Chers Créditistes de Nouvelle-France,
Au nom du mouvement qui nous est cher, et aussi en mon nom personnel, je tiens à remercier tous ceux d'entre vous qui se sont intéressés à l'acte de protestation que je posais, en prenant le chemin de la prison de Québec, le 12 mai, plutôt que de payer l'amende et les frais imposés par le juge à la suite de la cause que vous connaissez.
Je n'étais pas encore rendu en prison que, déjà, des centres créditistes s'organisaient pour protester contre la discrimination indéniable exercée dans l'application de l'article 15-a des Règlements de la Défence Nationale.
Par ailleurs, d'autres créditistes, M. Edmond Major, commandant de Drummondville, en tête, ne pouvaient se faire à l'idée de me laisser privé de liberté pendant deux semaines, et M. Major lançait immédiatement un appel à tous les groupes organisés pour former un fonds de rachat. L'argent, en soi, signifie peu de chose ; mais ce geste de créditistes se coalisant pour libérer leur directeur prend une signification spéciale.
Tout de même, il fallait poser l'acte de protestation. Et malgré l'impatience de bons amis à me revoir au milieu d'eux, il convenait d'abord que la protestation atteignît jusqu'aux oreilles du Ministre de la Justice, responsable, malgré les habitudes d'irresponsabilité adoptées par les politiciens, de toute injustice qu'il laisse commettre dans le pays.
M. Edmond Major avait bien fait une démarche auprès du Ministre le dimanche précédent, mais sans résultat. Il fallait une démarche plus formelle au bureau même du Ministre, à Ottawa.
Là, notre cher confrère créditiste de la première heure, M. Armand Turpin, de Hull, s'est montré d'un précieux secours. M. Armand Turpin, auquel se joignit plus tard M. Edmond Major parti pour Ottawa en vitesse, vit d'abord les députés créditistes au fédéral.
À ces derniers, disons toute notre reconnaissance. On sait que les créditistes de l'Ouest et ceux de notre province ne partagent pas les mêmes vues au sujet de l'effort de guerre. Les créditistes de Nouvelle-France n'ont point pour l'Empire autant de ferveur que les créditistes de l'Alberta. Mais, lorsqu'il est question de la lutte pour la justice et de la défense du mouvement créditiste, l'entente est parfaite.
MM. Blackmore, Hansell et Jaques, trois députés fédéraux de l'Alberta, obtinrent, avec MM. Armand Turpin, Ralph Duclos, Oscar Desloges et Edmond Major, une entrevue d'une heure et demie avec le ministre de la Justice, l'Honorable Louis Saint-Laurent.
À cette heure, le jeudi après-midi, moins d'une journée après l'incarcération de votre serviteur, trois liasses de télégrammes de protestation étaient déjà sur la table du ministre. Probablement plus de 250. Trois liasses, parce qu'ils avaient tous été lus soigneusement et classés d'après le ton de leur contenu. Le ministre n'avait pas savouré le ton de l'un de ces paquets. M. Turpin dut expliquer que les télégrammes venant de partout, de gens de culture variée mais tous fort indignés, il était impossible que quelques-uns ne dérogent pas au style parlementaire.
Cette grêle intense de télégrammes était sûrement du nouveau pour M. St-Laurent. Toutefois, l'entrevue fut courtoise.
Le ministre essaya de justifier l'intervention de la justice dans le cas de la circulaire qui a fait tant de bruit. Tout de même, il dut admettre que, s'il avait été consulté avant le commencement des poursuites, il n'aurait pas conseillé la plainte. La police a fait preuve d'un zèle indiscret, confesse-t-il. Ce qui est plus que clair pour tout le monde.
Il refusa toutefois d'entreprendre des démarches pour me faire gracier, parce que ces démarches, par les voies ordinaires, prennent au moins deux à trois semaines, puis il ne veut pas avoir l'air de céder aux protestations ni de vouloir se protéger au point de vue politique.
Il n'y avait plus rien à faire qu'à enregistrer les réponses et les remarques du ministre — ce qui a été fait soigneusement.
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Nous rendons hommages à tous nos amis d'Ottawa. Mentionnons spécialement M. Ralph Duclos, président du Douglas Social Credit Bureau d'Ottawa. Ni de notre nationalité, ni de notre religion, M. Duclos comprend très bien notre mou‑
vement. Il a d'ailleurs assez étudié le français pour suivre notre journal.
M. Duclos eut soin de prévenir les députés contre la tentative que pourrait faire le ministre en jouant sur nos différences de vues en ce qui regarde la guerre. L'avis était bon. Le ministre essaya, en effet, cette corde. Mais il fut vite rappelé au sujet précis : il ne s'agissait que d'une condamnation pour l'absence du nom de l'imprimeur au bas de la circulaire.
Les députés, comme le ministre d'ailleurs, furent très impressionnés par le grand nombre de télégrammes venus de partout en si peu de temps. M. Duclos croit que l'organisation créditiste de la province de Québec est la plus forte organisation créditiste du Canada et du monde entier. Les lecteurs de Vers Demain, et particulièrement les Voltigeurs et officiers de l'Union des Électeurs, sont certainement heureux de recevoir l'hommage de ce jugement d'un homme qui réside en dehors de notre province.
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Dans l'espace de vingt-quatre heures, donc, la voix des créditistes indignés s'était fait entendre jusqu'au Ministre de la Justice de tout le pays.
Et c'est à l'heure même où se terminait cette entrevue à Ottawa que je sortais de prison à Québec, le montant de l'amende et des frais de cour ayant été payés au Palais de Justice immédiatement avant la fermeture des bureaux.
Je ne m'attendais pas à sortir dès ce soir-là. Les choses ont marché rondement. Les créditistes savent bouger.
M. J.-Ernest Grégoire et Mlle Gilberte Côté ont fait toutes les démarches qu'il fallait faire et ont agi avec beaucoup de promptitude. Mlle Gilberte Côté n'a pas pris de repos de toutes ces vingt-quatre heures. Quant à M. Grégoire, il a sacrifié son bureau pour votre directeur toute la journée du 13 mai.
Quant à moi, de ce court séjour en prison, je ne désire parler qu'avec beaucoup de simplicité. Laissons à d'autres le soin de chercher de la comédie ou de la course au capital politique dans un acte de ce genre. Ce n'est point la manière de procéder des créditistes.
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La prison ne nous a jamais paru un milieu bien désirable. Ce n'est point là qu'il faut aller pour faire de l'action. Ce n'est point là non plus qu'il faut aller chercher des forces physiques ou morales, si l'on en éprouve le besoin. Sur ce point, nous aurions beaucoup à dire, et nous le ferons sûrement à l'occasion. Si le régime financier est à l'envers, le régime de la prison n'est point non plus à l'endroit. Si l'on remonte à la cause des cas de prison, puis qu'on suive les prisonniers dans leur routine quotidienne de vie, assez semblable à celle d'animaux dont on ne fait pas grand cas, il faudra reconnaître qu'on est loin de prendre les moyens de redresser la cause.
Je me réjouis grandement, maintenant que c'est fini, de n'avoir bénéficié d'aucun privilège en prison et d'avoir été soumis exactement au même régime que les criminels qui y sont logés. C'est une expérience précieuse, qui manque à d'autres à qui elle rendrait service.
Sous ses habits de prisonnier ; dans sa cellule de briques, sans fenêtre ; à table, devant son écuelle de gruau le soir et le matin, de pitaugée imprécise le midi ; derrière les grilles, avec les punis du vol, de la boisson, de la contrebande et autres, sans la consolation d'un livre, sans la possession d'un bout de crayon pour prendre des notes ; dans l'atelier de photographie, le numéro de prisonnier pendu au cou, et soumis à l'opération des empreintes digitales pour être classé, dans les dossiers criminels de la province ; partout, votre serviteur n'a cessé de penser à ceux qui continuaient de travailler à l'extérieur pour la grande cause créditiste.
Les prisonniers, m'a-t-on dit, n'ont droit qu'à deux visites et qu'à deux correspondances par mois. Toutefois, l'avocat peut voir son client quand il veut. C'est pourquoi M. Grégoire est venu, dès le lendemain matin de mon incarcération, me rendre une visite que j'ai considérée comme la visite de tous les créditistes de Nouvelle-France. C'est là lorsqu'on sort d'un monde étrange et qu'on retombe avec de vrais amis, que le cœur se gonfle et qu'il est impossible de retenir son émotion. La même chose devait arriver en sortant de prison le soir du 13 mai.
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Pendant tout ce temps-là, et depuis encore, vous, chers Créditistes de Nouvelle-France, avez plus que jamais ranimé vos énergies pour poser aussi vos actes de protestation.
L'Union des Électeurs, je crois, a pris à cette occasion un développement remarquable. Chaque fois, en effet, que des citoyens s'unissent autour d'un point commun, même pour protester contre un acte isolé d'injustice, c'est l'Union des Électeurs qui se forme et grandit. Elle sera bientôt assez forte pour protester contre la grande injustice de l'exploitation des faiseurs et destructeurs d'argent.
Ce sera la libération. Pas la libération d'un prisonnier d'occasion. Pas même la seule libération des prisonniers, plus victimes du système que de la méchanceté, qui mènent une vie détériorante derrière des murs au travers desquels leurs voix ne peuvent se faire entendre. Mais ce sera la libération aussi des nombreux prisonniers que nous sommes, à peu près tous, dans les filets d'une économie barbare et indigne d'un peuple chrétien.
Toujours plus haut ! Et vive la Nouvelle-France !
Louis EVEN
Il s'agit du dynamique Louis-Philippe Bouchard, que nos créditistes de Hull, de Shawinigan, de La Tuque, de Chicoutimi, de Thetford, de Granby, de Sherbrooke, etc., ont eu l'avantage de voir à l'œuvre au cours des derniers mois. Ce n'est certainement pas lui qui aurait choisi l'immobilisation. M.,Bouchard était à son travail de propagandiste endiablé, à Sherbrooke, lorsqu'un auto l'a brutalement frappé en pleine tête, et c'est miracle que son âme n'ait pas pris le chemin du ciel. Sans doute que sa mission créditiste sur la terre n'est pas terminée. M. Bouchard, hospitalisé à Sherbrooke, sème l'Ile du Salut dans l'établissement qu'il pourra quitter ces jours-ci. Ses nombreux amis, tout en s'affligeant d'un accident qui l'a fait beaucoup souffrir, le félicitent maintenant de son prompt rétablissement. Il n'a rien perdu de son ardeur.