommation de charbon par le public.

Ces trois éléments peuvent donc prétendre à une participation à l'augmentation de valeur de la mine.

Pour le consommateur, qui n'a absolument rien à voir dans les opérations de la houille, le bénéfice le mieux approprié est certainement un haussement de son niveau de vie par un accès plus facile aux produits. Ce que procure le mécanisme d'ajustement des prix qui fait partie de la technique monétaire créditiste.

Pour les producteurs, pour ceux dont la vie est liée à l'exploitation de la mine, outre le bénéfice précédent à titre de consommateurs, il semble tout à fait logique qu'ils deviennent les co-propriétaires du développement auquel ils contribuent directement.

La part qui revient à chaque groupe peut s'évaluer d'une façon assez juste.

Supposons une mine en rendement, de laquelle les bailleurs de fonds tirent annuellement $10,000 en dividendes et les producteurs (mineurs et autres salariés) $100,000 en salaires. Cela signifie que la collaboration annuelle du capital est évaluée à $10,000 et la collaboration annuelle du travail à $100,000 — évaluation faite par les conducteurs mêmes de la mine. Dans ce cas, les mineurs contribuent dix fois autant que les capitalistes.

Si le développement de la mine justifie l'installation de nouvelle machinerie, de nouveaux appareils, les fonds à cette fin devraient être fournis partiellement par les capitalistes, partiellement par les mineurs, dans la même proportion que leur contribution à la mise en valeur. Autrement dit, dans ce cas particulier, la part des nouveaux fonds apportée par les mineurs devrait être dix fois égale à la part des nouveaux fonds apportée par les capitalistes. De cette manière, la propriété de l'augmentation serait assumée par ceux qui y ont contribué, proportionnellement à leur contribution réelle.

Où prendre les capitaux ?

On comprend assez bien que les capitalistes puissent trouver leur petite part de fonds à fournir. Mais où les simples salariés vont-ils trouver la grosse part qui leur échoit à fournir ?

C'est ici qu'intervient le mécanisme créateur de crédit financier. Toute actuation de crédit réel doit être représentée par du crédit financier (pas dans le système baroque d'aujourd'hui, mais sous un système monétaire scientifique et conforme aux faits). C'est l'émission de crédit financier nouveau, justifiée par une augmentation de rendement de la mine, qui va constituer la part de capital de ceux dont le travail a causé l'augmentation de capacité de rendement.

Mais coupons court ici pour aujourd'hui. La dose est déjà trop forte pour les non initiés. Un prochain numéro expliquera le mécanisme proposé par Douglas.

Sous une économie créditiste, la méthode serait parfaitement utilisable dans la province de Québec, pour substituer la propriété corporative à la propriété trustarde dans nos grandes industries. L'opération ne prendrait pas dix ans, et chaque année serait une amélioration sur la précédente. Ceux qui se découvrent la mission de sauver la province de Québec en prenant les rênes du pouvoir ne perdraient pas tout à fait leur temps en poussant cette étude à fond.

Louis Even

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