« Dès qu'une nation a cessé de contrôler elle-même sa monnaie et son crédit, il importe peu qui fait ses lois. L'usure une fois au contrôle ruinera n'importe quel pays. Tant que le contrôle de l'argent et du crédit n'aura pas été restitué au gouvernement et reconnu comme sa responsabilité la plus évidente et la plus sacrée, il est vain de parler de démocratie et de souveraineté du parlement. »
1935. Le gouvernement conservateur de M. Bennett termine cinq années de pouvoir. La grande crise, qui date de l'automne 1929, enserre encore le pays.
Cette crise n'est pas le fait du parti conservateur. Elle sévit dans tous les pays, sans distinction de régimes ni de partis. Au Canada, elle a commencé sous le gouvernement libéral de Mackenzie King. C'est même pour cela que le peuple a remplacé les Libéraux par les Conservateurs aux élections de 1930. Quand le peuple est mécontent, il change de gouvernement.
Quelles que soient les attaques des orateurs libéraux contre les Conservateurs, Mackenzie King, lui, sait parfaitement que la crise n'est pas le fait d'un parti plus que d'un autre ; que c'est une crise d'argent, qu'elle est due à la restriction du crédit par le système bancaire ; et qu'un mécanisme approprié d'émissions de crédit, agissant dans l'intérêt du peuple, pourrait fournir au peuple tout l'argent nécessaire à ses besoins.
Lui-même n'a-t-il pas déjà écrit dans un livre, Industry and Humanity, publié en 1918, un an avant d'être élu à la tête du parti libéral : « L'argent ne consiste qu'en chiffres gravés sur du métal, imprimés sur du papier ou inscrits dans des grands-livres de banque. » Pourquoi alors laisser un peuple en crise sous un contrôle vicié de ces chiffres ?
Mackenzie King (voir photo) saisit toute l'importance de cette question. Et dès le début de la campagne électorale de 1935, il fait, en tant que chef du parti libéral, de remarquables déclarations :
« Dès qu'une nation a cessé de contrôler elle-même sa monnaie et son crédit, il importe peu qui fait ses lois. L'usure une fois au contrôle ruinera n'importe quel pays. Tant que le contrôle de l'argent et du crédit n'aura pas été restitué au gouvernement et reconnu comme sa responsabilité la plus évidente et la plus sacrée, il est vain de parler de démocratie et de souveraineté du parlement.
« Le parti libéral croit que le crédit est une affaire publique, qui n'intéresse pas exclusivement les banquiers, mais qui concerne directement le citoyen ordinaire. Le parti libéral se prononce pour l'établissement immédiat d'une banque nationale bien constituée pour le contrôle de l'émission de la monnaie en termes du besoin public. La circulation monétaire doit être en rapport avec les besoins domestiques, sociaux et industriels du peuple canadien. »
Mackenzie King n'ignorait pas l'existence de la tyrannie financière ; il sait que les puissances d'argent sont le véritable ennemi du peuple. Mais il se campe du côté du peuple, et, parlant à Saskatoon, il déclare fièrement :
« Si mon parti reprend le pouvoir, nous ferons valoir notre politique monétaire dans la plus grande bataille entre les puissances financières et le peuple dont le Canada ait jamais été témoin. »
Le vote du 14 octobre 1935 donne le pouvoir au parti libéral, avec une majorité sans précédent à la Chambre des Communes. Le soir de ce triomphe, Mackenzie King s'adresse à la nation canadienne, et la radio porte ces phrases dans tous les foyers du pays :
« Le scrutin d'aujourd'hui endosse les vues du parti libéral ; que le crédit est une affaire publique, concernant directement chaque citoyen.
« C'est un verdict contre la propriété et le contrôle privés d'une banque nationale ; en faveur d'une banque nationale dûment constituée, pour le contrôle des émissions d'argent en termes du besoin public. Impossible de s'y tromper, l'électorat réclame la restitution du contrôle de l'argent et du crédit au gouvernement du Canada.
« A mesure que se poursuivait la campagne électorale, il devenait de plus en plus clair que le peuple veut voir toutes les fonctions de gouvernement exercées par ses représentants, et non pas par aucun autre pouvoir. L'électorat a déclaré qu'un ministère responsable, et non pas la finance organisée ni les puissances internationales de l'argent, doit contrôler toutes les affaires de l'Etat. »
Ces paroles, tant après qu'avant l'élection, sont claires : la tyrannie financière doit cesser ; le peuple doit obtenir d'une banque bien à lui tout l'argent nécessaire pour mettre la productivité du pays au service de ses besoins, besoins domestiques, sociaux et industriels.
On peut se demander pourquoi il n'a pas été fait suite à cette prise d'attitude par le chef libéral. Pourquoi, même avec la Banque du Canada entièrement nationalisée, le peuple n'a pu et ne peut encore avoir les moyens financiers répondant aux possibilités réelles de satisfaire ses besoins. Pourquoi, à peine installé au pouvoir, Mackenzie King alla chercher comme ministre des Finances un directeur de la Banque internationale Barclay, Charles Dunning, qui n'était pas député, qui ne s'était même pas présenté aux élections. Qui donc lui imposa ce choix ?... Et l'on est encore à attendre aujourd'hui « la plus grande bataille dont le Canada ait jamais été témoin entre les puissances financières et le peuple ».
L'article précédent a été écrit par Louis Even en 1958. Dans un autre article écrit par lui en 1952, il apporte certaines précisions sur le même sujet, en voici la conclusion :
Ces déclarations de Mackenzie King avaient fait sensation en 1935, du moins dans les milieux renseignés sur la dictature de l'argent et du crédit. Quelques années plus tard, une Australienne en tournée au Canada, Madame Bearne, demanda et obtint une entrevue avec Mackenzie King. Mise à l'aise par l'affabilité du premier ministre, elle lui demanda : — Puis-je vous poser une question, tout simplement, sans l'habiller de formalités protocolaires ?
— Mais certainement, Madame.
— Monsieur le premier ministre, nombreux sont les citoyens d'Australie, et sans doute d'ailleurs, qui tressaillirent d'enthousiasme en 1935, en apprenant votre déclaration sur le contrôle de l'argent et du crédit, et la nécessité de rendre ce contrôle à la nation si l'on veut une véritable démocratie. « Enfin, disions-nous. voici qu'un premier ministre d'un pays britannique va secouer la dictature qui fait tant de mal à tout l'univers civilisé. » Nous vous acclamions déjà comme le plus grand homme d'Etat des temps modernes. Pourquoi faut-il donc que notre espoir ne soit pas encore réalisé ?
— Madame, on fait ce qu'on peut.
Mackenzie King savait, mais il ne « pouvait » pas, ou croyait ne pas pouvoir. D'où venait l'opposition, sinon de ceux qui bénéficient du contrôle et de la puissance que ce contrôle leur confère ? Puis, quel appui, quelles pressions manquaient à M. King pour le décider à faire un changement, sinon l'appui, la pression d'un peuple renseigné qui veut se libérer ?
« Les gouvernements agissent selon les pressions qu'ils subissent », disait le président américain Roosevelt.
Si l'on peut regretter que des hommes publics savent, mais n'agissent pas en conséquence ; il faut bien admettre aussi que les citoyens, de pays qui se disent démocratiques, n'ont pas fait leur part. C'est cette constatation qui guide les créditistes de Vers Demain dans leur action.