EnglishEspañolPolskie

Le chiffre pour acheter

Louis Even le mercredi, 01 avril 1942. Dans Le Crédit Social enseigné par Louis Even

Les lecteurs assidus de VERS DEMAIN savent et com­prennent de mieux en mieux que l'argent n'est, en définitive, qu'un chiffre pour acheter. Chiffre sur une rondelle de métal ; chiffre sur un rectangle de papier ; chiffre dans un compte de banque ou de caisse.

La dernière espèce de chiffres — les chiffres des comptes de banque — est la plus moderne et la plus parfaite.

Les chiffres sur métal ou sur papier passent de poche à po­che. Les chiffres dans les comptes de banque ou de Caisse popu­laire passent simplement de compte à compte. Et ça fait la même chose : les marchandises bougent quand les chiffres bougent, n'importe où sont ces chiffres.

Il n'y a donc rien de bien mystérieux dans l'argent. Comme les chiffres servent aussi à compter, et comme il est facile d'éva­luer la production, il devrait être facile de faire les "chiffres pour acheter" correspondre exactement à la production offerte. Ce serait logique.

Les chiffres changent de place — quand il y en a assez. Quand il n'y en a pas beaucoup ; ceux qui les possèdent les ser­rent ; les chiffres s'immobilisent, et les marchandises aussi.

Les chiffres dans les comptes

Supposons le bout de compte suivant :

M. JACQUES LECLERC

Dates                                   Dé.                 Cr.                      Net

1er avril Par dépôt                                    100.00                100.00

2 avril    à Jean Ledoux         14.00                                        86.00

3 avril    à Louis Durand          8.50                                        77.50

4 avril    par Nil Gagnon                                1.50                  79.00

Tous ceux qui ont eu des comptes à la banque ou à la caisse savent ce que signifient ces écritures.

Le 1er avril, M. Leclerc a déposé $100.00. Cela va à son cré­dit (colonne Cr) et, s'il n'avait rien auparavant, il a maintenant $100.00 (colonne Net).

Le 2 avril, il a pu acheter de Jean Ledoux pour $14.00 d'é­piceries, payées par un chèque. Le caissier débitera le compte de $14.00 (colonne Dé.). Il restera $86.00 (colonne net).

Le 4 avril, par contre, M. Leclerc a vendu à Nil Gagnon des marchandises ou des services pour $1.50. S'il dépose le chèque reçu de Gagnon, le compte de M. Leclerc augmente de $1.50 (co­lonne Cr) et devient $79.00.

Voilà des chiffres qui changent de compte lorsque des marchandises changent de place.

∗ ∗ ∗

Supposons maintenant que ces messieurs Leclerc, Ledoux, Durand, Gagnon, vivent dans un pays où il n'y a pas d'argent et qu'ils désirent établir un système d'argent moderne.

Le moyen le plus simple va être d'opérer de la même façon. Ouvrir à chacun d'eux un compte : le même à chacun pour com­mencer, puisque c'est un commencement, c'est de l'argent neuf à mettre quelque part où il puisse servir, où il puisse passer des uns aux autres selon les ventes. Il serait injuste de mettre plus à un qu'à un autre, avant que l'argent commence à être gagné les uns des autres.

Le compte de M. Leclerc va marcher exactement de la même manière que ci-dessus, excepté que la première ligne, au lieu de s'appeler "Par dépôt", s'appellera "Par émission".

Quand il vient ainsi une ligne "Par émission", il est clair que les comptes augmentent, mais que pas un ne diminue, puis­que c'est une émission, non un transfert.

Cela veut dire que, s'il n'y avait pas du tout d'argent dans notre pays, il serait facile d'y en mettre, sans chercher de mine d'or, simplement avec un livre de comptes, une plume et de l'en­cre. C'est d'ailleurs ce que font les banques lorsqu'elles augmen­tent les dépôts par des prêts aux gouvernements ou aux indus­triels.

* * *

Si maintenant, nos messieurs Leclerc, Ledoux, Durand et Gagnon sont dans un pays où il y a de l'argent, mais pas en quantité suffisante pour échanger entre eux le produit de leur travail, que vont faire ces hommes et d'autres qui pensent com­me eux ?

Ils vont peut-être se plaindre, attendre, se plaindre, atten­dre, se plaindre, attendre. Et pendant ce temps-là, leur produc­tion va s'empiler, ils vont la diminuer, leurs machines vont rouil­ler, leurs bras vont s'amollir, leur cœur va se dégoûter.

Ou bien, ils vont se révolter, tout casser, tout chambarder, créer des haines, faire jouer la loi du plus fort et aboutir à un désordre qui changera peut-être les victimes de rôle, mais qui prendra probablement bien du temps à faire la place à un ordre véritable.

Ou bien, ils vont simplement dire :

"Puisqu'il y a déjà de l'argent, mais qu'il n'y en a pas assez, convenons d'échanger entre nous nos surplus par une comptabilité supplémentaire. Pas une comptabilité-argent de ban­quier, puisque nous n'avons pas de charte de banque. Pas une comptabilité à imposer à la nation, puisque nous ne sommes pas le pouvoir législatif. Mais une comptabilité de convention entre nous seulement."

Nos hommes peuvent décider, par exemple, d'augmenter leur pouvoir d'achat de 5 pour cent toutes les fois qu'ils effec­tueront des achats entre eux. Chaque fois que l'un d'eux achè­tera d'un autre pour la valeur d'un dollar, il ne paiera que 95 sous et recourra à la comptabilité supplémentaire pour les 5 au­tres sous.

Pour partir cette comptabilité, ils peuvent s'inscrire une base initiale, 10 par exemple. Un petit nombre suffit, parce que 5 pour cent n'est qu'une petite fraction du prjx.

Ce 10 est placé au crédit du compte de chaque personne, comme lorsqu'on ouvre un compte ordinaire. Mais, au lieu d'é­crire "Par dépôt", puisque ce n'est pas un dépôt, ils vont écrire "Par entente mutuelle", ou "Par convention', ou "Par associa­tion", ou quelque autre chose de la sorte.

Puis, ils enregistreront, dans ces comptes privés, les trans­ferts de chiffres représentant 5 pour cent du montant des achats à mesure qu'ils effectuent ces achats selon les termes convenus.

Considérons le bout de compte suivant :

M. NIL GAGNON

Dates                                                Dr.                          Cr.                     Net

1er avril    Par entente mutuelle..                                10.00.                 10.00

2 avril à     Jacques Leclerc            2.00                                                   8.00

3 avril à      Louis Durand                0.75                                                   7.25

4 avril par  Jean Ledoux                  0.50                                                   7.75

 

L'entrée du 2 avril signifie que M. Gagnon a payé son loyer, peut-être, à M. Jacques Leclerc, $40.00. Il a donné $38.00. Le reste, $2.00, est simplement enregistré en passant d'un compte à un autre. De cette manière, M. Nil Gagnon a sauvé $2.00 de bel argent. Il a augmenté son pouvoir d'achat de $2.00, c'est-à-dire de 5 pour cent du montant $40.

Le 3 avril, M. Gagnon achète de la quincaillerie et de la pein­ture chez M. Durand. Son compte s'élève à $15.00. Il paie $14.25, c'est-à-dire le montant total moins 5 pour cent. Pour le 75 sous qui reste, il fait transférer 0.75 de son compte au compte de M. Du-rand. Il reste 7.25 à M, Gagnon.

Le 4 avril, c'est M. Gagnon qui vend des œufs et d'autres pro­duits à M. Ledoux pour $10.00. M. Ledoux ne lui donne que $9.50 et fait transférer 0.50 sous de son compte au compte de M. Gagnon. Cet­te fois, le compte de Nil Gagnon remonte à $7.75.

Et ainsi de toutes les transactions, à mesure qu'elles vien­dront.

Pour profiter de cet avantage, les intéressés vont acheter les uns des autres tout ce qu'ils peuvent fournir les uns aux autres. Ils s'approvisionneront ailleurs seulement lorsque ce sera néces­saire.

On prévoit le résultat. L'augmentation de 5 pour cent dans le pouvoir d'achat va activer le commerce interne et amorcer une augmentation de production, justifiant une nouvelle aug­mentation de pouvoir d'achat. Rien n'empêchera nos hommes alors de porter l'augmentation à 10 pour cent, par le même pro­cédé. Le plafond ne sera qu'à la limite de la capacité de produc­tion ou à la saturation des besoins. Dans ce dernier cas, ils vont ajouter à leurs loisirs sans en souffrir.

Comme quoi, lorsqu'on a un peu d'intelligence et qu'on s'en­tend, la comptabilité peut devenir une servante au lieu d'une maîtresse. Mais il est certainement stupide de se laisser mourir par manque de chiffres.

Louis Even

Poster un commentaire

Vous êtes indentifier en tant qu'invité.

Panier

Dernière parution

Infolettre & Magazine

Sujets

Faire un don

Faire un don

Aller au haut
JSN Boot template designed by JoomlaShine.com