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Le minimum vital

Louis Even le vendredi, 15 janvier 1943. Dans Le Crédit Social enseigné par Louis Even

Nécessaire à la vie

Combien de temps un homme peut-il vivre sans aucune nourriture? Combien de temps peut-il vi­vre rien qu'avec de l'air et de l'eau?

Combien de temps, dans nos climats, un hom­me pourra-t-il résister aux froids de l'hiver sans autre abri que les arbres et les buissons?

Quelle santé aura un enfant ou un homme dé­pourvu de tous soins médicaux et soumis, par la pauvreté de ses moyens, à une diète sans vitami­nes?

Pour se maintenir en vie et en santé, l'être hu­main a besoin d'un minimum de nourriture, d'a­bri et de soin. C'est ce que nous appelons le mini­mum vital. Minimum nécessaire à tout homme, si l'on veut que tout homme exerce son droit de vi­vre.

Placer quelqu'un dans une condition où il ne peut obtenir ce nécessaire, c'est le condamner à dépérir et à mourir.

Le moyen de vivre, le nécessaire pour vivre, c'est la première chose qu'à juste titre tout être humain cherche à se procurer. Si les hommes se sont assemblés en sociétés, et s'ils continuent de vivre dans des sociétés, c'est parce qu'ils jugent plus facile de s'y procurer le minimum vital qu'en vivant isolément. Même les tribus sauvages s'en rendaient compte;. aussi les familles d'une même tribu se déplaçaient-elles ensemble, plutôt que de se disperser dans les forêts.

Si l'association rendait plus difficile l'accès au minimum vital, sa désintégration commencerait immédiatement. Les ferments de révolte, de désordre, de dislocation dans les sociétés contemporai­nes proviennent justement de la difficulté d'un trop grand nombre à s'assurer un minimum vital, surtout en face des énormes possibilités de produc­tion qui frappent tous les yeux.

Les ventres vides devant des greniers pleins sont une accusation terrible contre ceux qui ont charge de l'ordre social.

Nécessaire à la liberté

L'homme n'est pas un simple animal. Quand bien même son catéchisme ne le lui aurait pas enseigné, il sent qu'il est un être créé libre.

L'homme tient à sa liberté. Mais tant qu'il n'a pas d'abord son minimum vital, la liberté pour lui est un vain mot.

L'homme dont tout l'être vibre lorsqu'on porte atteinte à sa liberté — même cet homme-là ram­pera, passera par des avanies humiliantes, tant qu'il n'aura pas le minimum vital.

Une fois le minimum vital obtenu, l'homme qui se respecte acceptera des privations, renoncera au bien-être, au confort, plutôt que d'aliéner sa liber­té. Mais une fois le minimum vital obtenu seule­ment; car de toutes ses fibres l'homme tient à la vie.

Tous les exploiteurs d'hommes, tant dans la po­litique que dans l'industrie, savent que l'homme dans le besoin supporte bien des injustices, bien des humiliations, surtout lorsque c'est le pain d'ê­tres chers à son coeur qui est en jeu.

Aussi les exploiteurs d'hommes, tant dans la po­litique que dans l'industrie, réagissent-ils dès qu'il est question d'assurer socialement le minimum vital à chaque membre de la société.

Dû à tout le monde

Pourtant le minimum vital est dû à tout le mon­de. Les richesses de la terre ont été créées pour tous les hommes; et ni le mode de production des ri­chesses, ni le mode de leur distribution ne chan­gera cette première loi, aussi vieille que la créa­tion de l'espèce humaine.

La loi a pu être oubliée. Dans les siècles de ra­reté, lorsque les richesses exploitées de la terre semblaient insuffisantes pour satisfaire les besoins essentiels de tous les humains, on pouvait, non justifier, mais au moins excuser l'oubli de la loi de l'usus communis.

Aujourd'hui que la production déborde partout et que les moyens de la transporter sont rapides et nombreux, il faut être criminel pour nier le droit de toute personne humaine aux nécessités de la vie. Reconnaître ce droit et refuser d'en facili­ter l'exercice est une étrange manière pour nos conducteurs d'hommes d'entendre leur mission.

Le minimum vital est un droit de naissance. Dans un monde qui regorge de tout, chaque enfant qui vient au monde doit être assuré d'avoir un mi­nimum de nourriture, d'abri et de soin tout au long de son passage sur la terre.

Une société moderne qui ne peut garantir cela est une société paralysée par la philosophie des exploiteurs pharisiens des récompenses et des châtiments.

Dans une société bien organisée, la première tranche de production, celle qui est nécessaire au minimum vital de tous les membres de la société, est affectée à la garantie du minimum vital à tous les membres de la société.

Tant que chaque membre de la société n'a pas eu ce minimum vital, qui donc peut réclamer des droits à plus que le nécessaire?

Une fois ce minimum vital assuré à chaque mem­bre de la société, les inégalités économiques peu­vent commencer, mais pas auparavant. Quelles que soient les différences de talents, de vertus, d'appli­cation, qui existent entre les hommes, ils sont tous égaux devant des besoins communs à toute l'espè­ce humaine.

Ceux que scandalisent ces phrases, parce qu'ils ne se sont pas encore dépouillés de la philosophie anti-chrétienne dont leur éducation fut tout im­prégnée, sont priés de méditer simplement l'immor­telle parole de Pie XI:

"L'organisme économique et social sera bon et sainement constitué alors seulement qu'il pro­curera à tous et à chacun de ses membres tous les biens que les ressources de la nature et de l'industrie et une organisation vraiment sociale de la vie économique permettent de leur procu­rer. Ces biens devraient être assez abondants, au moins, pour pourvoir à une honnête subsis­tance."

Bons de rationnement et minimum vital

L'établissement de bons de rationnement, com­me mesure de guerre, n'est-il pas la reconnaissance de ce principe du minimum vital?

Le gouvernement rationne pour que tout le mon­de ait plus facilement une part minimum.

Il manque évidemment, pour rendre le système efficace, l'assurance pour tous et chacun de pou­voir payer leur quote-part de la production, la quantité que le gouvernement reconnaît être pos­sible pour chacun.

Si le gouvernement décide le rationnement du beurre à une demi-livre par semaine, c'est parce qu'il reconnaît que les stocks de beurre permet­tent une demi-livre par semaine à chaque personne du pays. Et plutôt que de laisser des gens fortu­nés se graisser de beurre à souhait, il veut d'abord assurer à tous une quantité qu'il juge utile à l'en­tretien de la bonne santé. S'il jugeait le beurre un article dont on peut facilement se passer, il ne s'oc­cuperait pas plus du rationnement du beurre que du rationnement de la boisson ou des autres sortes de poison.

Il y a donc dans le système de rationnement une reconnaissance du droit de chacun à un minimum vital.

Si les bons fournis à chaque individu servaient en même temps de moyens de paiement, ce serait vraiment le minimum vital socialement garanti.

Proposition au gouvernement

En Angleterre, si nous sommes bien renseignés, onze denrées alimentaires d'usage courant sont

soumises à des coupons de rationnement. Il paraît qu'on désire faire la même chose au Canada.

Fort bien. Mais alors, qu'on aille un peu plus loin. Nous recevrions avec grand plaisir les livrets de coupons de rationnement, si le gouvernement avait la bonne idée de décréter que ces coupons suffiront pour obtenir la marchandise, sans avoir à déposer de l'argent sur le comptoir. Le livret de Coupons ressemblerait à un dividende national ap­plicable à l'obtention d'un minimum de beurre, de café, de sucre, plus tard de viande, de fruits, de lait, de bois ou de charbon, d'habits, etc. Ce serait en un mot, pour tous et chacun, l'assurance d'un minimum vital. Et autant de droits à un minimum vital que de membres dans la famille, puisque les livrets de coupons sont individuels.

Mais nous voyons la figure du marchand. Que ferait-il avec ces coupons sans argent? Il les pré­senterait à la banque, qui lui inscrirait un compte correspondant, de la même manière qu'elle inscrit aujourd'hui un compte correspondant aux dében­tures du gouvernement.

Pour le consommateur, les coupons seraient l'as­surance d'un minimum vital. Pour le marchand ou le producteur, la banque changerait ces coupons en argent courant qui permettrait au producteur d'a­voir n'importe quoi, outre son propre minimum vital, en retour de son travail.

Et la banque? La banque tirerait sur la banque du gouvernement, la Banque du Canada, qui est le mécanisme attitré pour augmenter l'argent.

Mais l'argent s'accumulerait? Le gouvernement possède un mécanisme très perfectionné, son sys­tème de taxes, pour retirer l'argent en circulation dans la mesure où il est utile de le retirer pour la bonne santé du système économique.

Le gouvernement ne pratique-t-il pas ce pompage avec beaucoup d'efficacité pendant la guerre?

Comme quoi, il ne reste pas grand'chose à éta­blir en fait de statistiques, ni à inventer en fait de technique, pour avoir quelque chose de très adap­table à un système créditiste, sujet d'ailleurs aux perfectionnements suggérés par le fonctionnement.

Il reste l'objectif. Car, dans toutes ces innova­tions dues à la guerre, il n'est pas encore entré dans la tête de nos politiciens vieille-école d'assurer gratuitement un minimum vital à tous et à chacun des membres de la société.

Mais l'objectif, c'est au peuple lui-même, en dé­mocratie, de l'imposer à son gouvernement.

C'est ce dont se chargera, une fois formée, l'U­nion des Électeurs.

Louis Even

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