À tout seigneur tout honneur. Au cours des deux derniers siècles, de grands esprits ont bien attaqué le système monétaire bancocrate et demandé aux gouvernements de reprendre, dans leurs pays respectifs, le contrôle de l'argent. Mais c'est le major C. H. Douglas qui, le premier, fit l'analyse complète du mal inhérent au système actuel et proposa une technique scientifique pour le corriger et l'adapter au progrès moderne.
Le major Douglas fera figure dans l'histoire de l'économique. Il laissera dans l'ombre Marx et son socialisme, Adam Smith et son individualisme, ainsi que la pléiade de petits maîtres qui cherchent encore la solution à des problèmes de rareté dans un monde désemparé par l'abondance.
C. H. Douglas naquit en Écosse en 1879 et fit ses études à l'université de Cambridge. Muni des grades d'ingénieur électricien, ingénieur mécanicien et comptable licencié, il entra au service de la British Westinghouse Co. comme ingénieur de construction.
À Bombay, dans les Indes, où il dirigeait l'érection d'une installation hydro-électrique pour la conservation des eaux, il fut contraint de renvoyer ouvriers, techniciens et personnel, parce que le crédit faisait défaut. Les hommes, le matériel étaient là, et l'absence de crédit les immobilisait !
Un peu plus tard, engagé par le gouvernement anglais pour la construction d'un chemin de fer en Grande-Bretagne, il vit encore le travail arrêté pour manque de crédit. L'absence de crédit frustrait même le gouvernement ! Cette fois, les termes "manque de crédit" restèrent gravés dans l'esprit de Douglas et il résolut d'explorer ce sujet.
Pendant la grande guerre de 1914 à 1918, Douglas fut à l'emploi du gouvernement comme ingénieur et comme comptable aux avionneries de Farnborough, en Angleterre. C'est là qu'il découvrit l'écart constant entre la somme des paiements distribués en salaires, bonis et dividendes au cours de la production et le prix du produit fini.
Un autre trait de l'économie de guerre le frappa : alors que pratiquement tous les hommes physiquement valides étaient aux armées, l'Angleterre jouissait d'une prospérité sans précédent ! Les produits sortaient donc abondants avec une très faible contribution de labeur humain.
De ces études et de ces recherches, Douglas tira la conclusion renversante que les économistes sont dans l'erreur en soutenant le postulat fondamental de notre système : La production finance automatiquement la consommation. Tout notre système de distribution est lié à cette croyance, et Douglas la déclarait fausse !
Ce qui plus est, il démontrait mathématiquement que la production ne finance pas la consommation ; que, par conséquent, il faut suppléer à ce qui manque par une finance directe à la consommation.
Plusieurs facteurs sont par lui mis en cause : le prix du produit englobe tous les frais, même ceux qui n'ont pas distribué dans le public une somme correspondante de pouvoir d'achat. Puis il y a la création et la destruction irrationnelles de l'argent par les banquiers qui sabotent tout équilibre possible.
Il exposa ses avancés et ses arguments d'abord dans The English Review immédiatement après l'armistice, à l'automne de 1918. Puis il en fit le sujet de divers ouvrages.
Son premier livre, Economic Democracy, terminé en novembre 1919 et publié en 1920, menaçait donc à la fois le prestique des économistes orthodoxes et la domination des banquiers. Les premiers le traitèrent d'hérétique notoire et les seconds mirent leurs millions en œuvre pour bloquer l'expansion de la théorie naissante.
Cependant, un journaliste anglais, A. R. Orage, rédacteur du New Age, écouta Douglas, étudia ses idées et en saisit l'immense portée. Sous la plume de ce brillant écrivain, New Age diffusa en Angleterre les idées de l'ingénieur-économiste écossais.
Douglas écrivit d'autres volumes : Credit Power and Democracy, The Control and Distribution of Production, Social Credit, The Monopoly of Credit, Warning Democracy.
La publication de cette littérature porta au loin le message d'espoir contenu dans la doctrine économique qu'on appela Crédit Social. On avait enfin la clef de la distribution de l'abondance moderne.
Des esprits éveillés de l'ouest canadien entrevirent les réalisations possibles que permettait le Crédit Social. Des députés du parti Progressiste réussirent, par leur pression à la Chambre des Communes, à faire inviter le Major Douglas comme témoin au Comité parlementaire de la Banque, à Ottawa, en 1923. Il passa de nouveau au Canada en 1929, se rendant au Japon. À cette occasion, il adressa la parole à l'Engineering Institute of Canada ; il parla aussi à Tokio (Japon) le 5 septembre 1929.
Le major Doublas témoigna aussi devant le Comité McMillan de la Finance et de l'Industrie, en Angleterre, le 1er mai 1930.
Douglas témoigna de nouveau devant le Comité de la Banque à Ottawa en 1932. En 1934, c'est le gouvernement des Fermiers-Unis d'Alberta qui le demandait pour consultation, à la suite de quoi il fut engagé comme aviseur financier non résident. Il revint en Alberta en mai 1935 et laissa au gouvernement des Fermiers-Unis un rapport sur le cas de la province.
Le major Douglas eut aussi l'occasion de parler en plusieurs circonstances remarquables hors d'Angleterre : en Norvège, devant le roi Haakon, le premier-ministre et d'autres personnages publics ; à Sydney, en Australie, d'abord devant un groupe de 900 professionnels et hommes d'affaires, puis au stadium de cette cité devant 17,000 personnes ; à Christchurch, en Nouvelle-Zélande (13 février 1934). Il s'agissait d'une tournée mondiale au cours de laquelle il put parler à la radio à New-York et à Washington.
À son retour, il donnait à Buxton, Angleterre, la célèbre conférence du 9 juin 1934, sur la nature de la démocratie.
Le major Douglas écrit encore aujourd'hui. Ses articles dans The Social Crediter, publié à Liverpool, sont riches de précieux commentaires sur les événements actuels. C'est lui qui choisit pour l'Alberta l'expert en économie nouvelle, L. D. Byrne, aviseur du gouvernement d'Aberhart dans sa magnifique lutte contre les puissances d'argent.
Douglas possède un esprit remarquablement lucide. Dès 1923, il écrivait que les gouvernements n'ayant pas su changer à temps leur système monétaire, une seconde guerre devenait inévitable.
À Ottawa, en 1923, il prévint aussi les enquêteurs que, si le changement de système ne se faisait pas, une débâcle économique formidable se produirait vers 1929.
Lorsqu'il se rendit à la Conférence mondiale des Ingénieurs, au Japon, à l'automne de 1929, il passa de nouveau à Ottawa, et on lui fit remarquer que sa prédiction de 1923 ne s'était pas réalisée. Il répliqua que, selon toute probabilité, le krach arriverait dans les quatre semaines. Le krach eut lieu le même mois.
Aussi est-ce d'une voix autorisée qu'il pouvait dire à la législature albertaine en 1933 :
"De même que je leur ai prédit à Ottawa, en 1923, exactement ce qui devait arriver vers 1929, je vous dis aujourd'hui, en 1934, que si vous ne changez pas votre système financier avant 1940, c'est lui qui vous changera et qui vous éliminera probablement."
L'Alberta a pris la leçon.
Nous ferons remarquer à nos lecteurs que le major Douglas, quoique protestant, est le seul homme qui ait présenté au monde un système monétaire qui s'accorde parfaitement avec la doctrine sociale de l'Église, qui rompt les entraves financières au libre développement de la personne humaine, qui évite à la fois l'individualisme brutal et l'enrégimentation socialiste.