Après avoir établi les défauts du système financier actuel, Douglas a conçu un système génial pour corriger ces défauts et s'assurer que le système économique atteigne son objectif : la satisfaction des besoins humains ou, autrement dit, faire en sorte que les biens rejoignent les consommateurs qui en ont besoin.
La production ne marche que selon les commandes qu'elle reçoit. Les commandes sont conditionnées par le pouvoir d'achat du consommateur. Ce pouvoir d'achat dépend de la monnaie entre les mains des consommateurs qui ont des besoins à satisfaire. En ayant suffisamment d'argent, les consommateurs peuvent choisir, « voter » pour les produits de leur choix. En comparant l'argent à un bulletin de vote, on peut ainsi parler de démocratie économique, où chaque citoyen a suffisamment d'argent pour « voter » et obtenir les produits qu'il désire. Douglas dit d'ailleurs qu'on aurait ainsi une aristocratie de producteurs au service d'une démocratie de consommateurs, ceux-ci dictant en bout de ligne ce qui serait produit ou non, selon les produits qu'ils choisissent d'acheter ou non.
On a vu dans l'article précédent que le problème de base du système financier actuel, c'est que l'argent est créé sous forme de dette par les banques commerciales, puisqu'elles accordent cet argent seulement sous forme de prêt devant être remboursé avec intérêt. Il y a là une double injustice : charger de l'intérêt — exiger le remboursement d'argent qui n'existe pas — et le fait que les banquiers se considèrent comme les propriétaires de cet argent qu'ils prêtent, alors que la valeur de cet argent est basée sur la production du pays — qui est le fruit des richesses naturelles, des inventions, et du labeur de tous les travailleurs du pays — et non pas le fruit du labeur des banquiers, qui ne font que prêter des chiffres.
Car c'est essentiellement cela qu'est l'argent : un chiffre, qui permet d'utiliser, de mettre en œuvre la capacité de production du pays. L'argent n'est pas la réalité, un bien tangible (on ne se nourrit pas d'argent), mais un signe, un symbole, qui donne droit aux véritables biens tangibles, comme la nourriture, les vêtements, les maisons, etc. L'argent n'est pas la richesse, mais le signe qui donne droit à la vraie richesse — les biens et services.
Il faut plutôt considérer l'argent comme une unité de mesure, au même titre que les centimètres ou les pouces. Un des slogans de la Démocratie Économique est : rendre financièrement possible ce qui est physiquement réalisable. Si, chaque fois que la population désirerait un nouveau projet public (un nouveau pont, par exemple), le gouvernement ne se demanderait pas : « A-t-on l'argent ? », mais : « A-t-on les matériaux, les travailleurs pour le réaliser ? » Si oui, l'Office National de Crédit créerait automatiquement, comme on le verra plus loin, l'argent nécessaire pour financer cette production nouvelle. Dire qu'on manque d'argent pour construire un pont, alors que les matériaux et les travailleurs sont là, c'est aussi ridicule que de dire : on ne peut pas construire le pont, car on manque de centimètres.
Le système de la Démocratie Économique ne vise à rien d'autre qu'à faire de l'argent un reflet exact des réalités économiques. Il n'est donc aucunement question dans ce système d'émettre ou imprimer de l'argent n'importe comment, de façon irresponsable ou sans limites, ou selon les caprices des politiciens au pouvoir. La vraie méthode proposée, la voici :
Le gouvernement nommerait une commission de comptables, un organisme indépendant appelé « Office National de Crédit », qui serait chargé d'établir une comptabilité exacte : l'argent serait émis — sans intérêt —au rythme de la production, et retiré de la circulation au rythme de la consommation. On aurait ainsi un équilibre constant entre la capacité de produire et la capacité de payer, entre les prix et le pouvoir d'achat. (On aurait un équilibre entre prix et pouvoir d'achat, contrairement au système financier actuel, qui oblige à emprunter et s'endetter simplement pour maintenir la même quantité d'argent en circulation.)
Ce que Vers Demain demande, c'est que le gouvernement cesse d'emprunter des banques privées de l'argent qu'il peut créer lui-même sans intérêt, par sa banque centrale. Même le premier gouverneur de la Banque du Canada, Graham Towers, admettait en 1939 devant un comité de la Chambre des Communes que cela était parfaitement faisable, lorsqu'on lui demanda pourquoi un gouvernement devrait-il payer de l'intérêt pour de l'argent qu'il peut créer lui-même sans intérêt.
Pendant la deuxième guerre mondiale, la Banque du Canada a créé jusqu'à 50% de l'argent du pays, sans inflation. Aujourd'hui, elle en crée moins de 2%. Le reste, 98%, est créé par les banques sous forme de prêts. Bien des gens ignorent ce fait, et ne savent pas que les banques privées, contrairement aux autres prêteurs, créent l'argent qu'elles prêtent, et qu'elles ne prêtent pas l'argent de leurs déposants.
Que l'argent soit créé par la Banque du Canada ou les banques privées, il faut bien qu'il soit créé quelque part. Il s'agit des mêmes chiffres, basés sur la même production du pays. La seule différence (et elle est de taille !), c'est que si le gouvernement emprunte de sa propre banque centrale, il n'encourt aucune dette.
La technique proposée pour atteindre la fin de l'économie — que les biens joignent les besoins — comprend deux modes de distribution de nouvelle monnaie : l'escompte compensé et le dividende.
Si la production disponible dans le pays est de 12 milliards et le pouvoir d'achat qui lui fait face de 9 milliards seulement, l'Office de Crédit National décrète un abaissement de tous les prix de 25 pour cent, un escompte sur tous les produits lors de leur vente au consommateur ultime. C'est abaisser les prix au niveau du pouvoir d'achat. L'escompte est compensé au marchand détaillant, c'est-à-dire que l'Office de Crédit lui rembourse le 25% manquant pour couvrir le prix d'avant l'escompte.
Grâce à ce mécanisme de l'escompte sur les prix, toute inflation serait impossible : en effet, l'escompte fait baisser les prix. Et l'inflation, ce sont les prix qui montent. La meilleure manière d'empêcher les prix de monter, c'est de les faire baisser !
Parce que les salaires ne suffisent pas pour acheter toute la production existante (les salaires ne forment qu'une partie des coûts de production de n'importe quel article), l'Office National de Crédit distribuerait à chaque citoyen un dividende mensuel, une somme d'argent pour combler le pouvoir d'achat, et pour assurer à chacun une part des biens du pays.
Un dividende représente la part des profits d'une compagnie versée à chaque actionnaire de cette compagnie. Or, on peut dire que tous les citoyens du pays, le Canada par exemple, sont actionnaires de la compagnie Canada Limitée, puisqu'ils sont les cohéritiers des deux plus grands facteurs de la production moderne, l'héritage des richesses naturelles et des inventions des générations passées, tous deux dons gratuits de Dieu, qui appartiennent donc à tous. Ceux qui seraient employés dans la production recevraient encore leur salaire, mais tous, salariés comme non-salariés, recevraient le dividende.
Ce dividende ne serait pas pris dans les taxes de ceux qui travaillent, mais serait financé par de l'argent nouveau, créé par l'Office National de Crédit. Personne ne se ferait donc vivre par les taxes des contribuables ; ce serait un héritage dû à tous les citoyens du pays.
Il existe trois principes de base dans la Démocratie Économique :
1. l'argent émis sans dette par le gouvernement, représentant de la société, selon la production, et retiré de la circulation selon la consommation ;
2. le dividende mensuel à tous les citoyens ;
3. l'escompte compensé.
Les trois sont nécessaires ; c'est comme un trépied : enlevez un de ces trois principes, et le reste ne tient plus.
Toute cette technique de la Démocratie Économique, telle qu'expliquée très brièvement ci-haut, n'a qu'un but : financer la production des biens qui répondent aux besoins ; et financer la distribution de ces biens pour qu'ils atteignent les besoins. En examinant la circulation du crédit sur le schéma ci-contre, on s'apercevra que l'argent ne s'accumule en aucun temps, qu'il ne fait que suivre le mouvement de la richesse, entrant en circulation au rythme de la production, et prenant la voie du retour vers sa source (l'Office National de Crédit) au rythme de la consommation (lorsque les produits sont achetés chez le marchand). En tout temps, l'argent demeure un reflet exact de la réalité : de l'argent apparaît lorsqu'un nouveau produit apparaît, et cet argent disparaît lorsque le produit disparaît (est consommé).
Alain Pilote