Distribuer la production au lieu de la rationner
Le dividende social au lieu du plein emploi
Tous les Canadiens capitalistes
La taxe foncière, au moins dans notre pays, sert surtout à financer les corps publics locaux : conseils municipaux et commissions scolaires. Ne faut-il pas que ces corps publics obtiennent de l'argent pour payer les employés municipaux, les enseignants et les constructions exigées pour les services : hôtels de ville, aqueducs, écoles, etc. ?
Certainement. Ce sont d'ailleurs ces corps publics locaux qui sont les plus utiles à la population, ceux qui sont le plus près du peuple, qui peuvent mieux connaître les besoins publics de la population et l'ordre de leur urgence et ceux dont la population peut mieux surveiller l'administration.
Mais cela ne justifie en rien le mode de financement qu'est la taxe foncière prélevée sur les propriétés locales.
Ces corps publics rendent des services, oui ; et on doit payer les services reçus, oui encore.
Si j'obtiens les services d'un médecin, je dois payer ce médecin ; de même si la municipalité où je réside possède un service de vidange, je dois payer ce service, qui me dispense de porter moi-même mes déchets à un dépotoir, ou de payer un individu pour le faire à ma place.
De même, si un aqueduc municipal me fournit l'eau, me dispensant de la nécessité d'aller en chercher à une source ou à une rivière ou à un lac peut-être éloignés, je dois payer le service dont je bénéficie.
De même encore, si la municipalité possède un service de pompiers pour venir à mon secours en cas où ma maison serait en feu, ou la préserver contre l'expansion d'un incendie dévorant des maisons voisines, je dois payer ce service.
On peut en dire autant de l'école ou autres institutions dont je bénéficie personnellement ou communautairement.
Mais cela ne change rien au fait que si une population est capable de fournir les hommes ou les matériaux voulus pour tous ces services publics, tout en continuant d'être capable de fournir les biens consommables pour les besoins privés, la population ne doit pas avoir à se priver des biens privés pour obtenir les biens publics. Or les taxes font cela, la taxe foncière fait cela, ce qui n'a aucun sens.
Cela est vrai de services régionaux ou provinciaux, comme les rues et trottoirs, les routes nationales ou vicinales, le service de la police provinciale, etc.
Mais, encore une fois, si la population d'un territoire, de la province de Québec par exemple, est capable d'offrir à la fois les biens privés et les biens publics, elle n'a aucunement besoin d'être privée de droits aux biens privés pour pouvoir jouir aussi des services publics. Autrement dit, elle doit être pourvue du moyen de payer les deux. Elle pourrait être taxée pour payer ses écoles, par exemple, si ces écoles étaient construites ou conduites par des Chinois, ou d'autres étrangers. Et encore, pas pour des matériaux ou autres biens obtenus de l'étranger en contre-partie de produits ou de services fournis à l'étranger. Mais pas pour des choses faites par des bras et avec des matériaux du pays.
Cette vue du réel, de ce qui est un fait, suggère qu'il y a quelque chose d'absolument vicié dans notre système financier, celui de notre pays comme d'ailleurs de tous les pays industrialisés ; quelque chose qui fausse le réel et crée des difficultés ineptes. Cela devrait suggérer au premier ministre de la province de réviser ses notions économiques, de renoncer à des voyages de quêtes et d'endettement à l'étranger et consacrer quelque temps à s'orienter, à chercher le nord ailleurs qu'au sud.
Une boussole à cette fin a été mise à la disposition des esprits droits, il y a plus de trois-quarts de siècle par un homme de génie qui, en plus d'être ingénieur civil, ingénieur en électricité et comptable agrégé, fut un philosophe.
Constatant les obstacles d'ordre purement financier à la réalisation de projets publics qui répondaient à des besoins réels et urgents, il sonda et analysa ces obstacles. Puis, il sut appliquer à l'élaboration d'un système financier sain la règle du philosophe : les moyens au service des fins, au lieu d'admettre le sacrifice d'une fin économique et sociale à des moyens inappropriés et viciés ; et aussi la règle de l'ingénieur : au but par la voie la plus droite et la plus courte possible.
Cet homme de génie fut l'Écossais Clifford Hugh Douglas. Ses propositions, d'abord présentées comme "Démocratie Économique", prirent ensuite le nom sous lequel elles sont plus connues aujourd'hui : Crédit Social.
Mais, économistes et gouvernements ont levé le nez devant ce soleil et continué, leurs falotes lanternes à la main, de chercher des voies impossibles dans des chemins en cul-de-sac.
Depuis 1935, au Canada, le journal Vers Demain et d'autres écrits braquent le soleil créditiste sous leurs yeux ; ces yeux, ils les ferment ou les détournent, ne pensant qu'en termes de partis s'ils sont dans la politique, assimilant le terme "Crédit Social" aux cogitations de politiciens qui cherchaient un salaire de député plutôt que le dividende pour tous.
Quant aux contrôleurs nationaux et internationaux du système monétaire vicié et vicieux, ils se rient de ces amusements qui occupent les esprits et divisent les victimes de leur dictature.
Il est illogique de taxer les citoyens pour des services publics dans un pays dont le problème n'est pas de produire à la fois services et biens publics et privés, mais de distribuer sa production. Illogique de ne penser au pouvoir d'achat qu'en termes de salaires, alors que la production moderne est de beaucoup plus, et de plus en plus, le fait de la machine que des employés à salaires. Illogique de préconiser des politiques de plein emploi quand on ne peut déjà pas écouler la production accumulée. Illogique de lier le pouvoir d'achat uniquement à l'emploi quand la production continue, et même augmente, avec une diminution de l'emploi.
Dans une économie productive qui libère de plus en plus du besoin de l'emploi, il faut une économie distributive qui libère de plus en plus le pouvoir d'achat du besoin des salaires. Un pouvoir d'achat composé de moins en moins de salaires et de plus en plus de dividendes, de sorte que, si les progrès en automation en venaient à un point où il suffirait, disons de 10 personnes sur 100 pour produire tout ce que réclame la satisfaction des besoins d'une population, les 90 autres devraient nécessairement avoir un pouvoir d'achat composé entièrement d'autre chose que des salaires. Cet "autre chose", non lié à l'emploi, nous l'appelons "dividende". Et le total des salaires serait bien petit avec seulement 10 salariés sur 100 de population, comparativement à la somme de pouvoir d'achat composée uniquement de dividendes.
C'est vers une situation de ce genre que tend le progrès bien compris et non entravé. S'obstiner à ne voir que dans l'emploi un droit à la production est absurde et peut bien soulever des problèmes de fous. Admettrait-on que 90 personnes non employées sur 100 soient condamnées à souffrir et mourir de privations du nécessaire ? Et alors, les dix salariés pourraient être réduits à un ou deux, puisque 90 pour cent des consommateurs seraient disparus !
C'est l'opposition à cette introduction de dividendes à tous, comme partie croissante du pouvoir d'achat total, face à une production qui a de moins en moins besoin de salariés, qui cause bêtement des problèmes sociaux dans la distribution de la production moderne. Et ça mène à la révolution, même si les taxes sur le pouvoir d'achat des salariés pour soutenir les secourus du "bien-être social" mitigent un peu les conséquences de la bêtise. Cette mitigation perdra de plus en plus sa vertu, et le mécontentement grandira de plus en plus, à mesure que diminuera le pourcentage de salariés taxables et qu'augmentera le pourcentage des insuffisamment pourvus qu'il ne peut être question de taxer.
Qu'attend-on pour constater l'inefficacité et la toxicité d'un mode de distribution qui lie à l'emploi le droit à une production qui se passe de plus en plus de l'emploi ? Les seuls jalons dignes de considération par quiconque n'est pas englué dans la mélasse des règlementations financières actuelles, c'est, d'une part, l'existence de besoins humains, personnels, familiaux et sociaux, et d'autre part, l'existence de possibilités capables de les satisfaire.
Le système financier doit être assoupli à ces réalités, et non pas les réalités assujetties à une finance dominatrice. Et pour la constitution d'un pouvoir d'achat approprié à tous les degrés de développement en matière de production, Douglas condense ce que nous avons dit ci-dessus dans une de ses propositions financières pour l'établissement d'un système financier souple et efficace :
"La distribution de moyens de paiement aux individus doit progressivement dépendre de moins en moins de l'emploi. C'est-à-dire que le dividende doit progressivement déplacer les salaires et les traitements."
Déplacer les rémunérations à l'emploi, à mesure qu'augmente le rendement par homme-heure, c'est-à-dire à mesure que la mécanisation, la motorisation, l'automation déplacent le besoin d'employés. Ce qui est parfaitement conforme à la logique.
Ce serait aussi parfaitement conforme au progrès, qui doit libérer de plus en plus l'homme des soucis matériels, pour lui permettre de se livrer à des fonctions humaines, plus épanouissantes que la seule fonction économique. Les sociologues et moralistes qui préconisent comme solution la création de nouveaux emplois se font promoteurs du matérialisme, car il faut alors promouvoir de nouveaux besoins pour pouvoir écouler la production résultant de nouveaux emplois. S'en rendent-ils compte ? Ils sont les mêmes qui boudent le Crédit Social libérateur et qui finissent par tourner leur boussole vers le socialisme pour garder les hommes dans l'attelage.
Il est illogique que les prix aillent toujours en augmentant quand la production devient de plus en plus facile et de plus en plus rapide. On appelle cela « inflation », et tout le monde s'en plaint, les gouvernements comme les individus. Mais l'inflation demeure, et même s'accentue. Tout cela parce que le système financier n'est pas en rapport avec le progrès dans la production, parce qu'il est faux sur toute la ligne.
Les cycles alternants de « booms », de déflation, d'inflation, de surabondance puis de restriction du crédit financier, n'ont aucun rapport logique avec les besoins humains normaux qui sont à peu près toujours les mêmes, ni avec les possibilités de les satisfaire qui ne disparaissent point ainsi avec les restrictions de crédit, pour reparaître lorsque les maîtres de l'argent et du crédit acceptent de mettre fin aux restrictions. Les possibilités physiques sont toujours là : ce sont les manœuvriers du crédit financier qui mettent des entraves à la mise en œuvre de ces possibilités.
Crises et suites de crises, inflation et effets de l'inflation, sont dus au système financier vicié, malsain, dictateur et perturbateur.
Si les propositions financières élaborées par Douglas, et énoncées par lui en 1918, avaient été mises en application, au moins dans un un pays industrialisé, disons en Angleterre où elles furent premièrement présentées publiquement de 1919 à 1924, d'autres pays auraient vite suivi. Et le monde n'aurait pas connu les boursouflures financières sans base des années 1926 à 1929, ni la crise abismale de nos années '30 ; ni entre autres les 7 millions de chômeurs en Allemagne facilitant l'accès de Hitler au pouvoir en 1933 ; ni la transformation du chômage allemand en un développement considérable de ce pays, et la création d'une armée formidable, par l'utilisation sans entraves de Crédit réel allemand, pendant que les autres nations restaient enfargées dans la soumission aux dictats de la finance internationale ; ni la guerre meurtrière de 1939 à 1945, d'où le communisme est sorti avec la domination politique de presque la moitié du monde ; ni les menaces actuelles de révolutions qui grondent partout.
Illogique, la dette nationale, toujours croissante, qui, après tout, représente des réalisations effectuées par la population capable de produire, mais ayant dû demander à un système financier faux la permission de mettre en œuvre cette capacité de production. La dette équivaut donc à un actif changé partiellement en dette. Le Crédit Social de Douglas propose de rétablir l'équité en transformant la dette nationale en actif national, actif utilisé comme source de dividendes nationaux (ou sociaux) à distribuer à tous les citoyens. Comme le feraient tous les autres accroissements de l'actif national.
Toutes les compagnies savent tenir un compte exact de leur actif et de leur passif, et non pas seulement de leurs achats et de leurs ventes. Les gouvernements, eux, ne savent tenir compte que de leurs recettes et de leurs dépenses. Et c'est pourquoi le pays le plus riche au monde, les États-Unis d'Amérique, est aussi le pays « affligé » de la plus grosse dette nationale au monde. Au lieu de tenir compte de l'actif accru par le développement, il le traduit par un endettement. Aussi n'y est-il pas question, même dans ce pays riche, de dividende national, mais de taxes et de surtaxes.
Chaque génération est héritière des acquêts, des enrichissements, de la capacité de production accrue par les générations précédentes. Notre génération dispose ainsi d'un immense héritage qui n'est point l'œuvre d'un vivant actuel plus que de l'autre. C'est un héritage social dont l'usufruit doit profiter également à tous les héritiers. D'où la proposition créditiste de C.H. Douglas : un dividende social à chaque citoyen tout au long de sa vie terrestre. Tout citoyen étant ainsi reconnu comme capitaliste et traité comme tel, qui donc serait porté à loucher vers une économie socialiste dont la production à répartir est bien inférieure à celle de l'économie capitaliste.
Il n'y a pas de possibilité de supprimer les illogismes, les injustices, les sources de mécontentements dont souffre injustifiablement notre monde de production facile et abondante, tant que le présent système continue de régir l'organisme économique. Puissions-nous avoir donné à des lecteurs de ces pages, non encore familiers avec l'enseignement du Crédit Social de Douglas le désir de l'étudier au plus tôt, puis d'en propager la connaissance autour d'eux. Le Crédit Social, nous en sommes persuadés, est, sur le plan économique et social, le seul moyen efficace d'éviter l'envahissement des esprits vers le marxisme et le communisme exploitant la mauvaise distribution actuelles des biens.
La taxe foncière, qui écorche les propriétaires, mène à grands pas vers le communisme. À la dépossession graduelle des propriétaires, s'ajoutent les privations forcées en face de l'abondante production réalisée ou immédiatement réalisable, ce qui ne peut qu'aigrir les économiquement faibles. Les secours de diverses formes de « Bien-être Social », qui enlèvent aux uns pour donner aux dépourvus, qui pigent dans les assiettes pleines pour en mettre un peu dans les assiettes vides, alors que le garde-manger de la nation est plein à craquer, peuvent certainement calmer des faims criantes, mais comme nous l'avons souligné plus haut, en irritant les uns et en blessant la dignité des autres, ceux-ci devant exposer et prouver leur indigence et se plier à des enquêtes périodiques humiliantes.
Combien différent serait le tableau si, au lieu d'assistés sociaux, on n'avait que des capitalistes sociaux. Chaque citoyen, employé ou non, avec ou sans autre source de revenu, chaque citoyen cohéritier, à titre égal avec les autres, à l'accroissement de productivité hérité des générations précédentes ; donc ayant droit à sa part de la production actuelle résultant de la mise en œuvre de ce capital communautaire très productif. Ce qui ne suprimerait en rien la rémunération pour le travail fourni. Mais les deux, salaires individuels et dividendes sociaux, formant un pouvoir d'achat auquel s'ajusterait la somme des prix, par l'application d'une autre grande proposition énoncée par Douglas.
Tous les citoyens capitalistes : quel plus formidable obstacle peut-on opposer au communisme sur le plan économique ?
Puis, au lieu de la ruine des propriétaires par la taxe foncière, une économie financière créditiste faciliterait l'accession à la propriété par quiconque en ayant le désir serait prêt à en assumer la responsabilité.
Taxes, non ; dividende, oui.